Ma mère me dit :
-Regarde mes ongles comme ils sont longs ! On dirait une sorcière !
ça ne va pas du tout !
J’emprunte un coupe-ongles à une infirmière.
Chacun de ses doigts est dans ma main.
L’ongle se détache dans un petit claquement et tombe en silence.
Il se confond tellement avec le blanc du carrelage que l’on ne le retrouve pas.
Une fois que c’est fini, ma mère me désigne de son index ses autres doigts.
-Celui-là est réussi !
Puis elle ajoute avec le même souci de perfection et d’exigence à mon encontre
que lorsque j’étais enfant :
-Celui-ci beaucoup moins ! Essaie encore…
Disparues, les dissensions d’une vie. Effacés, les désaccords.
Seule compte la petite faille d’un ongle mal coupé que je régularise
dans une fin d’après-midi grise.
Je crois qu’elle ressemble à cela la paix, désormais :
au claquement léger du coupe-ongles
et à la rencontre de nos doigts,
pour la première fois.
Géraldine Andrée