Bienvenue sur mon site d'écrivain biographe, de biographe familiale, d'écrivain privé et de coach littéraire en Lorraine, en France et ailleurs ! Vois comme elle est belle, mon ami, la Vie ainsi écrite !
Ce jour qui était écrit est arrivé. La valise est prête. Dedans, ont été rangés la robe de printemps au col ouvert comme une corolle, le maillot de bain bleu uni en une seule pièce, la collection de barrettes, un sachet de sucettes multicolores, Le Petit Prince de Saint-Exupéry, du papier à dessin, des feutres et la poupée Annie. Mon enfance s’en va pour des vacances qui dureront toute une vie. Mais mon enfance me dit :
« Je t’écrirai des lettres où je te raconterai comment j’ai sauté dans la vague, comment j’ai accroché toutes mes barrettes, tels des papillons, sur mes mèches de soleil, comment j’ai partagé mes sucettes avec une amie plus petite que moi, comment j’ai maquillé avec mes feutres le visage d’Annie pour les noces de l’astre et de la rose et comment ma robe en corolle annonce d’autres métamorphoses.
Ces lettres, je te les enverrai pendant toute ton existence pour que tu n’oublies pas que j’existe, pour que tu saches, malgré les épreuves, comment vivre et pour que tu en fasses un grand livre de dons et de grâces dédié au jour ultime. »
Les jours où je me consacre entièrement à l’écriture, je porte mon parfum préféré, mon parfum merveilleux et inspirant, qui mêle les senteurs de la mandarine, du miel, du jasmin avec les deux notes enlacées du gardénia et de la fleur d’oranger en son cœur.
Je le vaporise dans mon col de laine tout en songeant à l’idée précise d’un poème.
Et j’avance au fil de l’encre qui fleure bon la terre des sous-bois
vers la vanille des gâteaux, les bâtons de réglisse, le livre emprunté à la bibliothèque de la plage, le cuir de mon cartable, l’herbe trempée par la rosée dont la lumière du matin est tout infusée, le lait pour la peau de bébé, le savon de Marseille qui éclaircit le linge, le foin coupé, la peinture à huile, la colle qui relie les pages de mon premier journal intime que je me suis artisanalement fabriqué.
Le parfum de ma journée d’écriture m’invite à écrire sur d’autres fragrances de mon enfance.
C’est ainsi que je peux débuter une biographie avec vous. Il suffit d’une seule odeur qui vient – celle du pain chaud, par exemple, de la mandarine ouverte, de la cire qui fond sous la flamme, au cœur d’un Noël très ancien – pour que le récit de votre vie, la vie de votre récit commence.
Je vous propose, tout au long de ces vacances, des textes sur l’été. Amour, mort, inspiration, enfance, sexualité, découverte, écriture, attente et résilience… Tels sont les thèmes de ce recueil
Un troublant été.
Un troublant été
Elle pleure dans ses feuilles.
Elle pleure, tête penchée sur son cahier de mathématiques, son cahier qui n’a rien à lui dire. Elle vient encore de se faire humilier par cette enseignante à lunettes, au nez pointu comme un bec d’aigle.
Elle ne se souvient plus du motif. C’est sans doute bien véniel. Les larmes montent à ses yeux, débordent, dessinent de gros ronds gris sur le papier. Son chagrin fait des taches. Elle risque encore d’être punie pour cela. Cette prof la regarde pleurer, fixement, non sans une certaine jouissance.
Le soir, au retour de l’enfer, elle écrit. Elle lie amitié avec d’autres feuilles. Le papier l’écoute et reformule ses confidences sous forme de poésies.
Elle ne peut pas dire qu’elle écrit des poèmes, non. Elle dirait plutôt que ce sont les poèmes qui s’écrivent en elle. Des mots lui deviennent familiers comme « désarroi » qui rime avec « foi ». Elle donne la parole à une maigre jeune fille en robe blanche, à une morte qui espère renaître. Elle fait d’un long poème un sentier qui traverse plusieurs feuilles. Écrire, c’est sa force, déjà. Son pouvoir intérieur qui lui permet de résister au quotidien. Comme elle tient un cahier intime, elle sait qu’elle n’est pas toute entière livrée aux autres, que quelque chose d’elle, d’essentiel leur échappe, Quelque part, elle les dupe sur son image. Elle est davantage que ce qu’ils disent d’elle. Et cela lui fait infiniment plaisir.
À la fin de l’année, lorsqu’il lui sera autorisé de « passer dans la classe supérieure » malgré ses piètres résultats, sa mère lui dira :
– Va offrir l’un de tes poèmes à Madame K ! Qu’elle sache au moins ce que tu vaux !
Elle a choisi le poème le plus triste qu’elle a recopié sur deux pages quadrillées, long sentier de la peine que lui avait infligée Madame K tout au long de l’année 1980/1981.
