Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Cahier du matin, Poésie

Tout est là

Tout est là,

à l’instant du mot dit :

le bouquet de jonquilles,

le chant blond des blés que tu traversais pour te rendre au lac,

la chatte sauvage flairant les orties,

la bicyclette couchée dans les taillis et que tu retrouvais à sa couleur rubis,

la mousse de l’eau sur les cailloux entre lesquels filaient les anguilles

dont tu essayais de saisir l’éclair bleu à genoux.

Tout est là, dans la paume de l’âme,

et demeurera

ainsi contenu,

telle l’abeille

dans la corolle du poème.

Tu peux toujours le toucher

d’un mot au matin

quand tu te sens perdu,

le Pays d’enfance.

 

Géraldine Andrée

Publié dans Non classé, Poésie

Poèmes pour la lampe d’automne

Étoiles

Apollinaire (dont le nom vient d’Apollon, dieu de la Lumière et de la Beauté) écrivait:
« Il faut rallumer les étoiles. »

Et il est vrai que les étoiles, on ne les voit plus désormais, tant elles sont voilées par les fumées des industries en pleine expansion et par la pollution.

Les yeux d’or du ciel ne nous regardent plus car nous les avons rendus aveugles.

Par conséquent, nous nous aveuglons aussi car nous avons pris l’habitude, en levant la tête, de n’apercevoir qu’une voûte obscure et nous croyons qu’il en a toujours été ainsi.

En ce soir de feux d’artifice, -rouges, orange, verts, bleus-,
je rêve de n’avoir pour couverture qu’un vaste ciel piqueté de taches rousses;
je rêve que des myriades de prunelles lointaines veillent mon sommeil depuis leurs millénaires révolus;
et que je les entende me dire en silence:

Qu’importe que Demain soit un nouveau jour!
Nous, nous durons toujours.

Oui, je rêve du luxe de ces étoiles alors que je suis allongée sur la terre humide d’un soir de juillet.
Si nous oublions les étoiles, nous nous coupons de nos racines célestes.

Alors, il est grand temps de « rallumer les étoiles » et de réapprendre chaque nuit
Tout ce que nous avons oublié.

 

 

 

 

Anges

Il est des anges qui se brisent les ailes contre le pouvoir, le paraître, l’ambition, la possession.
On les rencontre beaucoup, à notre époque, échoués dans ces regards qui ne voient plus le ciel.
Mais il est des anges veilleurs d’encres et de silences,
protecteurs des oiseaux qui traversent le monde et des frêles plantes qui poussent,
messagers des astres éteints et du chant lointain des sources,
gardiens des pensées secrètes et des chambres douces.
Ces anges volent jusqu’à nous par les poèmes que nous lisons -même sans grande conviction.
Lorsque nous sommes profondément seuls,
il nous suffit, pour les rencontrer, d’allumer une lampe au-dessus d’un recueil de poésies -le fait que le poète soit mineur n’a aucune importance pour le coeur-;
et si nous nous sentons soudain légers, libres, purifiés, presque guéris,
c’est le signe
qu’un de leur souffle
nous touche
dans la nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« En ce moment »

« En ce moment »:
trois modestes
mots
pour dire:

le présent vital:
celui qui nous sauve
des morsures du passé,
des tourments de l’avenir;

le présent initial:
à l’origine de la fleur dans la main,
de la réciprocité entre l’oeil et le nuage,
du coeur qui bat lorsque paraît la flamme;

primordial présent
qui nous guide,
même si nous résistons
à son élan,

d’instant
en instant,
et nous guérit
du Temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

Apaisement

Enfin, tu es rentré.
Il n’y aura pas, ce soir,
le grand orage
que je redoutais:

dans notre petite chambre,
je contemplerai
longtemps
la nuit d’août,

la nuit d’or
de ta peau toute
tachetée
d’étoiles rousses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Emporter,
en plus de l’indispensable
-peigne, brosse à dents, dentifrice, savon de Marseille-,
l’Essentiel:

mon flacon d’eau de rose,
mon collier de perles aux reflets si roses
qu’il me semble que l’aube
perle sur ma peau,

