Publié dans Histoire d'écriture, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Le journal des confins, Poésie, Récit de Vie

Le cahier élu

Il y avait encore eu des disputes
au déjeuner.
Des insultes
avaient même été lancées.
Elle a compris
qu’il lui fallait baisser la tête,
ne plus rien dire,
rentrer dans son pays intérieur
qui n’était que silence.
Elle aurait voulu devenir
une autre.

En fin d’après-midi,
un rayon de soleil
avait entouré d’or
un nuage.
Elle l’a perçu
comme un signe
et elle a enfourché sa bicyclette
pour se rendre
dans la petite papeterie
en bas de la côte.

Dès qu’elle a poussé la porte
et que les trois notes
du carillon
ont tinté,
elle s’est sentie
de retour
sur une terre
familière.
Là-bas, sur l’étagère
baignée de lumière,
les cahiers l’attendaient.

Il y en avait pour tous les goûts,
des couvertures tendres,
des couvertures souples,
des reliures de feuilles
claires
telles de belles
journées
printanières.
Elle ouvrait chaque cahier,
s’y reposait,
y reprenait son souffle
comme sur une plage
après une longue nage.

Le moment était venu
de choisir.
Elle a alors élu
un cahier bleu
aux bords bruns
comme une rive
à l’aube
pour qu’elle ne le quitte
pas des yeux,
quoi qu’il lui arrive,
quoi qu’il lui soit donné
de vivre.

C’est lorsqu’elle s’est dirigée
– je crois –
à la caisse
qu’elle s’est fait cette promesse :
« Ce soir, quand je ne serai plus seule
parmi eux
mais en tête-à-tête
avec mon cœur,
je poserai un pétale
de couleur
sur chaque lettre
de mon prénom,
au centre
de la première page
étale. »

Géraldine Andrée

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Sans titre

Je pense
que tout ce que tu écris
a déjà été écrit
pour que tu l’écrives
– pas gravé

dans la noire
éternité
de la pierre
loin des regards
Ô non –

mais annoncé
dans la trace invisible
d’un chant d’oiseau
entre ces feuilles
si serrées

dans la phrase
de la vague
qui enjambe
les bords
de la page

dans le point
minuscule
de cette pervenche
qui perce
le silence

dans la virgule
de ce nuage
qui te fait traverser
en un instant
tout le ciel

et dans la première
lettrine
du soleil
signe
que tout

ce que tu écriras
demain
ou plus tard
dans le délié
le plus frêle

est déjà
accompli

Géraldine Andrée

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J’écris pour toucher ta voix

J’écris pour toucher ta voix

qui – je le crois –

se cache

dans la feuille.

J’écris

pour retrouver

l’instant

précis

où son inflexion

changea

quand elle prononça

avant le départ

ces mots

si clairs

et si fidèles

à la vérité.

Mais plus je m’enfonce

dans la blancheur

du silence

avec ma foi,

plus je creuse

ma propre trace

et si je me vois

avançant

vers l’inconnu

avec ma seule voix

pour oriflamme,

c’est parce que je t’aide

à accomplir

désormais

ce pour quoi

ton âme

est destinée :

me donner

comme ultime

signe

que tu m’écoutes

l’envie d’écrire

aujourd’hui

encore

en ne m’adressant

qu’à l’écho

fidèle

que mes mots

renvoient.

Géraldine Andrée

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Arrivée sur la rive de ma nouvelle vie

Arrivée sur la rive de ma nouvelle vie, j’ai l’heureuse surprise de retrouver l’anthologie Adolescence en poésie que j’ai déposée par réflexe dans ma valise, entre deux classeurs.

Ce recueil poétique m’a été, lui aussi, un précieux compagnon pendant toutes ces années… Ses poèmes me répondaient et me permettaient de toucher le mystère de la vie, de l’amour, de la mort. Je voulais unir ma voix à celles de Bernadette, Cathie, Nelly, Min-Thu..

Je lisais un poème au hasard alors que ma mère faisait couler l’eau dans la bassine, tinter les assiettes, souffler la cocotte-minute. Tous ces bruits du quotidien en arrière-plan pendant que j’explorais l’univers des silences, des aurores, des planètes au cœur battant… Je m’en souviens encore aujourd’hui.

Et tandis que se tendent les draps de mon nouveau lit, je pars en voyage avec cette amie que je ne connais pas mais qui m’est si familière car nous entrons ensemble dans

« Le goût des vacances au fond de moi

Ce goût de sel

quand

Un rayon d’étoile s’achemine vers moi.« 

Le temps d’une rencontre dans ma chambre d’étudiante avec ces quelques vers, nous sommes, toutes les deux, Caroline l’inconnue et moi

à la fois

le chemin et l’étoile.

Géraldine Andrée

Photo de Valeria Boltneva

Publié dans L'alphabet de l'herbe, Poésie

L’écriture et la connaissance

Écrire nécessite de connaître les choses.

Mais surtout, écrire nécessite de saisir ce que connaissent les choses.

Que savent-elles ?

Que sait l’arbre ? Que sait la pluie ? Que sait le vent ?

Pour cela, il importe, en écrivant, d’être l’arbre, la pluie, le vent,

faire l’expérience, une feuille après l’autre,

du souffle sur chaque goutte.

Écrire le ressenti d’être le monde dans un mot, quand toutes les étoiles sont réunies.

Alors, on ne cherche plus désespérément le puits de l’inspiration.

On accueille l’évidence de ce qui est

à fleur de notre conscience

et on en fait un roman,

une nouvelle,

un poème court

qui célèbre le simple miracle

de nous mener à la connaissance

d’un autre jour.

Géraldine Andrée

Publié dans Journal de silence, L'alphabet de l'herbe, Méditations pour un rêve, Poésie

Les possibles de la page

Suzuki déclare que c’est dans le silence de la méditation
que la présence se révèle
et que le moment qui précède l’illumination
est déjà l’illumination.

Et il se dessine dans la nuit
un chemin de neige dans les Vosges de mon enfance.
Je sais, en marchant, que tout peut apparaître
dans ce blanc :

la trace d’une patte d’oiseau,
la pointe d’une souche,
l’éclat d’un caillou,
un perce-neige précoce,

la frêle feuille
d’une pousse nouvellement née.
Alors, je suis à l’affût,
en me penchant sur la page,

de la moindre trace de l’envol
d’un poème,
d’une virgule qui perle
à fleur de ma plume

– invitation à aller plus loin
que le premier signe -,
du scintillement d’un mot
qui m’annonce une autre saison.

J’observe ce qui surgit
ça et là, dans l’espace
devant moi,
quelle phrase minime

qui, telle une tige
timide,
me promet
sa radieuse croissance…

J’ai conscience
que sur le long chemin de neige
du papier,
l’idée possible

qui précède
mon œuvre
est déjà
une réalité.

Et parce que la discrète
étincelle
est à l’origine
de la flamme la plus haute,

c’est ainsi que j’avance,
en m’éclairant
avec ce silence
initial.

Géraldine Andrée

Publié dans Poésie, Un cahier blanc pour mon deuil

L’aile de papier

Je t’ai trop longtemps retenu captif dans ma mémoire,
toi qui me murmures au cœur de la nuit :
« Je veux être libre. »

Alors, sous la lampe qui m’éclaire juste avant l’aube,
je détache une feuille
de mon cahier de souvenirs

et à la pointe de ma plume qui écrit
ton nom et ce seul mot, Adieu,
crépite l’aile de papier.

Tu t’es envolé.

In memoriam, nuit du 11 au 12 novembre 2018

Géraldine Andrée