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Fais la planche !

Invitation à lâcher prise

Tu te souviens quand tu faisais la planche dans ton enfance ?

Moi, je me souviens. Bras et jambes écartés en étoile. Je suis l’astre de la mer. L’eau se mêle à mes cheveux qui deviennent des algues. L’eau entre dans mes oreilles et le mouvement du courant se confond avec le tempo de mon sang. Je m’adapte aux flux et reflux de l’Univers. J’épouse la vague qui s’avance et se retire. Mieux : je m’y accorde. Je suis le rythme parfait, universel de toute chose. C’est un voyage presque immobile que de faire la planche. On ne se déplace que de quelques centimètres mais on avance dans un autre état de conscience.

J’oubliais ainsi mes problèmes de petite fille : la copine qui avait préféré une autre à moi, les sermons de mes parents, l’inquiétude de la rentrée qui se profilait. Les questions qui me taraudaient la nuit –  » Serai-je dans une classe sympathique ? Pas comme l’année précédente où c’était horrible !  » – cessaient quand je me laissais porter par l’eau. J’accédais ainsi sans bouger, sans fournir aucun effort, sans faire preuve de la moindre volonté, à une petite éternité dont j’étais l’unique horlogère.

Certes, je soupçonnais qu’il pouvait se produire des événements bien plus dangereux en-dessous. Des courants se levaient peut-être des abysses ; des tourbillons surgissaient sûrement des profondeurs. La mer n’était pas calme en son cœur. Des lames de fond étaient susceptibles d’emporter un téméraire esquif. Mais ces tumultes ne me concernaient pas. Ils étaient loin, bien en-dessous de moi, et seule importait la paix de l’eau sous mes reins.

Quand une tempête existentielle s’annonce, que les flots de la vie s’apprêtent à brouiller ta vision de l’avenir, que le rouleau des jours menace de te déséquilibrer, qu’une houle incontrôlable est susceptible de t’emporter dans une direction que tu refuses, souviens-toi comment tu faisais la planche, enfant.

Autrement dit, lâche prise sur les problèmes de fond. Laisse-toi bercer par le courant doux, ténu de l’instant présent. Dispose tes bras et tes jambes en étoile. Suspends-toi entre deux temps.

Comme je ne bénéficie pas de la mer là où j’habite, j’ai trouvé une autre manière de faire la planche. J’écris. La page est ma Méditerranée. Je m’offre au mouvement subtil de l’encre. J’accepte de dériver jusqu’au mot suivant, de franchir des portions d’espace calme, d’apprivoiser l’inconnu sans que je me sente menacée.

En faisant la planche sur la page, je me sens en sécurité. Les problèmes de l’existence n’ont plus prise sur moi car j’existe, indépendamment de quoi ou de qui que ce soit.

Je suis à l’écoute des murmures que provoque l’imperceptible mouvement de mon bras écrivant. Et lorsque j’ai fini, je m’aperçois que mon corps est devenu ce poème qui fait la planche sur les remous de la vie.

Tu peux faire pareil. En écrivant. En peignant. En composant de la musique.

Peu importe ce qui gronde en-dessous de toi. Tu ne peux le maîtriser, de toute façon.

Alors, seuls comptent le corps de ce bouquet de couleurs qui flotte sur le papier, le déhanchement de la gamme, la silhouette de cette poésie tout entière livrée à l’infini.

Ne pense pas à ce qui se trame dans les profondeurs. La Vie te préparera toujours de l’imprévisible.

Mais en attendant, fais la planche
sur ta propre présence.

Géraldine Andrée

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Arrivée sur la rive de ma nouvelle vie

Arrivée sur la rive de ma nouvelle vie, j’ai l’heureuse surprise de retrouver l’anthologie Adolescence en poésie que j’ai déposée par réflexe dans ma valise, entre deux classeurs.

Ce recueil poétique m’a été, lui aussi, un précieux compagnon pendant toutes ces années… Ses poèmes me répondaient et me permettaient de toucher le mystère de la vie, de l’amour, de la mort. Je voulais unir ma voix à celles de Bernadette, Cathie, Nelly, Min-Thu..

Je lisais un poème au hasard alors que ma mère faisait couler l’eau dans la bassine, tinter les assiettes, souffler la cocotte-minute. Tous ces bruits du quotidien en arrière-plan pendant que j’explorais l’univers des silences, des aurores, des planètes au cœur battant… Je m’en souviens encore aujourd’hui.

