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Je suis née ici

Je suis née ici pour écrire
la couleur de la terre quand les brumes se lèvent
le frêle bruit des feuilles foulées
les noisettes dans les tabliers des écoliers

le givre au bord des fenêtres
les étincelles bleues de la neige sous le pas
le craquement du bois
la flamme qui traverse un murmure d’ami

la nouvelle constellation de bourgeons
la seconde qui ajoute son éclat à la seconde précédente
un souffle si large qu’il rassemble toutes les fleurs
pendant que le petit nuage blanc prend tout son temps

l’explosion silencieuse du foin dans l’air
la porte du jardin ouverte jusque tard dans la nuit
les mirabelles fendues
d’où sourdent quelques gouttes de sucre

Je suis née ici pour écrire
la ronde des visages mêlée à celle des saisons
la perpétuelle enfance qui recommence
dans la mémoire

Je suis née ici pour relire
le journal de ma grand-mère
en faire un livre d’heures
où sonne le temps du retour

de ce que l’on croyait à jamais perdu
une joie un espoir
une étoile vibrante
que découvre soudain la nue

Je suis née ici pour écrire
dans les traces de ma grand-mère
en allée là-bas
faire de chaque souvenir un présent

qui dure

Géraldine Andrée

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Tu veux écrire parce que le temps passe.

Tu veux écrire parce que le temps passe et qu’il te faut garder un souvenir de ce que tu as vécu : l’enfance, le murmure des sous-bois dans le vent, le regard du premier amant, la famille réunie dans le jardin juste avant que l’aïeule ne s’éloigne.

Mais l’encre, c’est le temps. Les mots sont des secondes. Assise, tu ne peux ignorer que le mouvement de ta plume t’emmène toujours vers l’instant suivant.

Phrase après phrase, tu vieillis.

Et si tu atteins déjà minuit, c’est parce que le temps passe trop vite quand tu écris.

Mais peut-être qu’un jour, l’heure de chance sonnera. Quelqu’un trouvera l’un de tes cahiers, parmi tous ceux dispersés lors des déménagements.

Quelqu’un que tu ne connais pas encore, un ami, un petit-enfant prendra le temps à rebours en tournant les pages.

Et il reviendra vers les longs cheveux de l’enfance,  le bercement des sous-bois, la peau de l’amant, la joie du jardin, le sourire de l’aïeule – tout ce qui fut éphémère car trop vite vécu, tout ce que la volonté de mémoire des mots ne réussira jamais à ressusciter complètement.

Quelqu’un qui se voudra fidèle à ton espoir initial suivra à son rythme le fil de l’encre,

s’arrêtera puis continuera le chemin, toujours plus proche de ce que tu souhaitais revivre.

Et lorsque le temps sera venu de refermer le cahier, ton lecteur te dira, à toi peut-être disparue :

Bien sûr que cela fut.

Puissance de ce temps du verbe « être » au passé

qui  contient en une syllabe toute l’éternité.

 

Géraldine Andrée

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Parce que l’écriture

Parce que l’écriture permet de retrouver notre état d’enfant, ce « parlêtre » comme le disait Lacan, d’avant les traumatismes,

Parce que l’écriture est ce pont qui nous guide jusqu’aux épreuves les plus anciennes que l’on parvient enfin à nommer,

Parce que l’écriture est une force qui ramène le non dit de l’inconscient à la lumière de la conscience,

Parce que l’écriture qui avance sur la page fait reculer la mort,

Parce que l’écriture inscrit en nous ce rendez-vous avec notre force fondamentale, à l’origine de notre naissance,

 

Parce que le thérapeute-biographe vous aide à trouver les mots non seulement pour écrire, mais aussi pour vivre et être l’auteur de votre vie,

 

L’écriture est un remède avec effet désirable,

Celui de vivre davantage.

Géraldine Andrée

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Les femmes du temps jadis

Les femmes du temps jadis n’avaient pas le droit de découvrir d’autres pays, d’acheter des couleurs, de dresser leur chevalet sous la lumière des jours.

Ne sachant pas lire pour la grande majorité, elles ne pouvaient pas non plus écrire. Et les mots pour dire leurs joies, leurs chagrins, leurs passions, la flamme de leur âme qui leur montait aux joues, ne laissaient pas de trace. Envolés comme la lueur d’un fétu de paille au vent.

Ces femmes suivaient toujours le pas d’un père, d’un frère, d’un époux.

