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La plume retombée

La plume
traverse la page.
Elle vole comme un oiseau à fleur de terre,
effleurant si légèrement le papier.
Puis, dans l’espace au-delà du point final, elle retombe.
Elle ne fait désormais plus partie du ciel.
Il ne reste que le souvenir de la vie qu’elle a déposé là,
entre deux feuilles,
c’est-à-dire un nid de mots tressés,
destiné à un autre oiseau de passage
– ton regard,
peut-être,
qui sait ? – …

Géraldine Andrée

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Viens, mon ombre, je t’invite à boire un cappucino !

Viens, mon ombre, je t’invite à boire un cappucino chez moi. Il fait beau dans mon salon. 
Assieds-toi juste en face de moi, au soleil.
Qu’as-tu à me dire ? Quels silences ? Quels interdits ? Quels non-dits ?
Confie-moi ce qui te hante.
Raconte-moi ce que tu n’as pu évoquer au bon moment.
Les regrets de l’inaccompli.
Les remords de l’inachevé.
L’inéluctable sentiment qu’il est à jamais trop tard.
Je vais tout noter sur ce cahier blanc.
Cette transparente matinée de printemps est idéale pour les confidences. 
Je sais, mon ombre, que toi et moi, nous avons longtemps été ennemies.
Je voulais te laisser sur le seuil et fermer la porte, te laisser pleurer à l’infini, sans te secourir.
Mais aujourd’hui, je souhaite me racheter. Et si nous nous réconcilions ?
Je peux éclairer avec mes yeux toutes tes angoisses, t’apporter mon regard, t’apaiser avec mon souffle.
Ta présence fidèle malgré mes rejets répétés m’a beaucoup appris sur moi-même.
Aujourd’hui, je suis devenue beaucoup plus tolérante et j’accepte que tu me révèles toutes ces parts cachées de moi-même, que tu me désignes ce qui doit être percé à jour et exploré – quels abcès, quelles blessures, quels cauchemars.
Invite-moi, à ton tour, à entrer dans ma douleur en suivant la trace de mes cicatrices intérieures.
Je sais que tu peux remettre sur la table – à côté de ce cappucino que j’ai bien sucré pour que tu oublies le goût amer de la vie -, les conversations interrompues avec Lui, quelques jours avant qu’il ne meure, tout ce que l’on ne s’est jamais dit et que l’on ne se dira plus, l’essentiel,

ces choses muettes pour toujours 
la dernière promenade où il m’a désigné l’arbre centenaire
et alors j’aurais dû savoir qu’il me désignait l’éternité parce qu’il allait disparaître
mais pourquoi n’ai-je pas respecté ma prémonition obéi à mon instinct

Oui, mon ombre, je vais faire pour toi la liste de tous les j’aurais dû, les actes manqués, les situations condamnées à être irrésolues.
Finalement, j’ai de la chance de t’avoir, mon ombre.
Il est un récit qui m’a profondément marquée dans mon enfance :
L’Homme qui a perdu son ombre d’Adelbert von Chamisso. Ce récit raconte la sombre destinée du héros Peter Schlemilh, qui échange son ombre, sur la requête de l’homme en gris, contre la bourse de Fortunatus. Quel effroi pour Peter condamné à errer sur la terre sans que son double soit projeté sur le sol ! C’était comme s’il était infirme, amputé de lui-même.

Et me reviennent en mémoire ces vacances espagnoles. Alors que j’avance sur le petit sentier qui mène à la mer, tu es projetée, mon ombre, en plus grand sur la pierre ensoleillée. Je comprends ainsi que tu seras l’amie qui m’accompagnera tant que je marcherai, que j’avancerai sur le chemin, que je vivrai.

