Comment écrire certaines expériences vécues ?
« Cette expérience m’a profondément marquée. »
« Cet événement a laissé une empreinte durable en moi. »
« Cela ne s’effacera jamais. »
« C’est resté gravé dans ma mémoire.«
Avez-vous remarqué comme nous utilisons tous le champ lexical de l’écriture pour évoquer les événements de vie qui ont été déterminants pour nous ? Les psychologues sont unanimes sur le fait que chaque détail d’une anecdote, d’un incident, d’un accident, d’un trauma s’inscrivent dans notre psyché.
Comme je l’ai expliqué dans mon billet Votre biographie ; de l’écriture à la cicatrice, la page peut être l’équivalent de la peau psychique sur laquelle nous pourrons atténuer l’impact des traumas de la vie sur votre être et votre peau organique. Le cahier sera votre corps de substitution où nous réinscrirons ce qui doit être « écrit », de manière à ce que vous soyez moins « marqué », c’est-à-dire déterminé par les aléas et les circonstances extérieures.
Certes, nous ne choisissons pas comment la vie porte son coup, le subissant souvent de plein fouet. Mais au cours de nos séances d’écritothérapie et d’autobiographie thérapeutique, nous pourrons adoucir avec notre stylo la lame ou le stylet de l’existence et ce, afin que votre avenir ne soit pas écrit par quelqu’un d’autre que vous ou selon le schéma narratif d’un pattern que vous n’avez pas remonté à la conscience et qui, par conséquent, « revient sous forme de fatalité« , pour reprendre l’expression du psychanalyste Carl Gustav Jung.
Concrètement, comment allons-nous procéder ?
Nous allons utiliser des techniques d’écriture qui, mises au service de la thérapie, vous permettront de tourner la page sur ce que vous croyiez incrusté en vous.
En voici cinq exemples :
- Si la scène est trop difficile à évoquer par sa brutalité, sa violence, il nous sera possible d’en atténuer les évocations. Le martèlement d’un pas sur le trottoir peut devenir plus sourd. Nous pouvons faire tomber un voile de silence entre le hurlement des sirènes et vous, de façon à ce que vous perceviez l’accident ou l’agression derrière une fenêtre fermée. Les injures peuvent être remplacées par des abréviations – tout cela, le temps de vous réapproprier la scène -, les noms de ceux qui vous ont souffrir par des initiales significatrices. C’est ainsi que dans l’un de mes livres, Monsieur A.M était l’équivalent inversé de l’expression « Mauvais Amant« .
- Le mensonge littéraire est souvent d’un précieux secours quand on se retrouve incapable d’affronter un souvenir. Si l’aveu est difficile à réentendre de mémoire dans une salle à manger – par le caractère trop intime, personnel et familial que confère le lieu -, nous le recontextualiserons de manière fictive dans la rue. Ainsi, les bruits, les mouvements des passants vous permettront de prendre de la distance face à l’impact de la révélation.
- Si l’événement a bouleversé votre existence de manière fulgurante, nous pouvons suspendre le temps par des adverbes comme « lentement », « subrepticement », « doucement », retarder l’échéance en nous attardant sur un détail qui détourne votre attention de la douleur pendant un moment. Contempler une fleur dans une salle d’attente, tandis que vous attendez le verdict de l’intervention chirurgicale d’un proche, vous familiarise progressivement avec l’évocation du souvenir d’une sentence que vous connaissez déjà.
- Si vous vous trouvez en incapacité de dire et d’écrire ce qui vous a tant marqué – étant, de ce fait, sous l’emprise du pouvoir de l’indicible -, nous pouvons dire cet indicible en laissant des blancs entre les mots, en réduisant une phrase à quelques mots (« Puis plus rien. Que la trace du sable après le souffle de l’explosion.« ), en employant des termes modalisateurs comme « Je crois que », « Il me semble que », « Je ne suis pas certain que » ou des tournures interrogatives – « Est-ce vraiment ainsi que cela s’est passé ? ». Je vous renvoie ainsi à mon billet Le cahier de l’indicible.
- Bien sûr, la douleur n’est pas la seule à marquer la psyché. La joie peut aussi se graver dans votre subconscient en y laissant une empreinte supplémentaire, celle de la nostalgie parce qu’elle n’est plus. Si une lumière d’été est trop intense, un jardin trop doux, des amis trop fidèles, ceux-ci peuvent creuser en vous une trace ambivalente de plaisir douloureux parce que vous ne pouvez plus revivre un bonheur semblable aujourd’hui. Dans ce cas, il est possible de faire la démarche inverse : d’évoquer ce qui vous plaît vraiment dans votre vie d’aujourd’hui dans ses différences positives par rapport à celle d’autrefois afin de mieux faire le deuil d’une joie révolue – « Je trouve des bienfaits à ma solitude et à mon appartement. Je lis tout mon soûl, à la lumière de ma lampe décorative.«
Une fois que nous aurons fait ce travail de réécriture de ces traces – ce qui nous imposera de déconstruire certaines scènes et de créer des scènes de substitution fictives -, nous pourrons reprendre le vrai fil du récit de votre vie, en inscrivant véritablement celle-ci dans les empreintes qu’elle a laissées et ce, sans raviver le souvenir de la douleur liée à l’ancienne blessure.
- Nous réemploierons les adjectifs, les notations sensorielles et les métaphores fidèles au ressenti de la scène de l’agression ou de l’accident : « L’instant convulse. Ces sirènes stridentes, les pas qui tapent sur le trottoir, ce martèlement dans mes tympans… L’agitation, je la vis d’abord dans ma tête comme si celle-ci était un vase clos qui démultipliait les sons.«
- Nous contextualiserons l’événement dans son lieu et son époque d’origine puisque votre inconscient s’étant familiarisé avec l’imminence revécue de son impact, la cicatrice ne sera plus aussi douloureuse : « La pendule bat régulièrement dans le silence du salon. Mon cœur, lui, cogne très fort contre ma poitrine. Le temps se fait l’écho de mon sang. Ou mon sang se fait l’écho du temps. Je crois que toute la famille entend mon pouls. Mais non. Tous tendent l’oreille vers mon père qui s’apprête à parler.«
- Nous reprendrons le rythme de la caméra qui doit tout filmer en accéléré : « Soudain, l’homme en blanc a ouvert la porte. Son stéthoscope étincelait d’un éclat vif-argent. Il a dit tout simplement, d’un ton qui m’a paru rapide et détaché : Votre mari ne se réveillera pas. Six mots pour un virage.«
- Nous poserons des mots sur les blancs, voire nous les accentuerons par des hyperboles pour que leur signification prenne toute la place sur la page : « Il n’y eut rien de plus sinistrement prodigieux que ce sable qui se souleva après le souffle de l’explosion. On eût dit la chevelure d’un météore.«
- Nous entrerons dans toute la richesse sensorielle d’un monde effacé pour que la joie vous soit restituée de manière intacte, sans la tristesse qui la corrompt, de manière à ce que vous ayez du plaisir – et non de la peine – à relire vos bonheurs passés : « Qu’elles étaient douces ces vacances à Amance. Un bouquet de pivoines au parfum boisé qui annonçait les verres de cristal et les dentelles de soirée !«
Certes, dans la vie, tout semble à chaque instant irrémédiablement écrit. Mais dans un récit de vie, tout peut se réécrire à chaque mot, de manière à ce que votre vie soit relue sous un nouvel angle, apporté par votre regard que l’encre aura guéri.
Géraldine Andrée
Écrivain privé-biographe familiale-écritothérapeute