Et tandis que se tendent les draps de mon nouveau lit, je pars en voyage avec cette amie que je ne connais pas mais qui m’est si familière car nous entrons ensemble dans

« Le goût des vacances au fond de moi

Ce goût de sel

quand

Un rayon d’étoile s’achemine vers moi.« 

Le temps d’une rencontre dans ma chambre d’étudiante avec ces quelques vers, nous sommes, toutes les deux, Caroline l’inconnue et moi

à la fois

le chemin et l’étoile.

Géraldine Andrée

Photo de Valeria Boltneva

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« Je vous parle avec mon cœur », livre coécrit par Axel Ménard-Burgun et Géraldine Muller

La résilience, c’est faire de ses épreuves un livre de Vie.

Il n’y a pas de déterminisme, de fatalité, de chemin tout tracé, dicté par des circonstances extérieures contre lesquelles on ne peut rien.

Nous pouvons tracer notre chemin personnel sur le papier avec une plume qui va nous rendre plus légers.

Je vous parle avec mon cœur est la nouvelle biographie réalisée avec Axel.

Elle nous présente le parcours de la dyslexie vers la résilience car la souffrance est non seulement source d’enseignement, mais aussi elle contient en germe notre guérison.

« Mon désir ? Parler au cœur de chacun, au nom de tous les dyslexiques et de tous ceux qui sont handicapés – qu’ils soient visibles ou invisibles. Que ce récit, qui constitue l’œuvre d’une vie, retrace mon voyage vers la résilience car nous avons tous à apprendre de notre souffrance. Et quelle satisfaction, alors, que d’avoir transformé nos manques en ressources ! Je veux faire de cette longue lettre adressée à tous ceux qui sont rejetés pour leur singularité, un simple signe qui invitera chaque lecteur à mieux les connaître.« 


« Je souhaite faire de ce livre non seulement un témoignage du calvaire que j’ai enduré, mais aussi une preuve selon laquelle on peut transcender ce handicap de la dyslexie, en avançant davantage, en faisant un pas de plus chaque jour, en se dirigeant sans jamais se décourager sur la voie de la guérison. J’utilise désormais chaque instant de ma vie comme l’occasion d’aller un peu plus loin vers moi-même. 

Je veux montrer à tous les enfants et adolescents qui souffrent de ce diagnostic que l’on peut se battre et ainsi gagner en parole, en liberté et en droit de dire au monde qui nous sommes. « 

Pour plus de précision, il est possible de se rendre sur l’article de L’Est Républicain :

https://www.estrepublicain.fr/culture-loisirs/2022/11/01/axel-menard-burgun-combat-espoir-et-resilience-face-a-la-dyslexie

Géraldine Andrée Muller

Écrivain privé-biographe familiale-psychobiographe, spécialisée dans le récit des résiliences et des parcours de vie difficiles

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Nuit bleue

C’est une nuit bleue, celle du solstice de juin.
Une nuit intensément claire mais éphémère, constellée par les lueurs de la zone industrielle, si nombreuses qu’il me semble que le ciel étoilé a glissé devant la fenêtre.
J’aurai bientôt dix-sept ans. J’entends encore en souvenir, dans le silence enveloppant la chambre de mes parents, la chanson Bella Vita de David et Jonathan qui est passée à la radio pendant le dîner, sur le transistor d’argent.
Je regarde longuement la nuit bleue, traversée de reflets rouges à cause des ultimes forges de De Wendel qui brûlent au loin, vers Hayange. Et je me demande qui lira mes premiers poèmes, qui les aimera, qui m’aimera, qui posera ses mains sur mes pages comme si c’était ma peau.
Quel amant de ce que j’écris et que je ne connais pas ? Quel amoureux de ma vie ?

Géraldine Andrée

Et je me demande qui lira mes poèmes, qui les aimera, qui m’aimera… Quel amoureux de ma vie ?
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Écris ta ligne temporelle

Toute petite, je priais Dieu, le soir, couchée dans le noir. Je Lui demandais de changer la réalité. Mais lorsque je me réveillais, ma famille n’était pas plus gentille et les professeurs m’avaient toujours à l’œil.