Gratitude au temps d’aujourd’hui où les femmes peuvent acheter toutes les couleurs et tous les pinceaux qu’elles veulent, où le ciel de nouveaux paysages est à la portée de leur désir…

Le travail de la femme que je suis, auteure-biographe (et j’insiste bien sur « auteure » au féminin), est de poser sur la page les mots que les aïeules ont prononcés pour elles seules – ces mots qui disaient si bien l’espoir et l’attente profonde que le coeur du monde change.

Faire de chaque page ce chevalet où se succèdent des tableaux que certaines ont peints en secret avant de les recouvrir d’un voile ;

faire éclore en chacune de leur voix cette étoile qui brillera au-dessus de la trace de leurs propres pas ;

tel est le rêve, je crois, de chaque femme biographe,

métier où enfin

l’on ne distingue plus le masculin… du féminin.

 

Géraldine Andrée

L’Encre au fil des jours

 

Women from time to time had no right to discover other countries, to buy colors, to erect their chevalet under the light of the fields.

Not knowing for the great majority, they could not write either. And the words to say their joys, their sorrows, their passions, the flame of their soul, which stood in their cheeks, did not leave a trace. Gone like the glow of a straw fétu in the wind.

These women always followed the footsteps of a father, a brother, a husband.

Gratitude to today’s time where women can buy all the colors and brushes they want, where the sky of new landscapes is within reach of their desire…

The work of the woman I am, author-Biographer (and I insist on a female author), is to put on the page the words that the aïeules have spoken for themselves – those words that said so well the hope and the deep expectation that the heart of the world changes.

Make each page that chevalet where the paintings are followed by the paintings that some have painted in secret before covering them with a veil.

Make each of their voices bloom that star that will shine above the mark of their own,

This is the dream, I believe, of every woman biographer,

Occupation where finally

There’s no distinction between men and women.

 

Géraldine Andrée

Ink over the days

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Pourquoi faire écrire une biographie ?

A l’heure où tout va vite, où l’on vit dans l’instantanéité, voire dans un constant sentiment d’urgence, entreprendre une biographie avec un écrivain privé biographe, c’est prendre le temps de se souvenir et d’éprouver ces souvenirs ; c’est entrer dans l’éternité de la mémoire.

A l’heure où il est difficile de communiquer les uns avec les autres malgré tous les moyens modernes de communication mis à notre disposition, contacter un écrivain privé biographe pour mettre au monde son récit de vie ou une vraie fresque familiale, c’est retrouver le moment de l’écoute, de la compréhension, première étape vers une écriture fidèle au souvenir.

A l’heure où les noyaux familiaux se sont éclatés au gré des mutations, des licenciements, des deuils, des divorces, se constituer un projet biographique permet de renouer avec ses racines pour mieux s’épanouir ensuite. Saisir les clés du passé, c’est ouvrir la porte du meilleur futur possible.

A l’heure où le monde moderne nous prive des véritables couleurs, saveurs, senteurs, redécouvrir, au détour d’un mot, le jardin savamment entretenu d’une grand-mère, le mordoré d’une confiture faite maison, les brindilles de paille qui constellent l’air au temps des moissons, l’ondulation d’une fumée au coeur des hivers d’autrefois, est un inestimable trésor.

A l’heure où la jeunesse est en quête parfois désespérée d’une origine et d’une identité, écrire une biographie, c’est lui léguer les visages et les noms de ses ancêtres, la noblesse d’une demeure familiale, le chant d’un pays. Savoir d’où l’on vient permet de tracer sa route plus loin.

Prendre rendez-vous avec un écrivain biographe,

c’est s’asseoir, se faire écouter, être témoin du tracé de la vie sur le papier ;

c’est entendre comment le souffle d’une phrase redonne souffle au cher aïeul disparu ;

c’est renouer le dialogue avec l’indicible –  ce que l’on croyait condamné à jamais au secret, à l’enfouissement dans la mémoire ;

c’est contempler dans les mots la grâce d’un regard aimé ;

c’est continuer la conversation avec ses aïeux dont le silence n’est en vérité qu’une illusion.

Faire écrire une biographie coûte cher (2000 à 2500 euros en moyenne), le prix d’une armoire familiale ou d’un beau voyage.

Mais une fois le travail réalisé, on repart avec son comptant – de sensations, d’émotions, de compréhension.

On est comblé car on a transformé un patrimoine jusque là matériel en patrimoine immatériel, sentimental et peut-être même spirituel.