et les Rubayat
d’Omar Khayam
qui voit se refléter dans le vin
l’âme des roses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voyager,
c’est se mesurer au vent, à sa volonté implacable, étrangère à notre rêve parfois,
et accepter qu’elle soit
plus puissante que Soi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir vécu toutes sortes de deuils,
je sais reconnaître les signes des commencements:
l’inspiration profonde précédant le chant,
un sourire qui promet l’enfance,
les silencieux remous d’avant le poème,
les fruits rosissant au début de la saison,
l’éclosion d’un regard sur l’épaule dénudée…
Il m’arrive parfois de rêver que je remonte à l’origine de toute origine, à l’affluent des souffles, à l’étincelle initiale.
Et tant pis;
tant pis si un pas s’éloigne dans le noir, si une main se glace, si un mot trahit encore l’innocence…
Tant pis si je dois toujours m’en aller sans me retourner:
je sais que ce nouveau deuil m’annonce, si je n’abdique pas,
le miracle
de m’éveiller demain,
en me disant comme chaque jour:
« Il est une fois ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci;

merci pour la rosée sur le trèfle en bouquet;
merci pour le chardon constellé de givre;
merci pour le chant qui traverse la chambre;
merci pour l’étoile du Nord au bout du doigt;
merci pour le lait versé dans le noir;
merci pour le pain blond et le gâteau levé;
merci pour le papillon qui nargue la flamme de la bougie;
merci pour la chaudière qui ronronne au coeur de l’hiver;
merci pour les éclats d’amandes après le chagrin;
merci pour la première page;
merci pour le livre qui se referme;
merci pour la main fidèle au-delà du sommeil;
merci pour la conversation au soleil;
merci pour les bruits d’ailes du silence;
merci pour l’amitié d’Alan;
merci pour le prochain qui ne s’est pas encore annoncé;
merci pour ces questions sans réponse qui enfantent des poèmes;
merci pour tous ces petits riens
qui coûtent trois fois rien
et qui font Tout
quand on croit que la Vie
ne compte plus du tout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le vrai futur

Le vrai futur
n’est
ni « plus tard »,
ni « demain »:

il n’arrive
ni par hasard,
ni par destin:
le vrai futur

advient
dans le seul
instant
présent:

il est
un fruit mûr,
une plume tombée,
une patte offerte,

ou même
la paume
de l’enfant
dans la main

qui nous mène,
au soleil
du jour,
bien plus loin

que notre état
d’âme
mêlé
de doute

et d’espoir
avec lequel
nous nous réveillons
le matin.

Deuxième moitié du mois d’août

Deuxième moitié du mois d’août.

Bien sûr, les soirées sont encore longues. Quelques papillons accompagnent un éclat d’or.
On apporte le café assez tard. Les voix et les rires se répondent. De l’herbe, montent des murmures et des odeurs de menthe qui rassurent. On annonce du beau temps pour demain.

Mais il semble soudain que la nuit est tombée sans prévenir. Ou peut-être n’a-t-on pas fait attention. Le croissant de la lune luit comme une lame. Les lucioles dansent dans l’ombre. Un petit vent frais s’est levé. Quelqu’un serre son gilet sur son coeur. Des pas s’éloignent de la table.

Il faut emporter les dernières tasses, les dernières cuillères et, dans le salon, allumer le lampadaire.

Deuxième moitié du mois d’août.

Il faut bien se résoudre à rentrer,
si l’on désire que les mots prolongent encore un peu le temps passé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les odeurs des vacances:

Le vent dans le foin
Le café quand on se lève tard
La brioche sortie du four
Le thym dans le gratin d’aubergines
La gousse de vanille sur les pêches
Les pages neuves du roman acheté
L’huile de bronzage pendant la promenade
L’herbe mouillée des journées où il fait moins beau
La confiture qui cuit doucement
Le drap déplié dans la chambre après avoir séché au jardin
Le sachet de lavande fraîche pour l’hiver
La pâte de colle qui accroche de menus souvenirs (pétales, feuilles, grains de terre, brins où passa le souffle des lèvres, tickets du funiculaire) dans le journal intime
Les rosiers après l’orage
Le bouquet délié des invités
La frêle fumée dansant encore au-dessus de la bougie éteinte
et qui donne l’impression que l’on prolonge le jour dans la nuit,
la joie dans la vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est la fin de la belle saison. Mais ce n’est pas triste. On se rapprochera d’une autre beauté:
l’âme des lampes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fin de dîner

