Le lait des mots dans la vie d’une écrivaine
Aux premières heures de sa vie, elle tenta de téter sa mère. Mais il n’y avait pas une seule goutte de lait sur ses lèvres.
Assoiffée d’amour, elle chercha une autre épaule maternelle sur laquelle se reposer en ce bas monde. Sa quête demeura vaine.
Elle voulut alors s’abreuver au lait des étoiles. Hélas ! Celles-ci étaient beaucoup trop lointaines !
Au cœur de sa solitude, elle découvrit les mots. Chacun était une goutte précieuse pour sa vie. Elle s’en gorgeait quand le silence remplissait sa chambre. Plus tard, elle ressentit combien les poèmes – ceux qu’elle lisait et ceux qu’elle composait elle-même – la désaltéraient.
Elle sut ainsi, de jour en jour, que son cœur était une outre pleine de ce lait universel qui la traversait, avant de s’épancher sur chaque feuillet.
Cette outre intérieure dont elle sondait la profondeur et l’inépuisable abondance, c’était la Poésie.
Un matin, elle écrivit avec contentement, au centre de la nouvelle page blanche, avec son encre habituelle, d’un bleu laiteux :
Je suis nourrie.
Assurément, elle pouvait créer des constellations et tracer des chemins lactés qui y menaient. Alors, la peur du manque et de la soif s’effaça. Le chagrin de sa prime enfance se tarit.
Elle écrivit. Elle guérit.
D’aube en aube, le lait bleu de ses poèmes la désaltérait quand il passait par sa bouche et franchissait ses lèvres.
Au soir de sa vie qu’elle avait dédiée à sa mission
Faire perler sur toutes les bouches, partout où je vais
les mots jaillis de mon cœur de lait,
elle inscrivit sur la couverture de son ultime cahier :
J’ai nourri la Vie.
Géraldine Andrée