On a accompli le plus beau des voyages – à travers soi et les siens.

On se sent devenir racine de cet arbre généalogique.

On repart avec le livre de sa vie, certes, mais aussi un livre vivant.

Faire écrire une biographie, c’est s’engager avec toute sa famille, présente ou absente, existante ou décédée, en faveur de la Vie !

 

Géraldine Andrée

 

 

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Un cas concret d’écriture autobiographique : la forme achevée des souvenirs

Je soumets à Berthe, lors de la séance suivante, ces deux témoignages qu’elle valide car elle sent que sa voix est restituée. Il est désormais temps pour nous de définir clairement le projet qui doit appartenir, selon son souhait, au genre du « récit de vie ».

Dans cette optique, je demande à Berthe pour qui elle veut écrire : Berthe m’indique qu’elle veut d’abord écrire pour elle, pour se libérer de ce sentiment d’urgence qui l’habite depuis sa jeunesse, né de la peur d’être – comme elle l’a dit – « arrachée aux moments qui comptent le plus. » Elle ajoute que ce récit de vie s’adresse également à ses proches, surtout ses petites-filles auprès desquelles elle désire témoigner de l’éducation stricte qu’elle a reçue à son époque, éducation qui a façonné tant de jeunes filles dans un modèle, voire un carcan de « savoir vivre » qui empêchait l’épanouissement de l’Être.
« Que mes petites-filles prennent conscience de la chance elles ont d’avoir une éducation libérée aujourd’hui, une éducation qui leur donne la chance d’être à l’écoute de leurs désirs et de se rapprocher au plus près de ce qu’elles veulent faire, de ce qu’elles veulent devenir ! »

Ce récit intime possédera donc une dimension universelle, puisqu’il restitue la voix d’une jeune fille appartenant à l’ancienne génération et s’adressant aux jeunes filles de la nouvelle génération. De même, il illustrera un cahier d’or, « le cahier des jeunes années », substitut du journal intime perdu, que Berthe a préparé « pour laisser une trace de son passage sur cette terre » ; il accompagnera en tant que « légende personnelle » les trois photographies que je rends à ma narratrice.

Ensemble, nous définissons d’autres orientations à donner à l’écriture.

Les deux récits obéissent tout naturellement à une structure chronologique : le texte décrivant l’arrachement à la maison de Beaujour vient en premier ; lui succède le texte évoquant la délivrance du pensionnat du Luxembourg. Cette structure chronologique devient, de ce fait, circulaire, car les futures lectrices que sont les petites-filles de Berthe devineront qu’à cet épisode succédera un nouvel arrachement ; et ainsi de suite ; telle est, en effet, l’alternance qui a dominé la jeunesse de ma narratrice.

Cette structure chronologique conditionne aussi une structure thématique. Les deux textes seront construits sur des réseaux d’antithèses : la nuit qui s’annonce et le gris du pensionnat s’opposent à la lumière du jardin retrouvé ; les cheveux liés contrastent avec les cheveux déliés ; les vieilles galoches sont remplacées par de légères sandales d’été ; les motifs des fruits se gâtant et du brin de senteur se desséchant sont supplantés par le motif des senteurs qui s’exhalent dans l’air… Ces antithèses confrontent les deux univers qui ont marqué la psychologie de Berthe et l’ont intérieurement divisée. La douleur, exprimée sous forme d’images précises, pourra ainsi être mise à distance. L’écriture imagée donnera peut-être le pouvoir à Berthe de se sentir enfin en paix avec elle-même et réconciliée avec son adolescence.

Quel temps dois-je utiliser ? Nous décidons, d’un commun accord, que j’emploierai le présent pour les deux textes : un présent de narration qui aura pour effet d’actualiser le souvenir, de le rendre plus intense, de lui donner un effet d’immédiateté afin que, paradoxalement, il puisse perdre ensuite de son emprise.

Les deux textes seront-ils écrits en langue courante ou soutenue ? Berthe a reçu une éducation littéraire dans les institutions elle a fréquentées ; ses parents étaient lettrés ; son père lisait beaucoup et il était passionné d’œuvres d’art. Pour cette raison, le style sera soutenu, sans être pédant. Berthe demande à ce que les termes employés parlent à son coeur ; en effet, des « paysages – états d’âme » sont évoqués. L’emploi d’une langue poétique, qui ne sera pas ampoulée, conviendrait donc à l’expression d’une telle nostalgie. Mais cette langue exclut l’usage du vers dans lequel Berthe ne se reconnaîtrait pas. Une musicalité délicate – créée par les images, le rythme singulier de certaines phrases, les échos sonores – rapprocherait les textes du poème en prose, genre susceptible de donner à voir les deux univers. Lors de la séance suivante, j’apporte les travaux rédigés.