Pourtant, sans que je m’en aperçoive, une autre réalité – la mienne -, s’est créée sur cette réalité. J’empruntais des livres de la Bibliothèque Verte dans la salle de lecture blafarde de la bibliothèque de ma ville. Et mes héroïnes préférées m’ont accompagnée chaque jour dans ce que j’avais à vivre. Elle partaient avec moi à l’école. Elles me racontaient leur vie pendant la récréation, tandis que j’étais assise sur l’une des marches glacées de l’escalier de pierre, en plein hiver. Alice Roy, en particulier, était ma plus grande amie. Et lorsque je voulais fuir la triste salle de classe toute grise, Oui-Oui, le petit pantin de bois me disait en cachette, installé sur mes genoux : En voiture ! Pour la grande aventure !

Pendant que ma mère se plaignait que sa maison était toute sale, je dansais avec les branches du platane au rythme du vent, devant la fenêtre de ma chambre. Et puis, j’avais ma marionnette, Cathie, qui mettait en scène par la seule entremise de ma main les disputes de famille en y apportant un humour touchant qui me faisait pleurer et rire aux éclats à la fois.


Quand j’ai grandi, j’ai voulu partir. Mais il n’y avait pas grand chose dans ma valise. C’est alors que la Poésie m’a dit : Viens ! Je t’emmène ! Ensemble, nous avons pris le chemin bordé de pins sylvestres jusqu’au chant d’une fontaine enchantée, cachée au cœur d’une forêt d’un autre temps. J’avais suivi la voix d’un poète, dit mineur, qui voyait immensément clair en mon âme.


Certes, la réalité n’avait pas changé mais mon regard sur cette réalité avait bel et bien changé. Si le monde extérieur existait toujours, je possédais, moi, un univers intérieur bien plus grand que ce monde qui, après tout, ne faisait sa révolution qu’autour de lui-même. Et les deux réalités se côtoyaient désormais, sans se heurter.


Et vous, comment vous créez-vous votre réalité quand l’autre est difficile à vivre ?

Vous saurez tout dans cet article !

Géraldine Andrée, article extrait des Mots Positifs
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Je me souviens à la manière de Georges Perec sur le thème de l’Enfance

Je me souviens du flamboiement de la forêt à la fenêtre de la maison disparue
Je me souviens de la gorgée de miel sur mon angine
Je me souviens des brûlures d’ortie que je frôlais quand je marchais dans les herbes folles
Je me souviens du bouquet de la mer qui s’ouvrait par surprise entre deux terres après de longues heures de route
Je me souviens de mon adieu au cèdre du Liban du haut de mes sept ans
Je me souviens de l’odeur d’imprimerie des catalogues de jouets dont je passais commande au Père Noël
Je me souviens des indigestions de brioche
Je me souviens des bâtons de réglisse que je suçais pendant ma varicelle
Je me souviens de la croûte que j’enlevais avec délectation de mes blessures
Je me souviens de ma longue conversation avec le noisetier j’en ai retenu le murmure des feuilles et le grand vague du vent
Je me souviens de la bulle de chewing-gum rose qui a éclaté dans mes cheveux et l’institutrice m’a fait faire le tour des classes ainsi coiffée
Je me souviens de ma rencontre avec l’abeille dans une corolle de rose
Je me souviens de l’odeur de tabac dans le salon de mon grand-père
Je me souviens du minuscule service à thé argenté pour petite fille
Je me souviens de la panthère du tapis persan qui voulait me dévorer de toutes ses dents quand je marchais sur elle
Je me souviens des sauces caramélisées de ma grand-mère
Je me souviens des pleurs et de la morve ravalés sur l’insoluble problème de géométrie
Je me souviens de mon cartable trop lourd dont la lanière me sciait les épaules
Je me souviens d’un pays du Sud qui m’est revenu dans la triste salle d’étude alors que je n’y étais jamais allée
Je me souviens de mon cahier ouvert après avoir marché longtemps dans la neige bleue
Et j’ai compris bien après l’enfance qu’écrire c’est marcher dans la neige tous les jours même lorsque la lumière de l’été accroche sa dentelle dorée aux volets vénitiens
Je me souviens de mes seins qui me faisaient mal quand j’enfourchais mon vélo C’était fini J’avais grandi

Et vous, quels sont vos souvenirs d’enfance ?