Toi, mon alliée, tu me montres l’autre côté de moi-même, le reflet de mon passage que je laisse sur toute chose en ce monde. Si tu existes, tu es la preuve que je suis éclairée.
Il m’est impossible d’être uniquement Lumière. Sinon, je serais une scène que des projecteurs éclaireraient pour personne. Je ne peux être uniquement zénitude, beauté, bonté. En effet, la bonté coexiste avec la révolte car la révolte invite à être plus généreux envers soi-même et les autres, en demandant davantage à l’Univers. De même, un rayon de soleil illumine davantage une flaque noire, comme l’écrivait Etty Hillesum, puisqu’il en perce toutes les ténèbres.
La laideur d’une rue au petit matin m’invite à chercher la fleur au-dessus d’une grille. C’est parce que j’ai vu la laideur que je prends davantage conscience de la beauté inhérente à toute chose, pourtant condamnée à la flétrissure.
C’est parce qu’il y a de la lumière que tu existes, mon ombre. La lumière te sculpte, t’effile. Elle me permet de prendre conscience que, de même que tu t’accroches à mes pas, tu suis le mouvement de ma main sur la page. Tu es là, ineffaçable, inaliénable parce que si tu t’en vas, la clarté disparaît avec toi. C’est toi qui condenses la flamme de la bougie dans l’instant de mon regard.

Aussi, prenons ensemble ce cappucino, mon ombre.
Et rions avec gratitude de mon erreur qui m’a incitée à te confondre avec la solitude.
En vérité, il n’en est rien,
car c’est grâce à toi que j’existe. 
Chaque matin désormais, je répondrai aux signes que tu me fais.
Et j’écrirai.

Géraldine Andrée

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J’écris à une amie au loin

Quand je tiens mon journal, j’écris à une amie au loin.

Cette amie m’est complètement inconnue. Comment s’appelle-t-elle ?

Elle peut très bien vivre au-delà des brumes, quelque part en Nouvelle-Angleterre, mais aussi habiter sur l’autre rive, là où rayonne la constellation des fenêtres éclairées des immeubles modernes.

Et qui dit que cette amie n’habite pas juste en face de chez moi ?

Je la vois rentrer, allumer les lampes, accrocher son manteau à la patère, enlever la barrette qui emprisonnait ses mèches et déployer le soleil de sa chevelure devant le miroir.

Quand nous dormons, nos rêves s’entremêlent peut-être. Nous partons ensemble sur un sentier que personne n’a jamais foulé et la trace de nos pas s’inscrit, toute neuve, toute fraîche dans la terre. J’écris pour suivre notre trace.

Et j’aime penser que cette amie m’écrit aussi, qu’elle sait que j’existe, que je pense à elle, même si nous ne nous sommes jamais rencontrées.

Elle aussi se demande devant la page de son journal comment je m’appelle. Elle adresse ses poèmes à mon regard tant espéré.

Nous avons tous un ami lointain auquel nous pouvons écrire.

Quand j’écris, j’enjambe des ciels jusqu’à Elle, je tresse des ponts au milieu de l’espace blanc, je suis la funambule de mon encre. 

Quand je vais à la ligne, je me rapproche de cette amie. 

Est-ce parce que j’ai foi en notre rendez-vous quelque part, dès cet instant ou le suivant, que j’entends une voix me répondre fidèlement comme si elle m’avait entendue au bout de ma solitude ?

Je vais bien ! Je vis ! Je respire ! J’existe pour toi ! Tu existes pour moi ! Et je peux te le dire :

Tu approches de la vérité ! Tu es dans le Vrai quand tu écris ! Ne se voit-on pas au-delà du masque dans le reflet du miroir ? Sais-tu que nous existons ensemble depuis bien longtemps ? Nous ne nous sommes jamais quittées même si tu as cru pendant longtemps que j’étais inaccessible ! J’incarne tous tes rires, tous tes désirs, tous tes possibles !

Et alors, je sais à cet instant précis où j’écris ces phrases qui me semblent venues de loin que mon amie est bien plus proche de mon cœur que je ne le crois. Et si elle me connaissait par cœur ? Il suffit que je l’écoute dans la nuit blanche de la page pour avoir une réponse certaine qui se manifeste sous forme de signe, c’est-à-dire la majuscule du premier mot qui ouvre mon texte.

Cette amie vit sur l’autre rive, de l’autre côté du fleuve du silence que, d’une seule phrase, j’enjambe.