On n’est pas tout à fait arrivé à la fin de l’histoire. Il reste quelques pêches dans la corbeille, un peu d’eau pour ce rayon de lune. Au fond de certains verres, l’ambre de la liqueur luit encore.
Et pourtant… Un pas s’éloigne déjà. On entend là-bas, près des dépendances, le bruit d’une chaise que l’on range. Un volet claque en se fermant au deuxième étage.
Marthe agite les serviettes et les miettes de pain tombent sur la terrasse pour les oiseaux de demain.
Sur le trajet qui mène au grand buffet noir, les fourchettes mêlent leurs dents et les assiettes se heurtent.
On n’a pas vu passer le temps. La table est presque nue, comme si on n’y avait pas dîné.
Mais on n’emporte pas trop vite les lampes, car il ne faut pas arracher à l’ombre ses lueurs -derniers pétales d’or qui tremblent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La veillée

Le soleil laisse, en partant, quelques signes d’or à l’horizon. On a prévu, certes, le gilet mais les chemins ont gardé leur tiédeur. L’herbe, d’ailleurs, est douce à fouler comme au mois de juillet.
Si l’on ouvre les fenêtres des chambres avant le sommeil, on sent monter l’odeur du chèvrefeuille et on entend pépier de petits silences.
Finalement, on se couche assez tard malgré la perspective du Retour.
On discute de tout et de rien pendant que des ombres bleues agrandissent nos yeux.
Le raisin sera bon sans nous, je pense,
pulpeux et pourpre comme les joues de l’enfance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le matin,
quand tu changes
l’eau
des fleurs,

pense aussi
à changer
la couleur
de l’encre;

puis prends
une page blanche
et écris
tous tes soucis.

Tu te sentiras
libre ainsi,
guéri pour le jour
d’aujourd’hui.

C’est ce que j’appelle,
mon ami,
la toilette
du coeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dire le silence

Le silence
est aux mots
ce que la nuit
est aux étoiles:

Essentielle
présence

Parce que le silence
avive les mots,
les mots
avivent le silence

-grand bouquet
de roses
que les lèvres
de tous les hommes

ont fait
éclore
sur l’âme
de chaque chose-,

et comme
ce lien
de cause
à conséquence

se passe
de plus
de mots,
je demande

que fleurisse
le silence
de mes lèvres
aux vôtres.

Ecrire le silence

La journée est plus fraîche,
partagée entre l’ombre et l’or…
Ecrire alors,
la fenêtre ouverte
sur le feuillage du silence.

*

La nuit doucement
m’entoure pendant
que j’écris
Bonsoir Je suis
au large de la Vie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De soi

Cela va de soi
que j’emporte
le petit carnet
de moleskine

et la plume
à la pointe
fine;
cela va de Soi.

-Oublierait-on
de rire
dans la joie?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La dernière chambre

La dernière chambre avant le voyage.

Les draps frais, lisses et blancs où l’on ne dormira qu’une seule fois.

La savonnette dont on aime bien le parfum -mais qui fond très vite dans la main.

La salle d’eau si étroite qu’on peut toucher les deux murs opposés sans tendre les bras.

La petite cabine de douche vite imprégnée de buée.

Le sèche-cheveux qu’on laisse souffler -bon gré, mal gré- et qui nous laisse, lui, tout ébouriffés.

L’heure de la lumière que l’on programme -il faut oublier la naissance patiente de la lumière du jardin.

L’anthologie que l’on pose sur la table de bois blanc, pour se rappeler que, ce matin encore, on la lisait chez soi. Mais les poèmes, étrangement, n’ont plus la même résonance; comme si, eux aussi, conspiraient à notre exil.

Et la nuit derrière le store, traversée par les éclairs bleus des tours de l’aéroport.

Et le sommeil sans rêve jusqu’au lendemain.

 

Ne pas être parti et être déjà loin.

 

 

 

 

 

Au poète qui s’en va,

En faisant ta valise,
surtout n’oublie pas

cette petite bille
éclose comme l’iris

qui, lorsque tu la tournes
entre tes doigts,

dans tous les sens
qui te chantent,

t’annonce les étoiles
des mots

à écrire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le poème refusé

J’ai perdu mon poème dans le sommeil.

Il ne devait pas être très loin, mais suffisamment -à cette frontière ténue entre la conscience et l’abandon- pour qu’il ne vienne pas quand je l’appelle au réveil.

Je l’ai cherché dans le bleu qui glissait entre les volets, puis au soleil du petit déjeuner.
Par quel mot commençait-il? Quel sentiment? Peine ou joie? Je le savais pourtant, avant de m’endormir….

Hélas! Le poème m’était refusé.

Sans doute apeuré par l’éclat du jour, se cachait-il dans le recoin obscur de la demeure d’un songe que j’avais quitté pour faire route jusqu’à la réalité.
Je sentais approcher le chagrin -deuil d’une promesse non honorée.