Géraldine Andrée

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Le miroir de la mémoire

Au mot mémoire j’associe le mot miroir
La mémoire est un miroir
où se reflète l’éclat des choses passées

le garage à vélos sous le feuillage
la serre de Grand-Père aux plantes entrelacées
les œufs de Pâques cachés sous le noisetier
les vitres vertes de la verrière qui rendaient l’ombre de ma chambre si claire
l’épais rideau derrière lequel j’avais peur de voir surgir le Gnolo ce monstre hydrocéphale
le tablier de Grand-Mère rempli de nèfles
les fleurs de porcelaine bleue des tasses de thé
le fauteuil à bascule sous le soleil de l’après-déjeuner
le vitrail de la porte qui allumait le long de l’escalier des lueurs orangées
le feu de feuilles flétries dont la fumée se dévidait jusqu’aux lisières de la ville

La mémoire est un miroir
où les souvenirs brillent encore
de tous leurs yeux d’or
à la manière des astres morts

Géraldine Andrée

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Grand-mère pour voisine

Je vis aujourd’hui dans le même quartier où vivait grand-mère autrefois.
Grâce aux souvenirs de mon temps passé avec elle, nous partageons les mêmes notes du clocher par-delà le temps.
Je faisais ses courses une fois par semaine quand j’avais vingt ans.
Une fois sortie des cours, je m’achetais un croissant aux amandes que je mangeais tout en me rendant chez elle.
Grand-mère me faisait signe avec sa canne dorée.
Son studio sous les toits fleurait bon la violette un peu fanée et l’eau de Cologne dont elle déposait chaque matin quelques gouttes derrière les oreilles.
Je me souviens bien de ses coussins brodés, de ses poupées en porcelaine, de l’horloge dont la trotteuse scintillait sous la coiffe de verre et surtout, du calendrier accroché près de la fenêtre. Les feuillets se détachaient et les paysages changeaient au rythme de mes visites.
Nous faisions ensemble la liste. Celle-ci ne variait guère : lait, œufs, pain, jambon, quelques pommes de terre, du persil parfois et, quand c’était la saison, le luxe d’une petite barquette de fraises ou de cerises.
J’allais gaiement au magasin V, le panier d’osier de grand-mère à la main, fière de cette responsabilité. Je pense que mon aïeule appréciait davantage ma présence que ces courses que nous disposions ensuite religieusement dans son petit frigidaire.
Quand je revenais, je voyais Claire (c’était le nom de ma grand-mère) qui m’attendait à contrejour. Je restais un peu. Nous discutions de la couleur du temps.
-Cela va ? Me demandait-elle.
-Cela va ! Répondais-je.
Je ne livrais pas mes secrets, encore moins mes peines de cœur.
Un jour, cependant, Claire m’a confié son grand regret : avoir eu quatre enfants qui ont accaparé toute sa vie de femme.
Je m’entends lui répondre :
-Il ne fallait pas les faire !
C’est alors qu’elle a crié, comme touchée en plein cœur par ma flèche de jeune femme maladroite :
-Il n’y avait pas la pilule à l’époque !
Et j’ai songé, en me mordant les lèvres, à la jolie boîte rose et à ses comprimés que j’avais commencé à avaler chaque soir. Je suis partie fâchée par le ton de sa voix. Mais, sur les injonctions de ma mère, je lui ai fait les courses la semaine suivante. Nous nous sommes vite réconciliées. Elle avait autant besoin de moi que moi, d’elle dans cette grande ville où je ne connaissais pas grand monde.
Pour l’anniversaire de mes vingt-et-un ans, elle m’a tendu un billet. Je me suis acheté une robe blanche avec des escarpins à talons. J’ai beaucoup aimé l’écho de mon pas et la danse de ma robe autour de mes jambes quand j’allais remplir son panier d’osier.
L’été a passé. Est venu l’automne puis l’hiver et à nouveau, le printemps. J’étais pressée de grandir, d’aimer, de faire mes propres courses sans demander d’argent à mes parents. D’ailleurs, j’avais rencontré un garçon et je voulais le suivre dans la ville où il avait obtenu son premier poste. J’ignorais alors que cet homme ne m’aimait pas et qu’il me tromperait pour la première venue.
Quand j’ai annoncé la nouvelle à Claire, celle-ci n’a paru nullement troublée et elle s’est exclamée :
-Il faut savoir cueillir l’amour quand il est temps !
Sur le feuillet du calendrier, fleurissait un champ de lis. C’était l’ultime feuillet que je voyais.
J’ai laissé Claire à contrejour pour aller me servir auprès de la vie. Je ne savais pas que mes expériences auraient un goût si amer.
Grand-mère a confié ensuite à ma mère combien elle regrettait mes visites et qu’elle se surprenait à m’attendre quelquefois, l’ombre du contrejour sur ses épaules.
Qu’avait-on inscrit ensemble sur la dernière liste de courses ? Des œufs, du pain, du jambon frais, du lait ? Peut-être des cerises rousses…
« Les boucles d’oreilles du verger, quand on avait, nous, un cerisier ! » disait-elle parfois, lorsqu’il lui arrivait d’évoquer sa jeunesse.
Je suis revenue quelques années après, bien triste et désabusée. Une chose était sûre : je n’aurais pas d’enfant avec cet homme pour lequel j’étais partie.
Et pour grand-mère, c’était trop tard. Elle avait rejoint un temps où l’on ne détache plus les feuillets des calendriers.
Je ne sais pas qui a hérité de son panier d’osier.
Mais il y a une chose dont je suis désormais certaine :
Les notes du clocher qui tintaient au-dessus du toit de son petit studio mansardé retentissent toujours avec la même joyeuse clarté à ma fenêtre.
Et chaque samedi, je fais mes courses chez V.