Cette amie, c’est Moi.

Géraldine Andrée

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C’est un cahier tout simple

C’est un cahier tout simple, en vérité,
un cahier qui, comme on dit,
« ne paie vraiment pas de mine »,
un cahier à la reliure brune
comme les prunes flétries
en automne,
un cahier aux feuilles
si fines
que la mine
d’un crayon
les transperce
ou que l’encre les traverse
si l’on souhaite écrire
avec une plume.
Et en tournant la page,
l’on peut lire
à l’envers
les méandres
des phrases.
On sait alors
que l’on est arrivé
de l’autre côté.
Ce papier
un peu jauni
possède,
cependant,
l’éclat
d’un miroir.
Et je revois
comme si les jours
de jadis
passaient
devant mes yeux
le sourire
de mon grand-père,
les fleurs
du cerisier,
la mosaïque bleue
du couloir
de la maison
de vacances,
la cabane de bois
près de la rivière
et le chapeau
de Claire
qui dépasse
entre les herbes
sauvages.
C’est un humble cahier,
fait pour la profondeur
de ma poche,
mais ce cahier
a changé ma vie
car il a métamorphosé
mon regard
sur tous ces instants
que je croyais morts
et qui, pourtant,
habitent
comme des enfants
ma mémoire.

Géraldine Andrée

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La thérapie de la poésie

Je suis profondément attristée par le sort que l’on réserve à la poésie, dont les livres sont fréquemment cachés dans le fond d’une librairie, sur une modeste étagère. On réduit trop souvent la poésie aux récitations scolaires de notre enfance. La poésie est généralement associée à l’inutilité. « Elle ne rapporte rien ». Au mieux, c’est un passe-temps ; au pire, c’est une perte de temps que de lire un poème. Je ne disserterai pas ici sur les qualités esthétiques de la poésie qui me semblent évidentes. En effet, l’une des fonctions de la poésie me paraît comme primordiale et c’est cette fonction que je veux évoquer dans ce billet.

La poésie possède un merveilleux pouvoir thérapeutique dans nos vies.

Je me souviens qu’enfant, je me précipitais à la bibliothèque pour emprunter des recueils poétiques qui me faisaient oublier l’odeur des feutres séchés, les cris de la cour de récréation, les formules sibyllines des leçons. En ouvrant, par exemple, un recueil des poésies de Lamartine, jauni par le temps qui l’avait oublié, là, entre deux romans à la mode, j’entrais dans le jardin de Milly. Et je n’étais plus seule, entourée de ces feuilles.

Incomprise par ma famille, j’ai entrepris de faire des fugues. Mais par peur et impuissance acquise, je faisais en sorte que celles-ci avortent toujours. J’ai alors trouvé un autre moyen de « me sauver ». Je partais sur l’immensité d’Oceano Nox de Victor Hugo. Ou la mère de Maurice Carême m’ouvrait la porte de sa maison et je me retrouvais attablée avec le poète, devant une tartine de miel blond.

Mon oncle m’avait offert une épaisse Anthologie de la poésie française. Je découvrais que, dans un poème, il n’y avait plus ni frontière ni interdiction. J’étais au rendez-vous de l’angélus de Francis Jammes ou des abeilles qui bourdonnaient dans les corolles du Cœur Innombrable d’Anna de Noailles. À mes propres yeux, je disparaissais, ce qui signifiait que je me sentais inatteignable. Plus personne ne pouvait me toucher du doigt ou par un propos acerbe.

La poésie sauve nos vies.

Beaucoup de prisonniers ont survécu grâce à la poésie. Certains – surtout s’ils se savaient condamnés – gravaient des vers dans les murs des cachots. Des déportés des camps de la mort ont trouvé en eux la force de résister grâce à des poèmes. Quelques-uns cousaient des vers à l’intérieur de leur chemise rayée. Oui, la poésie peut devenir manteau. Non seulement, ces vers leur tenaient chaud, mais aussi ils ranimaient leur souffle par le contact des mots avec leur peau. Les soirs, des femmes récitaient des poèmes pour entrapercevoir l’aurore de leur libération.

