Publié dans Poésie

Un poème du temps lointain

« Je n’ai pas été vivre dans la capitale ;
Je lui ai préféré les monastères de montagne.
La saveur de ce qui est sans saveur : là est ma joie.
Mon talent fut d’être sans talent. J’ai vécu ainsi.

Je suis moi-même. Pourquoi vouloir être un autre ?
J’ai vu le monde. Je suis retourné vivre aux champs.
J’ai des amis : un pin, un bosquet de bambous.
J’ai des frères : les oiseaux du ciel,
les fleurs de la montagne,
le soleil et le vent.
« 

Quelle chance ai-je, vraiment,
de lire un poème du temps lointain,
un poème de la Chine ancienne,
qui date de mille-cinq-cents ans,
un poème de Sin K’I-TSI.
Quand le Poète a écrit ces lignes,
je n’existais pas.
Alors que je lis ces lignes aujourd’hui,
le Poète n’existe plus.
Je l’imagine
traçant au pinceau
chaque mot,
dans la lumière veloutée
d’un crépuscule d’été
qui filtrait à travers
sa fenêtre de monastère,
une lumière qui a existé,
bien avant que je ne sois née.
Le Poète ignorait que quelqu’un
– comme tant d’autres sûrement –
accueillerait dans sa chambre
ces vers écrits
comme s’ils étaient contemporains
aux années deux-mille-vingt.
Et moi, quand je suis venue au monde,
j’ignorais que le destin me mènerait
à la clarté profonde
de ce poème.
Telle est la vérité, à mon sens,
de la Poésie :
faire de l’Autre
– qu’il soit Poète ou Lecteur –
son prochain
à travers le temps
et fixer depuis le début d’un millénaire
cette rencontre
sans que l’un et l’autre se connaissent.
Aussi ai-je la chance,
vraiment,
d’avoir à la hauteur
de mon cœur
un poème aussi lointain,
tandis que la lumière veloutée
de ce crépuscule
entoure
la dernière
strophe,
telle une fenêtre
ouverte à tous
les signes.

Géraldine Andrée

Publié dans Poésie, Poésie-thérapie, Récit de Vie

Un seul mot

Dans un recueil
de poèmes
de Chine
je cherche

avant le sommeil
un seul
mot
qui me fasse signe

plus que tout
autre
et c’est
Émeraude

qui accroche
des étincelles
de feuilles
au silence

de ma chambre
enclose
comme si c’était
une tonnelle

depuis celle
où se repose
le poète
de la dynastie Min

Han Wo
après avoir fait
du ciel jaune
de son parchemin

le messager
d’un poème
de cinq lignes
dont voici

la fin ultime
Je m’endors
sous la tonnelle de roses rouges
près des bananiers émeraude

Géraldine Andrée