Quand la cloche de la fin de l’ultime heure du cours retentit en ce chaud mois de juin, elle se lève, le ventre serré, le cœur battant. Elle se souvient…
Elle s’approche du bureau comme d’un échafaud, les deux feuillets de sa poésie à la main. Les fenêtres sont ouvertes sur la cour ensoleillée. On entend peut-être le chant d’un oiseau. Elle tend les feuilles à Madame K :
– C’est pour vous !
Madame K est toute surprise. Il lui semble voir, à elle la mauvaise élève, le regard de sa persécutrice s’allumer de curiosité derrière le reflet de ses lunettes.
-Lis-moi le texte, s’il te plaît !
Elle s’entend lire d’une voix tremblante, timide, ce poème qui vient d’elle. Les mots retentissent dans sa gorge. Le rythme des vers court dans son ventre. Ce sont ses dernières paroles. Elle va tout au bout du sentier de ce qu’elle a écrit, de la trace de ses épreuves.
S’ensuit un long silence. Elle s’est arrêtée. Elle y est arrivée.
-Merci ! s’exclame Madame K. Viens que je t’embrasse !
Elle s’approche, lui tend la joue. Le baiser claque, froid et humide. Elle surmonte son écœurement. Au fond, elle a pitié de Madame K qui n’a pas compris qu’elle est à l’origine de ce chant de douleur qu’elle lui dédicace par sa seule lecture.
À la veille des grandes vacances pendant lesquelles elle découvrira tôt le matin, dans son lit, des auteurs enchanteurs comme Pagnol, Peyramaure, elle reçoit un baiser de son bourreau en échange d’une poésie.
Dans le domaine de La Sperenza, il y avait le muret roux le long duquel couraient les lézards ; le craquement des pins quand le vent venu de la mer se faisait plus vif ; le chemin des menthes où nous allions ensemble ; le soleil qui allumait un reflet mordoré sur les pastèques coupées ; le panier d’osier où se nichait le pain frais ; les pieds nus sur la terrasse ; l’ombre de la chambre qui laissait s’avancer un peu de lumière pour la suite du roman; les volets vénitiens cachant le silence d’un rêve lorsque la chaleur s’annonçait ardente dès le matin ; le parfum du lait de corps après la baignade ; le chant d’un brin d’herbe entre les lèvres au cours de la promenade ; les légendes mystérieuses que l’on se racontait au sujet de la falaise ; la Dame Blanche que l’on croyait voir apparaître depuis le rivage ; les cigales qui conversaient peut-être avec les étoiles ; l’arrivée de Victor et les sourires échangés sans que l’on ne se dise rien ; le cœur qui battait soudain pour un simple baiser sur la joue ; puis l’attente jusqu’à ce que toute la famille s’endorme ; la bougie qui s’éteignait toute seule, bien longtemps après que nos pas avaient franchi le seuil ; les corps abandonnés sur l’océan du drap ; le réveil à l’aurore par l’eau qui arrosait les roses. Dans le domaine de La Sperenza, il y avait l’espoir que les vacances durent toujours : il suffisait pour cela de bercer chaque instant du jour comme un nouveau-né.
Je détestais mes livres de mathématiques, d’histoire-géographie, de sciences physiques. Mais j’adorais d’autres livres, des romans. Je me souviens d’avoir lu tous les livres de la Bibliothèque verte que j’empruntais sous la lumière jaune pâle de la bibliothèque municipale. Je rentrais le soir avec un livre dont les pages un peu rousses fleuraient bon la vieille encre d’imprimerie. Le lendemain, malgré le froid et le temps qui tournait à la pluie, à l’écart de la cour de récréation, je m’asseyais sur une marche en béton et je commençais mon livre avec délectation. Mon héros ou mon héroïne me faisait signe et je partais en voyage dans une autre vie. Les cris de la cour parvenaient à mes oreilles comme d’une rive lointaine. On ne me regardait plus. Enfin, j’étais absente. Je ne supportais pas mes camarades de classe. Je les trouvais méchantes et arrogantes. Et elles me jugeaient étrange, voire « anormale ». Mais je m’étais fait d’autres amis dont je comprenais les sentiments et les aventures, dont les épreuves se mêlaient aux miennes. C’étaient souvent des enfants mal aimés. Et il me semblait qu’eux aussi savaient qui j’étais. Au détour d’une ligne, on se rencontrait, on se reconnaissait. Chaque page devenait un carrefour où le destin organisait nos rencontres d’âme. Plus personne ne me faisait la morale ou ne prétendait avoir raison. Et des orphelins comme Rémi, Cosette, Heidi devenaient ma famille. Tous nous étions en chemin. Dans ces romans, je me sentais vivante. Je me souviens avoir acquis bien plus de connaissances lors de ces récréations consacrées à la lecture que dans les livres de mathématiques, d’histoire-géographie, de sciences physiques. Je faisais l’expérience de ma vérité à travers le regard d’un enfant de papier.
Nulle promenade aujourd’hui Je veux seulement à la lueur de ma bougie retrouver dans l’anthologie de mon enfance ce poème que j’ai tant aimé jadis et qui me regarde entre deux feuilles qui lui ressemblent