Géraldine Andrée

Photo de Alexander Nadrilyanski
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Des cornichons au chocolat

Je relis le livre de Stéphanie, Des cornichons au chocolat, alors que j’écris mon récit d’adolescence.
J’ai adoré cette histoire lorsque j’avais le même âge que Stéphanie, quatorze ans. J’en ai fait non seulement mon livre de chevet, mais aussi mon compagnon de route pendant plus d’un an. Je me suis reconnue dans les peines et les rêves, les désillusions et les espoirs de la narratrice. Je me suis retrouvée dans son sentiment d’être incomprise et j’ai partagé sa solitude. Je me réveillais et je m’endormais avec la photo de son visage sur la première de couverture. Je m’en suis fait une amie qui m’a donné l’envie de tenir mon propre journal intime. J’aurais voulu écrire comme elle.

Puis j’ai grandi. Je me suis mise à vivre et plus tard, j’ai appris dans certains débats de la presse littéraire que Stéphanie n’avait jamais existé et que c’était un homme qui revendiquait la paternité de cette héroïne de papier. Je me suis sentie alors profondément trahie dans mon âme d’adolescente qui demeurait enfouie quelque part en moi. Ainsi, toute la profondeur de cette histoire n’était qu’une intrigue inventée. La recette des cornichons sur lesquels Stéphanie saupoudrait du chocolat pour croquer « le goût amer de la vie », comme elle disait, n’avait été pas été expérimentée. Je croyais encore naïvement qu’un journal intime pouvait n’être que sincère, authentique et jamais je n’aurais pu soupçonner que ce genre littéraire pouvait servir la fiction. Blessée, trompée, j’ai abandonné mon journal intime.

Et je retrouve aujourd’hui Stéphanie qui, si elle avait existé et donc grandi, aurait le même âge que moi. Avec le temps, j’ai pardonné cette trahison littéraire. Maintenant que je connais bien Philippe Labro – l’auteur des Cornichons au chocolat – pour avoir lu quasiment toutes ses œuvres, je reprends contact avec les thèmes qui lui sont chers et qu’il avait déjà développés dans ce livre : l’altérité, le sentiment d’étrangeté, le don de percevoir l’invisible, de dire l’indicible, l’interrogation d’une présence divine. Ce roman fait partie de la trilogie, Manuella et Franz et Clara. Mon sentiment de déception, depuis tout ce temps, est passé et – je dois bien l’avouer -, je suis contente qu’un homme ait pu comprendre à ce point les états d’âme d’une adolescente en attente de l’apparition de sa féminité. Je lui suis reconnaissante d’avoir littérairement éprouvé cette empathie pour tant de jeunes filles. Aussi, je relis avec plaisir ce roman qui me prouve que la sincérité peut exister dans la fiction.

Géraldine Andrée