Je me souviens de ma solitude d’adolescente quand je tenais un cahier de poèmes juste pour moi-même. C’était un cahier grand format, à la couverture rouge et brillante.
Je me promettais d’y recopier chacun de mes poèmes proprement et définitivement.
Mais lorsque j’en relisais un au matin, il était rare qu’un vers ne me déplût pas.
Alors, je recommençais à écrire le poème. Je lui infligeais toutes sortes de formes, de tournures et de variantes.
A la fin, il prenait sa place au centre de la page et je collais en un feuillet les pages qui avaient servi à le faire naître pour que, plus tard, si jamais une main inconnue ouvrait par curiosité le cahier, elle ne vît pas ces preuves de mon labeur que je ne trouvais guère élégantes.
J’étais exigeante : le poème devait donner l’impression de s’être déposé spontanément sur la feuille comme un oiseau ayant réussi son vol.
Mais Dieu ne destina pas ce cahier à d’autres mains que les miennes.
C’était un cahier sans voix ni regard. Présent offert à un silence prolongé.
Toute seule à me lire, je feignais la découverte.
Je levais les poèmes dans le jour et j’appréciais la sveltesse de leur forme, le reflet d’encre de leurs mots où le soleil se mirait, comme dans une belle eau. Et si mes rimes sautillaient telles des jeunes filles de joie en joie, alors, j’étais fière.
Je posais le cahier sagement fermé sur la table, certaine de le retrouver le lendemain et d’y écrire un autre poème à défaire, à parfaire, au gré de ma volonté.
J’avais beaucoup de courage à l’âge de seize ans. Ce n’était guère facile d’être à la fois juge et partie de ma création. C’était un lourd secret que d’écrire sans rien lire à un auditoire, sans jamais rien montrer.
Mais les jours s’écoulaient ainsi. Je n’éprouvais pas le sentiment de les dépenser inutilement.
J’avais une conscience aiguë de ce que je faisais.
J’étais « celle qui écrit toute seule dans sa chambre ».
Les années ont passé.
J’ai envoyé plus tard mes poèmes à des concours littéraires. Beaucoup ont été primés.
Puis, j’ai tenu des blogs. Aujourd’hui, on trouve mon pseudonyme sur internet.
Et lorsque personne ne laisse une trace de son passage parmi mes textes, lorsque personne ne vient me lire, lorsque tout le monde se désintéresse de mes mots, je me console d’un souvenir.
Elle n’est pas si lointaine, ma solitude d’adolescente, quand je tenais un cahier de poèmes juste pour moi-même.
Ce cahier grand format, à la couverture rouge et brillante, m’a appris l’autonomie, l’indépendance par rapport au regard d’autrui.
Désormais, j’emploie les images que je veux sans me préoccuper de ce qu’un éventuel lecteur pourra en penser.
Je suis libre d’écrire ce que me dicte ma voix intime sans me départir de cette exigence personnelle qui me définit.
Je ne sais ce qu’est devenu ce cahier d’adolescente. Il s’est sans doute perdu au fil des déménagements.
Mais je n’oublie pas qu’il fut mon plus fidèle compagnon de vie.
Et que c’est lui qui m’a élevée à la hauteur de mon désir d’écrire lorsque je levais ses feuilles dans le soleil de mes jeunes journées, pour faire envoler peut-être les poèmes qui s’y étaient déposés.
Géraldine Andrée
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