Pourtant, lorsque l’eau de la douche a coulé doucement sur ma peau, m’invitant à l’oubli de la perte, le poème m’est revenu -comme un enfant prêt à jouer avec les bulles de savon.
Il parlait de l’hésitation des tout premiers commencements, de la conséquence du tremblement de l’aube qu’est la rosée.

Il ne me paraissait pas frivole, mais léger -parce que j’avais renoncé moi-même à mon caprice qui consistait à me faire obéir par les mots.

La poésie, pour aller jusqu’à ma mémoire, passe par l’insouciance de mon corps.

 

 

 

 

 

 

Sois
aussi
légère
que la soie:

Laisse
le vent
passer
à travers toi;

et lorsqu’il
s’en va,
garde le pli
que dessina

sa joie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’aime traverser la place par jour de grand vent.
L’air, alors, se mêle à la lumière pour me laver du poids du temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon cher cahier,

je te donne rendez-vous demain, entre la corbeille blonde et la tasse ronde, lorsque l’aiguille affichera dix heures au soleil, que la fenêtre s’entrouvrira toute seule.

Je ne sais pas encore ce que je t’écrirai; ce ne sera sûrement pas long mais ce sera essentiel:

des pétales de mots déposés par le souffle de l’instant
sur le blanc du temps à vivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autour du bouquet de roses

Autour du bouquet
de roses,
le sujet
de conversation

concerne
l’évolution
de la situation
boursière:

chacun
déploie
sa force
de persuasion;

certains
se mettent
même
en colère

pour,
disent-ils,
changer le cours
des choses…

Et moi?
Moi,
je caresse
la peau

fraîche
des pêches
à l’ombre
des roses.

 

 

 

Nulle part ailleurs

Tu es ici
et nulle part
ailleurs

pour que le pétale de rose,
la note de l’oiseau,
le pétale de l’instant,

te trouvent
avant
de te chercher.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’art du sommeil

Certains, avant de dériver vers le sommeil,
tiennent les oreilles d’un ours fripé;
mettent leur pouce dans la bouche;
agrippent un morceau de drap dont ils ont fait un doudou;
enlacent leur oreiller;

certains encore
posent leur paume sur l’épaule aimée
ou sur le ventre du chat;
d’autres enserrent leur main gauche
de leur main droite ou l’inverse;

et puis, il y a ceux qui s’endorment
en n’étreignant rien ni personne,
en se murmurant seulement quelques vers,
appris il y a longtemps,
à l’école ou au jardin,

au temps où le réel était rêve;
où le rêve était réel;
ceux-là même qui pensent
qu’ils ont perdu à jamais
le contact avec l’enfance

touchent, en vérité,
leur pays de toujours
avec la confiance
et la force
de leur souffle.

Géraldine Andrée

Tous droits réservés@2013

Publié dans Non classé, Poésie

La saison des mots

 

 

Le vieux café

 

Le rayon roux
de la pancarte
Les Amis
se balance au vent

 

Il suffit
de fermer
les yeux
sur les souvenirs

 

Et le soleil
d’une saison ancienne
ravive la lueur
des liqueurs

 

Les volutes
d’une cigarette
dessinent un cercle
de confidences

 

On boit
dans les regards
l’espoir infusé
d’un aveu

 

Un baiser
éclaircit
le marc gris
des soucis

 

Près du cendrier
les mains s’écoutent
rient
puis dansent

 

 

 

Derrière le comptoir
une chanson
égrène
sa romance

 

Le tablier léger
de Florence
tournoie
au rythme des commandes

 

Mais il suffit aussi
d’ouvrir
les yeux
sur les souvenirs

 

Le Café Les Amis
est muet
On a baissé
le rideau de fer

 

Les histoires
de la terrasse
n’égaieront plus
la petite place

 

Dans la poussière
frémit
le lambeau jauni
d’un parasol déchiré

 

Trouverait-on
encore
si on entrait
dans le vieux café

 

 

 

 

 

la trace d’une larme
le sillage d’une bouche
déposés au bord
d’un verre?

 

Le papier ultime
d’une commande
attend-il à l’angle
de la table?

