Elle me dit :
« Je garde dans le tiroir de ma table de nuit
mon billet d’avion
aux bords jaunis.
C’était un bel Américain.
Nous nous aimions.
Nous nous sommes épousés dans la cour de la Caserne.
Un prêtre nous a bénis.
Puis, mon époux a dû repartir
puisqu’il avait fini sa mission
de Libération.
Il était convenu
que je le rejoindrais
au début de l’an mille neuf cent quarante-six.
J’avais acheté mon billet d’avion.
Le temps jusqu’à nos retrouvailles me semblait si long…
Chaque soir, sous la lampe, je contemplais la destination.
Mais ma famille avait de plus en plus besoin de moi
pour les semailles,
et les fenaisons,
et les récoltes…
Que je sois amoureuse ? Peu importe !
Je ne pouvais les abandonner
alors que tant de tâches s’accumulaient.
Il a fallu ensuite que je m’occupe de ma soeur,
handicapée par les séquelles de la rougeole.
Alors, lentement, j’ai abandonné le rêve de mon coeur.
J’ai remis le billet d’avion à la nuit.
Je me suis dévouée jusqu’à oublier que j’avais aimé.
Je n’ai plus reçu de nouvelles de mon mari.
Mon doigt s’est séparé de son alliance.
Je me suis résignée aux travaux quotidiens et au silence.
Aujourd’hui, c’est ma famille qui m’oublie
tandis que mon rêve vient se rappeler à ma mémoire.
Certains soirs,
je sors le billet d’avion de la nuit
qui hante le tiroir de ma table de chevet
et j’approche la lampe
des caractères pâlis
que je caresse
comme si j’avais accroché
des ailes à mes doigts :
Paris-Los
Angeles. »
Géraldine Andrée