Tu veux écrire parce que le temps passe et qu’il te faut garder un souvenir de ce que tu as vécu : l’enfance, le murmure des sous-bois dans le vent, le regard du premier amant, la famille réunie dans le jardin juste avant que l’aïeule ne s’éloigne.
Mais l’encre, c’est le temps. Les mots sont des secondes. Assise, tu ne peux ignorer que le mouvement de ta plume t’emmène toujours vers l’instant suivant.
Phrase après phrase, tu vieillis.
Et si tu atteins déjà minuit, c’est parce que le temps passe trop vite quand tu écris.
Mais peut-être qu’un jour, l’heure de chance sonnera. Quelqu’un trouvera l’un de tes cahiers, parmi tous ceux dispersés lors des déménagements.
Quelqu’un que tu ne connais pas encore, un ami, un petit-enfant prendra le temps à rebours en tournant les pages.
Et il reviendra vers les longs cheveux de l’enfance, le bercement des sous-bois, la peau de l’amant, la joie du jardin, le sourire de l’aïeule – tout ce qui fut éphémère car trop vite vécu, tout ce que la volonté de mémoire des mots ne réussira jamais à ressusciter complètement.
Quelqu’un qui se voudra fidèle à ton espoir initial suivra à son rythme le fil de l’encre,
s’arrêtera puis continuera le chemin, toujours plus proche de ce que tu souhaitais revivre.
Et lorsque le temps sera venu de refermer le cahier, ton lecteur te dira, à toi peut-être disparue :
Bien sûr que cela fut.
Puissance de ce temps du verbe « être » au passé
qui contient en une syllabe toute l’éternité.
Géraldine Andrée