En effet, tant que l’on est à l’intérieur d’un poème, c’est-à-dire tant qu’on le dit ou qu’on l’écrit, rien ne peut nous arriver. Au moment où l’on se balance sur un vers, aucun ennemi ne peut surgir, aucun instant ne peut bouleverser notre existence – même si celle-ci est déjà abîmée. On est bien à l’abri, dans le refuge de la beauté. La poésie nous protège, parce qu’elle nous ancre/encre dans l’ici et maintenant.

La poésie nous emmène vers nous-mêmes.

C’est en marchant que le jeune poète Arthur Rimbaud a composé les poèmes de ses Cahiers de Douai.
De même, par une froide et noire nuit d’hiver où je devais traverser la ville, seule, j’ai récité pour moi-même les vers de son poème Sensation :

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme.
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature – heureux comme avec une femme.

Ce poème m’a rassurée durant mon trajet glacial. C’était comme si je marchais avec un ami intime, bien connu de mon âme. Au-delà de l’hiver, luisait en moi, telle une étoile, la certitude du prochain été.

Par son rythme qui se mesure en nombre de pieds, la poésie est indissociablement liée à la marche.

Et si l’on est contraint à l’immobilité, prisonnier comme je l’ai écrit plus haut, ou alité et malade ?

La poésie, par son bercement, nous permet – quelles que soient les circonstances – d’aller de l’avant.

C’est ainsi que, solitaire et enfermée dans ma chambre d’adolescente, j’ai recopié de nombreux poèmes dans un cahier bleu. Je me laissais porter par le crissement de la plume sur le papier et par l’encre qui brillait avant de sécher. Les mots coulaient de source. J’étais à la fois le voilier et l’océan. En recopiant les poèmes que j’aimais, je me projetais dans le rêve d’écrire les miens.

Où que nous soyons, la poésie nous emmène vers nous-mêmes.

La poésie est prière exaucée.

En ayant « recours au poème » – pour reprendre le titre d’une revue de poésie en ligne -, j’ai pu expérimenter le caractère incantatoire du vers. Le poème répété devient mantra. Mais la particularité de cette prière est qu’elle est exaucée à l’instant même où on la formule. Combien de fois ai-je ressenti l’apaisement demandé en reprenant – même silencieusement – un vers de Verlaine ou de Baudelaire ? Je pense que le Divin est à notre écoute dans un poème. Il attend simplement que l’on fasse de la poésie – comme de toute autre forme d’art – acte de foi. Et cet acte passe par la parole.

Je vous livre ici quelques extraits de poèmes à « utiliser sans modération » lors de situations difficiles.

  • Pendant une longue attente dans le cabinet d’un médecin :

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici.

Extrait du poème Recueillement de Charles Baudelaire

  • Pour espérer – toujours et encore :

La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
Une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée.

Extrait du recueil Derniers Poèmes d’amour de Paul Éluard

  • Pour rendre grâce aux lieux perdus :

Revenir sur mes pas, refaire doucement
– et cette fois, seul – tel voyage
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc…

Extrait du poème Nostalgie des lieux de Rainer Maria Rilke

  • Pour apprendre à lâcher prise :

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir.

Extrait du poème Les Roses de Saadi de Marceline Desbordes-Valmore

  • Pour attirer l’abondance :

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

Extrait du poème Green de Paul Verlaine

Que la Poésie soit votre amie pour la Vie.
Au nom de la Vie, dédiez à chaque jour
un poème.

Bibliographie :

Anthologie de la poésie française de Georges Pompidou, édition Calmann-Lévy
Soyez poète de votre vie, Jacques de Coulon, Petite Bibliothèque Payot
Revue de Poésie et de Mondes poétiques
https://www.recoursaupoeme.fr/

Géraldine Andrée

Publié dans Poésie

Un poème du temps lointain

« Je n’ai pas été vivre dans la capitale ;
Je lui ai préféré les monastères de montagne.
La saveur de ce qui est sans saveur : là est ma joie.
Mon talent fut d’être sans talent. J’ai vécu ainsi.