Je rentre toujours trop tôt au pensionnat. 
Bien sûr, j’ai joué longtemps sous les branches et les ombres mauves du jardin annoncent la nuit.
Mais je rentre toujours trop tôt au pensionnat.
Mes bottines blanches du dimanche claquent sur les dalles grises du couloir. Il me faut promptement les enlever et chausser les galoches de la semaine. Quand je roule mes cheveux en chignon, une feuille perdue tombe de l’une de mes mèches et se dépose sur la vieille table de bois. Je range dans la profonde armoire, à mon grand regret, les robes légères promises à l‘oubli. Ma chère colline bleue a quitté mes yeux. La fenêtre de ma chambre s’ouvre sur d’autres fenêtres semblables et sur une cour très commune. Je rapporte souvent de la maison les premières cerises de la saison que je dispose dans une coupe. Hélas ! Elles se gâtent vite ! Les journées d’étude sont si longues que je ne songe pas à les manger… Il est aussi ce brin de senteur que je trempe dans un verre d’eau fraîche pour que son parfum se prolonge de jour en jour. Il se dessèche malgré mes soins. Et un soir, après un devoir, je m’aperçois que sa senteur s’est tarie. Je cherche, suspendu peut-être quelque part, le frêle fil de son parfum : en vain.
Je ne peux rien y faire. Je m’éloigne doucement du souvenir de mon beau dimanche. Et la perspective des vacances suivantes est si lointaine que je me sens, en les espérant, exilée de moi-même.
Je rentre toujours trop tôt au pensionnat.

Mais lorsque j’ai barré tous les jours d’étude du calendrier et que la dernière note de la cloche tinte dans les longs couloirs, je sais que c’en est fini de ma solitude : je rentre à la maison de Beaujour ! Madame Paule m’attend à la grille. Dès que je suis sortie du pensionnat gris, j’ôte mes vieilles galoches ; je chausse mes sandales fines que j’ai à moitié cachées dans mes poches devant Sœur Cécile; je monte dans la voiture blanche.
Pendant le voyage, le soleil fait danser ses rayons sur mon front et je fredonne sans cesse : 
« La la la les vacances ! Tous les jours à Beaujour, ce sera dimanche ! » 
Quand je pénètre dans ma chambre aux volets clos derrière les feuilles, je respire la bonne odeur de confiture chaude de reines-claudes. 
Vite ! Je me débarrasse du poids de ma valise ; je vais à la penderie ; je décroche ma robe à bretelles et à volants fleuris ! 
Devant l’œil rond du miroir, je dénoue en un seul geste mon chignon et je cache l’épingle de fer noir dans le tiroir de la coiffeuse. Je retrouve comme de vieux amis mes cheveux longs, mes cheveux blonds. 
Puis, je dévale l’escalier tout brillant de cire pour embrasser Flore, Alain, Cathou dont les doigts constellés de grains de farine se posent sur mes joues. Le chat se frotte à mes jambes. Je l’accompagne dans le jardin ou c’est lui qui me guide à pas de silence… Les senteurs des plantes s’élèvent, enivrantes, dans l’air. L’herbe, un peu sèche, craque sous mes pieds.
Au fond du jardin, la petite barrière est ouverte. Malgré l’interdiction, je sors en cachette. Comme il bat fort, mon cœur ! 
Je veux précéder le bonheur…