 

Nul ne sait pourquoi
le Café Les Amis
ne connaîtra
de saison nouvelle

 

Le temps
ne revient jamais
Seul le vent converse
avec les persiennes

 

Et réveille
la longue
plainte
oubliée

 

de la pancarte
rouillée

 

 

 

 

 

 

 

 

Visiteur

 

 

J’entends
ronchonner
le vieux carillon
de l’entrée

 

Le rayon jaune
d’un falot
s’allume
et se promène

 

Gaspard
aboie
en quête
d’un regard

 

Puis c’est
l’obscur
froissement
d’une tenture

 

Ce murmure
presque inquiet
qui suit un pas
dans le salon

 

Avez-vous fait bon voyage?
Vous devez avoir froid
Vous arrivez à temps
On sent poindre l’orage

 

Et moi je cache
mon visage
dans le noir
de mes mains

 

Qui vient
me voir
ce soir?
N’est-il pas

 

trop tard
pour les regrets
et trop tôt
pour les mots?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Libre

 

Arthur a les doigts tachés d’encre et de colle.
Il ne veut plus aller à l’école.
Au fond de son cartable,
gisent des feuilles ridées,
des fruits éclatés,
des crayons usés,
un dessin blême,
les lignes inachevées
d’un poème…

La spirale dorée
du beau cahier
que je lui ai offert
en début d’année
a été arrachée…
Sur l’étiquette,
le nom s’efface…
Quand Arthur
entrouvre son col,
je caresse
de mon index
une petite griffure
où le sang sèche…
Arthur ne veut plus aller à l’école!

Mon enfant,
ne crains rien!
Demain,
après-demain,
et tous les matins
qui se suivent,
nous courrons, ivres,
dans les parfums
de l’herbe folle!
Nous écouterons chanter
le souffle clair
de l’eau légère!

Et tu apprendras
à lire en chemin
une autre parabole
dans les lignes enfin réunies
de nos mains…

 

Je lis dans la neige la page du jour

 

Sur le rebord de la fenêtre
huit virgules fines
et vingt petits points
C’est la mésange
qui a picoré
quelques miettes
de pain

 

Au seuil de la porte
une ligne épaisse
s’arrête soudain
Le facteur
m’a apporté
le courrier du matin
en vélomoteur

 

Dans le jardin
je déchiffre
d’étranges lettres
Minette
me raconte
sa promenade
avec ses pattes

 

Et si je prolonge
mon enquête
jusqu’à la barrière
je m’amuse
des ronds éclatés
laissés par les bottes
des écoliers

 

Hélas je ne vois
dans la neige
nulle trace
de tes pas
Notre histoire
serait-elle
une page vierge?

 

 

Un invité singulier

 

Je vous ai donné, hier soir, à la fin de la fête, un précieux numéro de téléphone,
qui vous permettra de me joindre dans ma maison de campagne.
Je l’ai noté sur un feuillet quadrillé que j’ai plié en secret.
Et voilà:

Ce matin, j’ai ouvert courageusement les volets des sept fenêtres.

Pour la première fois, j’ai parlé au cerisier que je trouvais sec et avare.

J’ai arrosé les plantes de la véranda, en leur souriant comme si elles reconnaissaient mon visage.

J’ai dit bonjour au nuage qui traversait le soleil; mon regard a compris que le ciel était large.

J’ai envoyé à la chatte désobéissante -sans doute cachée dans un tronc fendu- ce timide baiser que la brise a bien voulu lui porter.

J’ai épluché avec patience les longues courgettes du déjeuner.

Je n’ai pas été contrariée quand le bordeaux millésime 1980 a versé quelques larmes rouges sur les coussins.

J’ai sorti enfin du buffet la vieille théière de Marthe, avec son bec d’argent recourbé.

Exceptionnellement, j’ai orné la petite table du salon d’un napperon de dentelle.

Puis, à toutes et tous,

à l’ombre bruissante des arbres

aux ailes curieuses des oiseaux

à l’horloge trop bavarde

au bois inquiet des meubles

j’ai demandé de se réjouir en silence.

Je suis prête désormais
pour votre appel.

 

 

 

Six heures moins le quart

 

 

Dans un quart d’heure le gardien
fermera les grilles du jardin

 

On se résigne quand le chocolat
coule lentement sur les doigts
On ramasse le ballon
dont la poussière a effacé les couleurs

 

Entre les branches un rayon se brise
Et s’accélère le pas de la brise
L’ombre est une immense
tache d’encre sur la pelouse

 

Il a fallu plusieurs fois déplacer
la serviette le transat
ou la petite chaise d’osier
pour bien se reposer

 

Terminons la page de ce roman
Feuilletons les songes de ce magazine
avant de glisser dans la mémoire
un obscur signet

 

Les sanglots d’un enfant
jaillissent au bord du chemin
Vite à la maison pour la toilette
Calme-toi ou tu seras puni