Je suis moi-même. Pourquoi vouloir être un autre ?
J’ai vu le monde. Je suis retourné vivre aux champs.
J’ai des amis : un pin, un bosquet de bambous.
J’ai des frères : les oiseaux du ciel,
les fleurs de la montagne,
le soleil et le vent.
« 

Quelle chance ai-je, vraiment,
de lire un poème du temps lointain,
un poème de la Chine ancienne,
qui date de mille-cinq-cents ans,
un poème de Sin K’I-TSI.
Quand le Poète a écrit ces lignes,
je n’existais pas.
Alors que je lis ces lignes aujourd’hui,
le Poète n’existe plus.
Je l’imagine
traçant au pinceau
chaque mot,
dans la lumière veloutée
d’un crépuscule d’été
qui filtrait à travers
sa fenêtre de monastère,
une lumière qui a existé,
bien avant que je ne sois née.
Le Poète ignorait que quelqu’un
– comme tant d’autres sûrement –
accueillerait dans sa chambre
ces vers écrits
comme s’ils étaient contemporains
aux années deux-mille-vingt.
Et moi, quand je suis venue au monde,
j’ignorais que le destin me mènerait
à la clarté profonde
de ce poème.
Telle est la vérité, à mon sens,
de la Poésie :
faire de l’Autre
– qu’il soit Poète ou Lecteur –
son prochain
à travers le temps
et fixer depuis le début d’un millénaire
cette rencontre
sans que l’un et l’autre se connaissent.
Aussi ai-je la chance,
vraiment,
d’avoir à la hauteur
de mon cœur
un poème aussi lointain,
tandis que la lumière veloutée
de ce crépuscule
entoure
la dernière
strophe,
telle une fenêtre
ouverte à tous
les signes.

Géraldine Andrée

Publié dans écritothérapie

Le journal de thérapie

Lorsque j’ai entamé une thérapie pour guérir de mon enfance, je me suis aperçu que le processus thérapeutique se poursuivait bien au-delà des séances ponctuelles chez le thérapeute. 

J’ai eu alors l’idée de m’acheter un cahier pour y noter mes progrès, mes douleurs réactivées, mes réminiscences, mes souvenirs, mes bilans et mes nouveaux projets à partir du changement de regard sur certains événements de ma vie. 

Il faut savoir que le psychisme est un flot ininterrompu de pensées. Il est perpétuellement en métamorphose. Le temps de l’inconscient ne s’arrête jamais et il travaille sans cesse, il est toujours en alerte puisque, même quand nous dormons, il nous envoie des messages sous forme de rêves. Au fur et à mesure de la progression de ma thérapie, mon univers onirique est devenu plus évocateur, plus vivace. J’ai pris soin de noter mes rêves chaque matin. 

Par ce travail régulier, j’ai remis en marche le processus du souvenir et un soir, sous ma douche, l’origine de mon blocage est revenue par un épisode précis de mon enfance. C’était comme si j’avais la scène sous mes yeux – le jardin, la lumière, le mouvement du vent dans les arbres, la couleur et la texture de mes vêtements. J’ai décrit cette scène dans mon cahier rouge de l’époque. Ainsi, le flux de mon psychisme avait ramené cet abus à ma conscience et j’ai pu en faire part à ma psychologue de l’époque. Le verrou d’un blocage avait sauté. 

Pour que tes séances de thérapie soient plus efficaces, n’hésite donc pas à tenir un journal de thérapie. Inscris-y  