J’ai présenté ces poèmes en diptyque pour bien marquer l’opposition entre les deux univers. Je me suis surtout attachée à enrichir certaines images poétiques : en effet, Berthe a évoqué « l’emprisonnement » et « la liberté » à notre première rencontre et j’ai noté moi-même, en consultant les photographies qu’elle m’avait confiées, des mots comme « rigueur », « obéissance » opposés à des termes comme « insouciance », « rêverie ». Aucun de ces mots n’est fidèlement repris dans les deux récits de vie ; en revanche, tout un réseau lexical renvoie à chacun des deux thèmes que sont « l’emprisonnement » et « la liberté ». Et pour accentuer la structure à la fois thématique et chronologique, j’ai désiré matérialiser les sentiments, concrétiser les impressions : il en est ainsi du « frêle fil » du parfum dispersé dans la chambre au bout de quelques jours de captivité – motif ajouté par rapport au témoignage retranscrit, de même que « la cour très commune » vue en photo qui s’oppose aux « feuilles » voilant « les volets clos ».
J’ai voulu, en outre, préciser chaque sensation éprouvée par la narratrice : l’odeur de « confiture chaude de reines-claudes » est  « bonne » ; le miroir a un « œil rond » – personnifier le miroir renvoie ainsi la jeune fille à la reconquête de son identité et de sa féminité perdues lors de sa scolarité au pensionnat du Luxembourg. Les échos sonores comme les allitérations de fricatives (« le frêle fil de son parfum ») ou de palatales appuyant sur la voyelle du « o » fermé (« volets clos », « reines-claudes ») renforcent cette dimension sensorielle à laquelle Berthe était si sensible jadis et que le souvenir aiguise.
Quant aux phrases qui reviennent dans les textes ou qui constituent une chute, elles sont mises en valeur à chaque fois par un alinéa : il en est ainsi de la tournure répétitive « Je rentre toujours trop tôt au pensionnat » et de la phrase finale « Je veux précéder le bonheur ». Un parallèle peut donc être fait entre les deux temporalités précoces, le fait que Berthe rentre trop tôt du pensionnat – et donc qu’elle veuille encore s’attarder à la maison de Beaujour – contrastant avec son empressement à vivre à la fin du second texte.

Dix heures m’ont été nécessaires pour effectuer un tel travail : cinq heures ont été consacrées à ma rencontre avec Berthe. Ces heures comprennent l’entretien initial, la transcription des deux témoignages, la soumission des témoignages rédigés, le dessin de l’écrit et enfin la restitution de l’écrit définitif. Les cinq autres heures ont été consacrées à mon travail personnel – l’une fut utilisée pour l’analyse des photographies et de la situation personnelle de Berthe ; les deux autres heures ont été employées à la rédaction des témoignages ; les deux heures finales m’ont permis de rédiger les poèmes. Une telle exploration aura duré trois semaines.
Le 30 mai, Berthe a validé les deux récits de vie. Elle a ensuite acheté son cahier d’or dans lequel elle a mis en page les photographies et les poèmes. Il n’est pas exclu que j’écrive pour elle d’autres récits de vie. Elle m’a dit qu’elle avait retrouvé la même façon de rire que lorsqu’elle était jeune fille ; les mots avaient remplacé la nostalgie par la joie.
Mais à notre grand regret, l’aventure s’arrêtait là, sur cette difficile et néanmoins fabuleuse expérience qu’est le partage de l’indicible entre l’écrivain public et son client.

Telle est la démarche biographique de mon entreprise.

Donner des mots à la Vie !

Donner Vie aux mots !

Tel est mon rêve, depuis l’enfance.

Donc, à bientôt,

à la fenêtre des mots !

 

Géraldine Andrée Muller

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Les mains de ta grâce

Je me souviens
de la grâce
de tes mains :
lorsqu’elles passent

le chiffon
sur la glace
de la grande
armoire,

elles déposent
un voile
de noces
sur toute chose

dont on voit
battre
le coeur
en transparence

et elles déroulent
autour
des ailes
de leurs gestes

un tissu
de silence
aussi subtil
que la brume

des aurores
qui révèle
l’or
des collines.

Je me souviens
de tes mains
pleines
de grâce

et je voudrais
trouver
un mot
qui leur redonnerait,

tel un miroir,
fidèlement
vie
dans ma mémoire,

mais c’est la tige
vibrante
d’un chant
qui monte

de mon cœur
à ma gorge,
comme si tes mains
la faisaient éclore

à chaque instant
qui compose
ton immense
silence.

Géraldine Andrée

Tous droits réservés@2017

 

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On est presque au Nouvel An !

J’avais à peine six ans.

J’avais été comblée de cadeaux.

Je me souviens :

ma grand-mère assise près de la fenêtre, dans le rayon bleu gris d’une fin d’après-midi de Noël.

On n’avait pas encore allumé les lampes.

Ma grand-mère portait son pull fleuri avec lequel elle est partie dans un lointain pays.

Soudain, nos éclats de rire d’enfants se sont éteints, comme si nous savions…

Les mains de ma grand-mère, tout étoilées de fleurs de cimetière, se sont levées à la hauteur de son coeur et je l’ai entendue dire, en joignant à la parole ce même geste vif qu’elle faisait lorsqu’elle cueillait des herbes folles :

-Cela va si vite ! On est presque au Nouvel An !