 

Il flotte une obsédante
odeur de fruit blet
et la vieille ritournelle
des voix égarées

 

 

 

Heureusement que j’ai pris mon pull de laine
On sent la fraîcheur du soir
Sais-tu si Catherine vient demain?
Je n’ai pas de nouvelles

 

C’est l’heure où le gardien
ferme les grilles du jardin

 

On avait donné rendez-vous à un regard
Maintenant il se fait tard
Alors chacun abandonne son banc
pour s’attendre
autre part

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Guetteur

 

 

Tous les matins
J’espère une lettre
Mais pas le moindre signe
Le sentier est blanc

 

Un merle nerveux
Tape du bec
Contre le carreau
Et disparaît je ne sais où

 

On annonce demain
Un radoucissement
Peut-être le thermomètre
Remontera-t-il au-dessus de zéro

 

Et j’entendrai s’égrener la source
Des étoiles secrètes
Couleront dans mon seau
Que j’irai porter à Zozie la jument

 

Mais qu’en sera-t-il
Des mots
Que nous déposions jadis
Sur nos sentiments?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une claire rivière de printemps
traverse la pièce
C’est moi Je ne fais que passer
dis-tu en riant
avant de t’effacer
dans ton propre courant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partout on allume
Les feux les fêtes
Les rêves les aveux
Les promesses

Demain bien sûr
Le monde aura changé
Car ce soir
C’est la nouvelle année

Moi je verrai la lampe
Au beau reflet d’or
Trembler encore
Sur mon livre

En cassant des noisettes
J’entendrai craquer
Tous les souvenirs
Dans ma tête

Très tôt le matin
Je serai témoin
Des noces répétées
De la pluie avec la terre

Les oreilles de la chienne
Frémiront toujours
Aussi douces
Sous mes mains

Non demain
J’en suis certaine
Rien n’aura changé
Les joies comme les peines

Et quand je te regarderai
Tes yeux seront
De la même couleur
Que ton cœur

 

 

 

 

 

J’ai perdu la clé de l’armoire ancienne la profonde armoire de chêne qui trône dans la chambre d’amis

Que faire? Comment mettre la main désormais

Sur les chemises fleuries du printemps dernier

La poupée brune aux yeux verts de Stéphanie

Le roman acheté sur une place ensoleillée et dont j’ai toujours retardé la lecture à mon grand regret

La trousse de couture et son dé étincelant comme un ongle d’argent

Les cartes postales que tu m’envoyas durant l’été 89 et qui fixent cette apothéose décisive de l’instant quand la lumière épouse l’eau

Les sachets de lavande confectionnés par Grand-Mère

Le cahier d’enfance où je recopiai d’une main hésitante mes premiers poèmes

Comment toutes ces années que j’ai enfermées dans la nuit peuvent-elles me pardonner?

J’ai perdu la clé de la vieille armoire

Je ne parviens plus à percer le mystère de la serrure d’Amour

Les objets sont comme des visages sans retour

Seul le rêve silencieux d’un soir
me permet quelquefois pour un temps très court
d’en voir les reflets…

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avoue que souvent
Je me sens seule
Alors j’invente
Le temps des êtres et des choses
Je pose

Un peu de blanc
Pour les signes du vent
Un peu de jaune
Pour l’insecte dans son soleil
Un peu de rose
Pour le ciel dans le fruit
Un peu de rouge
Pour le silence qui bouge
Un peu d’orange
Pour la sieste des branches
Un peu de vert
Pour l’étoile des pierres
Un peu de bleu
Pour le chemin qui court

Je pose aussi
Un peu de songe
Pour la main
Un peu d’attente
Pour l’eau des yeux
Un peu de tendre
Pour chaque pensée
Pour chaque couleur
Un baiser

Dans mon cœur
J’éprouve déjà
Un début d’innocence
Une vague intuition
De joie
Oui le temps
est très beau

Seule ombre au tableau
Tu n’es pas là

 

 

L’horloge est muette
Le souffle se suspend
La bougie grelotte
L’échiquier rêve

On écoute l’instant
Et bruissent les notes
Frémissent les accords
Comme une brise d’or

Là une ride s’efface
Ici une main se tend
Puis passe l’aile douce
D’un sourire

La mouche du souci
Ne bourdonne plus
Le thé froid
Dans la tasse languit

On a laissé les manteaux
Tout au fond du couloir
Et une voix ancienne
Se confie à l’âme

