Bienvenue sur mon site d'écrivain privé-biographe et de coach littéraire en Lorraine et ailleurs ! Vois comme elle est belle, mon ami, la Vie ainsi écrite !
Je suis retournée là-bas en rêve et j’ai retrouvé l’empreinte de mes pas sur la terre de l’allée, le feu nacré des roses-thé, les étincelles du rire de Maria, l’ombre bleue du tilleul, et quand j’ai franchi le seuil, l’impression que je n’étais pas seule car il y avait une fenêtre ouverte pour moi dans l’été. À mon réveil, je me suis sentie si habitée par la vie de jadis, que je me suis demandé si l’absence de toutes ces choses, de tous ces êtres n’était pas un rêve et si ce qui m’était revenu, le temps d’une nuit, dans le secret de mes yeux fermés, n’était pas réel…
Beaucoup d’entre nous ont abandonné leur enfant intérieur. C’est comme si, préoccupés par les exigences de la vie, ils l’avaient oublié dans un orphelinat ou un pensionnat.
Et si nous lui écrivions, par cet après-midi d’hiver, une lettre d’invitation pour de grandes vacances ou un long séjour ? Prenons du beau papier à lettre.
Écrivons sur l’en-tête son prénom (le mien est Angello).
Cher Angello, mon enfant,
Premièrement, demandons-lui pardon de l’avoir délaissé. Expliquons-lui les raisons, très sérieuses et cependant fausses, de notre conduite envers lui. Faisons amende honorable. Puis, annonçons-lui en majuscules de couleur que nous serions très heureux de le serrer à nouveau sur notre cœur. Décrivons-lui sa maison, la chambre où il pourra, comme autrefois, continuer à faire des rêves. Proposons-lui des activités insouciantes.
Que veux-tu, Angello ? Que l’on reprenne notre collection de coquillages ? Que l’on chausse de hautes bottes pour marcher dans les feuilles mortes ? Que l’on donne un sobriquet à chaque nuage qui passe ? Que l’on saute dans les flaques ? Que l’on modèle des visages avec de la pâte tendre ? Que l’on colle de grands posters dans ta chambre ? Que l’on achète un large chapeau de magicien ? Que l’on dénoue le sachet de billes sur le tapis ? Que l’on appelle une fée si tu as la fève ? Que l’on danse jusqu’à perdre le souffle ? Que l’on se perde avec plaisir dans les buissons ? Que l’on fasse une fugue au clair de lune ? Que l’on contemple jusqu’à minuit la voûte céleste ? Que l’on écrive un message ensemble sur la buée de la fenêtre ?
Adressons-lui une liste de propositions qui lui semblera infinie. Traçons sur notre lettre un long chemin de découvertes.
Nous verrons peut-être se raviver dans le reflet de l’encre des cauchemars que nous avons refoulés. Dans ce cas, promettons à l’enfant d’être là, et de l’aider au matin à dessiner ce terrible dragon pour que ce dernier sorte de lui et qu’ainsi, à jamais figé sur le papier, il ne l’embête plus.
Je t’ai acheté, Angello, une myriade de confettis, des guirlandes, du papier doré qui bruit. Toutes les choses agréables de jadis t’attendent car après toute cette vie, tu n’as pas grandi.
Enfin, signons la lettre de notre nom de père ou de mère. Notons notre adresse sur l’enveloppe puisque c’est à cette adresse que se situait l’orphelinat ou le pensionnat qui redeviendront une vraie demeure pour notre enfant intérieur. Le cachet de la poste fera foi.