Que de nouvelles années se sont écoulées depuis ces mots…

Aujourd’hui,

en cette fin d’après-midi de Noël,

il est un rayon bleu gris

qui ressemble à celui de jadis,

tout près de la fenêtre.

Le temps est presque prêt pour que ma grand-mère vienne s’asseoir à la fenêtre

et chuchote en silence ces deux paroles uniques qui enjambent tous les jours de ma vie

depuis le lointain Noël de mon enfance :

– Cela va si vite !

On est presque au Nouvel An !

 

Géraldine Andrée

 

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Tu as toujours aimé les orages

Toi, si calme, si discrète, tu as toujours aimé les orages.

Tu te réjouissais d’entendre cette cavalcade qui franchissait la colline.

Tu allais au-devant de l’éclair qu’annonçait ce solennel roulement de tambour.

Jeune fille, tu te précipitais à la fenêtre pour assister au vif concert de la grêle, à la violente symphonie des cordes de la pluie. Ton visage était là, juste derrière la vitre giflée par l’eau.

Tu as écrit dans ton carnet d’adolescence : « C’est le spectacle qui termine une journée morne. »

Après le passage de l’orage, tu contemplais le jardin bouleversé : les arbres échevelés, les pétales détachés des fleurs et qui jonchaient l’herbe, le carré de roses piétiné.

Mais cela ne t’inquiétait pas : tu savais que le jardin reprendrait de la vigueur dans la lumière du lendemain matin et que s’il s’ébrouait longuement dans le vent, c’était parce qu’il soignait l’ultime étape de sa toilette.

 

Toi, si pudique, tu aimas passionnément. Ton coup de foudre pour André marqua ta vie à jamais. Chaque nuit, dans la solitude de ta chambre, tu rêvais de ton union avec ce garçon doux qui jouait du violon à la perfection.

Hélas ! L’orage de la guerre brisa ton grand amour. L’éclair blanc d’une lettre t’annonçant un soir de printemps son décès au front de Verdun te fendit le coeur.

Tu appris à vivre avec ce deuil qui allait changer définitivement le cours de ta vie.

 

Toi, si aimante, tu te résignas à un mariage de raison avec un ingénieur qui te délaissa vite pour des filles au café. Tes jours étaient rythmés par les orages silencieux de l’adultère. Tu fermais les yeux. Il est impossible de détourner la course du Destin. Tu t’habituas avec ta douceur coutumière au ciel morne de ton existence.

Guère douée pour la révolte, tu ne déclenchas aucun orage.

 

Je suppose que certains soirs, devant ton miroir, tu te surpris à espérer un miracle qui pourrait te délivrer de cette vie non choisie, à  croire en l’apparition fulgurante d’un autre homme sur le cheval de la chance et qui t’emmènerait loin de ta propre image.

Tu égrenais souvent le chapelet. Tu savais que Dieu était capable de faire surgir de sa main bien des orages salvateurs.

Mais ce ne fut qu’une prière. Si cette dernière avait été exaucée grâce à l’ardeur de ta dévotion, aurais-tu vraiment suivi l’élan de ton coeur ?

Tu n’avais pas été éduquée pour prendre une semblable décision.

L’éventualité d’un tel orage t’attirait en même temps qu’elle te faisait peur.

Puis, les enfants te firent oublier ton désir de liberté.

 

La fougue de ton âme, tu l’as confiée à tes cahiers intimes.

Tu savais qu’ainsi, cela ne prêterait jamais à conséquence.

Toi, si docile, tu fus cette poétesse ardente qui m’offre aujourd’hui dans tes pages la sève du jardin perdu de Montmorency comme si c’était ton sang, le baume de la lumière mêlant les senteurs de la terre après l’averse, le regard qui luit une fois le chagrin passé, le souvenir du pétale de ce très ancien baiser sur ton visage.

Oui, à ta façon de me faire la louange de la Vie,

je vois

que tu as toujours aimé ses orages.

 

Géraldine Andrée,

Ta petite-fille

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Silence et souffle

Je sais

pourquoi

il est

ce profond

silence,

 

certains

soirs :

c’est

pour mieux

entendre

 

ton souffle,

aile

frêle

qui passe

de tes lèvres

 

à ma conscience,

preuve

que la vie

existe

dans la mort.

 

Géraldine Andrée