On se réjouit
D’être l’hôte secret
De ce temps généreux
Et singulier

Les mains du pianiste
Dénouent les ombres
Chaque touche
Allume un regard

On ne songe pas
Que tombe le soir
Et qu’on doit hélas
Se quitter bientôt

L’invisible rideau
S’entrouvre enfin
Sur des visages
Familiers et nouveaux

Comme il fut beau
Et tendre l’Oubli
En la compagnie
De Chopin

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui
tu n‘écris pas
le monde

 

C’est le monde
qui s’écrit
en toi

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dis-moi mon cœur
Pourquoi j’écris
Toutes les nuits
Avec une joyeuse
Douleur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans tes mains
S’allume
Un soleil calme

 

 

Prends la plume
Puis écris
La longue phrase

 

De ta Vie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’en penses-tu?

 

Peut-être aurions-nous dû
Dessiner des silences
Autour des mots
Pour nous entendre…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe

 

 

On a fermé
l’Annexe des Jeunes Filles
Dortoirs un deux et trois
les lits sans drap sommeillent

 

La cloche est muette
L’aiguille du cadran
n’obéit plus au Temps
Les pupitres bâillent

 

Dans la rigole du tableau
repose
l’éponge sèche
qui effaça

 

la dernière phrase
d’une leçon
l’allégresse
d’une réponse

 

Dans le poêle
la flamme des veilles
trembla jusqu’aux cendres
de l’aube

 

Les noms semblent
avoir quitté les choses
Mais sous le préau
de l’automne nouveau

 

le pas suit
la fantaisie
d’une marelle
et si l’oreille est attentive

 

 

 

elle entend danser
la robe de l’air
lorsque glisse
la traîne d’un murmure

 

L’œil de l’âme
devine dans l’ombre
le signe d’un gant
l’épingle d’un chignon

 

Une trace de fard
fleurit sur un miroir
L’astre d’une bague
enfin s’allume

 

L’adieu est une page pliée
que lira plus tard
cette Chère Amie
assise au bord des nuits

 

On a fermé
l’Annexe des Jeunes Filles
Mais comment interdire
les jeux de la mémoire?

 

Rose Christine Anne Sylvie
Claudia Sarah Louise Florence
Catherine Laure Margot Virginie…
Elles courent

 

à l’infini
le long du souvenir
et leur rire
nous rappelle

 

que le Passé
jamais ne s’absente
Le Passé est une éternelle
adolescence…

 

Je me demande

 

 

Que sont devenues mes amantes?

 

 

Celles qui remuent l’eau du silence
en dénouant la chevelure de leurs rires?
Celles qui allument la nuit
entre les cils de mon sommeil?

 

 

Je vous attends
mes belles ardentes
au-delà du regard
et des étoiles noires

 

 

Mais je rêve
que je m’endors
contre le corps
nu de mon désir

 

 

Et vos ombres lentes
m’entourent
pour m’ensevelir
à l’orée du jour

 

 

 

 

 

La petite chambre du Sud

 

 

Disperser la poussière des choses

Non vraiment Rien n’a changé

Sur la chaise le chapeau de l’ultime saison et la fleur ouverte d’un col de robe

Au bord de la table une carafe à combler comme un désir

À droite la coiffeuse où un peigne montre ses dents d’ivoire
et le miroir ovale où l’attente se regarde

Le volet tremble un peu lorsque l’air dénoue ses colliers

Mais le temps n’a nulle envie de s’envoler

Un souffle se faufile entre les draps de lavande

L’ombre des rideaux s’allonge et quelques lueurs y accrochent parfois leurs ailes de papillon

Des patins de feutre glissent dans le soir Marthe dépose un plateau sur la table basse et le thé infuse comme un secret

Au cours de cette promenade immobile

cueillir le bleu de menthe du silence

puis converser avec la solitude

loin très loin

dans la petite chambre du Sud

 

 

 

 

 

 

 

 

Dépendances

 

 

La clé tourmente la serrure. Puis l’épaule pousse la porte…

Tout est là.

L’arrosoir, qui a désaltéré le jardin durant les longs mois d’été, bâille sèchement.

Le sécateur brille d’un éclat cruel. Si on s’approchait sans crainte de sa pointe, on délivrerait ce pétale fané.

La brouette a tellement sauté sur les sentiers du petit matin que sa roue est usée; mais des grains de terre constellent ses flancs…

Dorment dignement debout la pelle et le râteau, qui éclaircissaient l’allée quand la morte saison semait ses feuilles…

La haute échelle verte monte désormais vers le plafond de salpêtre. Entre les marches, une toile d’araignée garde captif un papillon recroquevillé… Les ailes s’accrochent toujours aux fils perfides du souvenir!