  • Ce que tu ressens avant les séances : as-tu peur ? Qu’appréhendes-tu précisément ? 
  • Ce que tu ressens après les séances : soulagement, tristesse, autres attentes… 
  • Tes frustrations : souvent, la séance se termine alors que nous aurions encore tant de choses à dire ! Note ce que tu n’as pas pu dire ; ceci constituera le matériau de réflexion de la prochaine séance. 
  • Tes espoirs : Qui espères-tu devenir après cette thérapie ? Décris précisément cette nouvelle personne, physiquement, moralement. Quels nouveaux vêtements aimerais-tu porter ? Quelle serait ta nouvelle coupe de cheveux ? Fais la liste des qualités que tu souhaiterais posséder ou activer (confiance en toi, affirmation de toi, estime personnelle, dynamisme, optimisme, charisme…) 
  • Tes projets concrets : ceux à long terme (changer de travail, déménager, te mettre en couple ou, au contraire, divorcer) et ceux à court terme (réorganiser ton quotidien, faire tes pages du matin, t’acheter des fleurs deux fois par semaine, aller nager, te remettre au sport, écrire un livre). 
  • Tes attitudes, tes nouveaux comportements : “Désormais, je penserai plus à moi”, “je dirigerai moins la vie des autres”, “je lâcherai prise face à ce que je ne peux contrôler”. 
  • Tout ce qui peut te faire plaisir : commencer cette trilogie qui t’attend dans ta bibliothèque, acheter un fauteuil confortable, te concentrer sur ton art… 
  • Ce qui dépend de toi (l’initiative, la gratitude, la discipline pour faire aboutir ce qui est cher à ton cœur) de ce qui ne dépend pas de toi (le comportement des autres, les circonstances sociales et géopolitiques, la vie en collectivité). Tu placeras ainsi davantage le focus sur ce que tu peux accomplir dans ta vie, indépendamment des réactions d’autrui. 
  • Ce qui te mobilise pour poursuivre cette thérapie en notant l’élément déclencheur :” j’ai rompu avec Julien ; je sais que je dois améliorer ma vie sentimentale mais, au-delà, ne dois-je pas améliorer ma relation avec moi-même ?” 
  • Comment tu te sens avec le thérapeute : à l’aise ? En confiance ? Ou, au contraire, éprouves-tu quelques réticences ? Ces précisions seront précieuses lorsque tu devras surmonter le transfert thérapeutique, étape incontournable à la guérison psychique. 

L’écriture entre les séances de thérapie remobilise le psychisme qui a pu être figé sur le temps d’un traumatisme. Par le mouvement de la main et le flux de l’encre, elle l’éloigne d’un passé stérile pour permettre l’écriture de l’avenir. 

Géraldine Andrée

Extrait de mon livre à paraître

Écrire te guérit / La pratique du journal de guérison

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Fais la planche !

Invitation à lâcher prise

Tu te souviens quand tu faisais la planche dans ton enfance ?

Moi, je me souviens. Bras et jambes écartés en étoile. Je suis l’astre de la mer. L’eau se mêle à mes cheveux qui deviennent des algues. L’eau entre dans mes oreilles et le mouvement du courant se confond avec le tempo de mon sang. Je m’adapte aux flux et reflux de l’Univers. J’épouse la vague qui s’avance et se retire. Mieux : je m’y accorde. Je suis le rythme parfait, universel de toute chose. C’est un voyage presque immobile que de faire la planche. On ne se déplace que de quelques centimètres mais on avance dans un autre état de conscience.

J’oubliais ainsi mes problèmes de petite fille : la copine qui avait préféré une autre à moi, les sermons de mes parents, l’inquiétude de la rentrée qui se profilait. Les questions qui me taraudaient la nuit –  » Serai-je dans une classe sympathique ? Pas comme l’année précédente où c’était horrible !  » – cessaient quand je me laissais porter par l’eau. J’accédais ainsi sans bouger, sans fournir aucun effort, sans faire preuve de la moindre volonté, à une petite éternité dont j’étais l’unique horlogère.

Certes, je soupçonnais qu’il pouvait se produire des événements bien plus dangereux en-dessous. Des courants se levaient peut-être des abysses ; des tourbillons surgissaient sûrement des profondeurs. La mer n’était pas calme en son cœur. Des lames de fond étaient susceptibles d’emporter un téméraire esquif. Mais ces tumultes ne me concernaient pas. Ils étaient loin, bien en-dessous de moi, et seule importait la paix de l’eau sous mes reins.

