Je me souviens quand, toute jeune fille, j’ai déclaré à mon professeur de français devant la classe :
– Je tiens un journal intime !
C’était comme si j’avais dit que je possédais une grande maison de vacances ou que j’étais entrée dans un cercle d’amis fabuleux.
Moi qui étais si effacée, moi dont on se moquait, moi que l’on ne respectait pas, je m’étais enfin dessiné par cette courte phrase un contour. Je m’étais donné une densité, une profondeur, une vérité. Je devenais consciente de la rencontre entre l’être et le faire, entre la joie et le chemin. Je me tendais un miroir où je me reconnaissais, objectivement, sans que le regard de quiconque m’influençât.
Ainsi, j’étais présente, vivante moi aussi… Et cela, rien qu’en écrivant dans ma chambre. J’existais pour mes pages blanches. Ce cahier à la couverture fleurie était mon île, un lieu sûr dans lequel je pouvais advenir à chaque instant par ma propre présence.
Je tiens un journal intime…
Que de secrets contenait cette simple phrase ! Que d’énigmes la rendaient riche ! Que de mystères dont j’étais l’unique détentrice jouaient seulement à se laisser deviner !
Que pouvais-je bien raconter, si démodée avec mes couettes et si étriquée dans ma jupe plissée ?
Je ne le confierais jamais qu’au papier !
Je n’étais donc pas tout le temps définie par les autres… Je ne leur appartenais pas… Une part de moi, insaisissable, essentielle, leur échappait définitivement.
Quand je songe aujourd’hui à l’image de cette petite clé dorée qui a brillé sous mes yeux au moment où j’ai prononcé cette phrase, je me dis que j’avais compris à mon jeune âge l’importance de l’indépendance.
Je tiens toujours un journal intime
car je suis celle qui me comprend le mieux.
Géraldine Andrée