C’était une ardente après-midi de printemps. J’avais attendu, dans le plein soleil tout étoilé de pollens, que ma mère vînt me reconduire chez nous à la sortie de l’école. Dans la voiture, je cherchais mon souffle. En rentrant à la maison, je respirais de plus en plus difficilement, de plus en plus désespérément. Je m’assis, exténuée, dans la cuisine baignée de lumière. Lorsque j’inspirais, mon souffle cheminait très lentement dans mes bronches comme si des obstacles s’étaient dressés à son passage, puis s’en retournait par ma bouche avec des râles rauques. L’air gonflait mon estomac comme un ballon de baudruche. Pour franchir le cap de chaque instant, je fixais les fleurs de la nappe. Il y en avait des mauves, des roses, des blanches. Je ne faisais que cela: regarder les fleurs une par une, comme si je les cueillais patiemment dans un grand champ. Et je me disais, sans ces mots que j’écris dans mon journal d’aujourd’hui, mais avec le silence de ma pensée presque inconsciente:
« Tu as vécu un instant de plus, puisque tu as vu une fleur de plus. »
Le docteur consultait à six heures. Ma mère m’y emmena d’urgence. En m’auscultant, le docteur décréta que je faisais une crise d’asthme et qu’il me fallait une injection de cortisone. De toutes mes forces d’enfant, je refusai l’injection de cortisone; ma détermination eut raison de mon étouffement. Pour la première fois, je CHOISISSAIS. Je posais un acte libre du haut de mes onze ans.
Lorsque nous rentrâmes à la maison, l’asthme avait cessé ; je respirais mieux. Dès que je vis un moment difficile, je songe à chaque instant de mon souffle, au souffle de chaque instant. Cela me rend plus libre dans le déterminisme apparent d’une situation : je sais que je suis la seule souveraine de l’adéquation qui existe entre l’éclosion de mon souffle et l’instant présent.
Écrire la nuit au rythme de la musique des poésies, des récits et me souvenir de ces longs voyages nocturnes avec des morceaux d’Enya qui remplissaient l’habitacle de la voiture.
La route s’éclairait au fur et à mesure que nous avancions tout comme le mot allume la lueur du mot suivant. De chaque côté de la vitre, c’était le désert de l’Atlas et de frêles touffes d’herbes brunes qui apparaissaient devant les phares.
L’écriture et le voyage ont un point commun : la confiance en sa propre trace, quels que soient l’intensité du noir, la faiblesse de la lampe, la sécheresse qui menace.
En ces temps où nous pouvons faire peu de choses, je bénéficie d’un grand luxe : celui d’écrire dans mon journal, et d’être heureuse de le faire, peu importent les humeurs que j’y confie.
J’ai souvenance que mon père, grâce à un montage électrique qu’il avait inventé, programmait qu’une lampe s’allumât toute seule dans l’une des chambres lorsque nous partions longuement en vacances, ceci pour dissuader les éventuels cambrioleurs.
Ainsi, à minuit, une petite lampe de chevet brillait derrière la fente des volets. Le passant pouvait croire la maison habitée.
Mon père est feu aujourd’hui.
C’est pour cela, je crois, que j’écris des poèmes au coeur de la nuit, sous le fêle halo d’une ampoule blanche.
Je veux être, par le mouvement de l’encre dans le silence, cette énergie électrique qui allume une lueur au fond de l’absence.
Elle avait arrêté d’écrire. Elle avait abandonné son journal intime très loin dans l’obscurité de l’armoire. Elle l’avait chassé de sa mémoire.
Elle avait arrêté d’écrire pour ne pas perdre son temps, pour ne pas se retarder car elle avait son histoire d’amour à vivre. Alors, elle s’est précipitée dans ses sensations. Elle a connu l’ardent, le vif, les fleurs puis les larmes, le temps coupant de l’attente, la fièvre sans espoir d’apaisement, la colère aux tempes battantes, l’entaille indicible de l’âme. Elle s’est jetée à corps perdu dans le nom de l’Amour. Elle s’est abîmée dans ses émotions.
Un matin où elle s’est réveillée seule dans le silence aux mille portes closes, elle s’est acharnée à comprendre. Et elle s’est souvenue de son journal. Elle l’a délivré de la nuit, honteuse comme si elle avait trahi un ami.
Elle a fixé la page blanche qui succédait à son ancienne vie. Elle aurait voulu y voir notées les différentes étapes de sa douloureuse traversée. Elle aurait souhaité retrouver les mots du beau temps qui précède la tempête. Elle aurait beaucoup donné au passé pour pouvoir se relire avec ses connaissances du présent. Il lui paraissait si urgent de se comprendre.
Mais il était trop tard. Rien de ce qu’elle avait vécu n’était écrit. Comment pourrait-elle guérir de cet abandon ?
Alors, elle écrivit cette phrase qui résumait toute son expérience :
« Si l’on n’écrit pas pour vivre, on écrit pour revivre. »