Quand une tempête existentielle s’annonce, que les flots de la vie s’apprêtent à brouiller ta vision de l’avenir, que le rouleau des jours menace de te déséquilibrer, qu’une houle incontrôlable est susceptible de t’emporter dans une direction que tu refuses, souviens-toi comment tu faisais la planche, enfant.

Autrement dit, lâche prise sur les problèmes de fond. Laisse-toi bercer par le courant doux, ténu de l’instant présent. Dispose tes bras et tes jambes en étoile. Suspends-toi entre deux temps.

Comme je ne bénéficie pas de la mer là où j’habite, j’ai trouvé une autre manière de faire la planche. J’écris. La page est ma Méditerranée. Je m’offre au mouvement subtil de l’encre. J’accepte de dériver jusqu’au mot suivant, de franchir des portions d’espace calme, d’apprivoiser l’inconnu sans que je me sente menacée.

En faisant la planche sur la page, je me sens en sécurité. Les problèmes de l’existence n’ont plus prise sur moi car j’existe, indépendamment de quoi ou de qui que ce soit.

Je suis à l’écoute des murmures que provoque l’imperceptible mouvement de mon bras écrivant. Et lorsque j’ai fini, je m’aperçois que mon corps est devenu ce poème qui fait la planche sur les remous de la vie.

Tu peux faire pareil. En écrivant. En peignant. En composant de la musique.

Peu importe ce qui gronde en-dessous de toi. Tu ne peux le maîtriser, de toute façon.

Alors, seuls comptent le corps de ce bouquet de couleurs qui flotte sur le papier, le déhanchement de la gamme, la silhouette de cette poésie tout entière livrée à l’infini.

Ne pense pas à ce qui se trame dans les profondeurs. La Vie te préparera toujours de l’imprévisible.

Mais en attendant, fais la planche
sur ta propre présence.

Géraldine Andrée

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Les cartouches d’encre

Je me souviens :
c’était une belle après-midi de septembre comme Dieu n’en fait plus.
Au retour du rendez-vous chez le podologue que j’avais réservé pour soigner ton ongle incarné,
nous sommes rentrés dans la librairie-papeterie du quartier,
toi parce que tu voulais acheter une carte pour Les Jumeaux comme tu disais, moi parce que je voulais renouveler mon matériel d’écriture.
J’ai pris deux cahiers, l’un mauve, l’autre bleu.
Comme je ne savais lequel choisir,
je t’ai demandé ton avis.
« Prends celui que tu préfères ! »
M’as-tu dit.
Et je m’entends encore te répondre :
« Non ! Je prendrai celui que toi, tu préfères ! »
Tu m’as désigné le cahier aux reflets bleu clair
comme l’océan fiancé à la lumière.
J’ai pris aussi sur l’étalage
des cartouches d’encre noire
pour que les mots durent longtemps
dans la trace que je confierais au temps.
Lors de notre passage à la caisse,
tu as déclaré :
« C’est moi qui offre ! »
J’ai riposté :
« C’est beaucoup trop ! »
Après une dispute sur le ton de la tendresse,
il fut convenu que tu me ferais le présent
des cartouches d’encre.
Tu mourus au mois d’octobre.
De nombreux jours se sont écoulés
sans que j’écrive.
Je me contentais de vivre.
J’ai même rangé les cartouches
d’encre noire
au fond d’un tiroir.
J’avais peur de laisser s’en aller à jamais ta présence
au fil de l’encre,
à chaque instant annoncé
par un mot nouveau,
et d’être ainsi l’auteur
de la dissolution de ta mémoire
dans l’espace blanc.
C’est seulement quatre ans après cet achat
qui, sans que je le sache alors,
ressemblait
à un cadeau d’adieu,
que j’ai inséré ce matin
la première cartouche
que tu m’as offerte
dans mon stylo plume
qui a aussitôt quitté,
alerte,
les bords du papier.
Et – peut-être que tu le vois,
de là où tu demeures –
la majuscule de la phrase initiale
possède la grâce
de la fleur
qui revient
à fleur de chemin.

Géraldine Andrée