Sur le portemanteau, les manches d’une tunique grise sont imprégnées d’odeurs – fruits flétris et fleurs rouies… Une paire de gants tachés d’herbe est suspendue à un clou noir.

Tout est là, abandonné par des mains qui ne peuvent travailler…

Et la lumière ne dissipera plus le songe des choses
car les dépendances dépendent
d’un autre Temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

Chère Else,

 

Aucune heure
ne s’allumera
après la lueur
de ma bougie…

 

Mais toi, mon amie,
touche ma main
dans la nuit
et continue d’écrire.

Géraldine Andrée

Tous droits réservés@2010

 

Ainsi soit l’heure
du petit matin:
qu’un nom respire
pour chaque bougie…

 

Ce poème a été écrit en mémoire de Selma Meerbaum-Eisinger, décédée le 16.12.1942 à Michaïlkovka dans un camp de travail en Transnistrie (Ukraine), à l’âge de 18 ans.

 

 

Publié dans Berthe mon amie, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Ecrire pour autrui, Mon aïeule, mon amie, Non classé

Tu es partie quand j’avais quatorze ans

Tu es partie quand j’avais quatorze ans.

J’ai senti que tu avais quitté ta terre lorraine pour l’immense océan à un instant précis:

celui où l’enseignante de Sciences Physiques qui ne m’appréciait pas particulièrement à cause de mon désintérêt pour la matière m’a regardée intensément. Au moment où je suis sortie de la classe, mon lourd cartable sur le dos, ses yeux m’ont suivie.

A mon retour chez mes parents, j’ai appris que tu t’en étais allée peu avant midi, alors que le cours s’achevait.

Tu es revenue cette nuit, comme tu le fais souvent.

Tu m’as laissée toucher ton chignon, blond redevenu, comme lorsque j’avais trois ans.

Je t’ai demandé pardon de t’avoir abandonnée pour aller vivre à D.

( Au matin, cette culpabilité s’est envolée tel un oiseau léger car tu es partie bien des années avant que je n’aille vivre à D.)

Tu m’as répondu en riant, d’une voix de jeune fille :

– Tu te dois de vivre ta Destinée !

Puis, tu m’as prise par la main et tu m’as promenée dans les lieux de ton ancienne vie, moi ta petite-fille retrouvée :

la métairie Mayer, entourée des champs de fleurs que tu traversais, à vive haleine, les jours de juin ;

le grenier à grains dans lequel tu lus toutes Les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand, l’aile d’un rayon de soleil tremblant sur l’une de tes mèches ;

le pensionnat du Luxembourg qui brida tes rêves du grand amour ;

le jardin où tu jouas pendant les grandes vacances avec ton amie Hélène à être Madame de Staël révoltée contre Bonaparte, pour un théâtre sous les étoiles ;

la baie d’Ostende dont les franges bleues sous la pluie te laissèrent un merveilleux souvenir ;

la maison de M. parée de lierre, celle du mariage et de la maternité, du silence et de la résignation alors que ton mari jouait aux cartes au café ;

puis la vaste et glaciale maison de l’exil pendant l’Occupation, et son auvent où se nichaient les hirondelles – leur joyeux retour marquait une année supplémentaire de guerre ;

le parc de Montmorency dont le chant qui s’élargissait comme une houle de feuillage en feuillage te consolait des peines et des privations ;

enfin le chemin du retour, la belle allée blanche qui te mena sur le seuil de ta porte ;

la cuisine ensoleillée des matins de dimanche ; la salle à manger et ses napperons de dentelle ;

plus tard, la chambre sombre où tu recevais ton insuline, tous les soirs à cinq heures.

Avant de partir, tu as regretté de t’être mariée.

Je vis la vie dont tu rêvais : libre, autonome, indépendante.

L’écriture demande qu’on lui consacre du temps.

Je ne me souviens pas quand tu as lâché ma main et que tu t’en es retournée vers ce pays qui m’est interdit tant que je vivrai.

Je me suis retrouvée seule, soudain, dans mon rêve,

mais avec cette certitude évidente comme l’aube :

ma Destinée est d’écrire sur ta Destinée,
faire de ta vie une trace
qui me mènera, c’est certain,
vers l’immense océan

de la compréhension
de nos deux destins
à la fois si différents
et communs.

De Toi à Moi.

Géraldine Andrée