Quand tu n’as rien à dire dans ton journal intime,
écris sur l’écriture.
Écris comment l’écriture s’avance vers toi – vague, houle de sable ou alezan.
Écris comment elle te traverse avec sa brise ou sa tempête.
Écris comment elle t’enveloppe ou te tenaille,
te berce ou te maintient en alerte…
Écris comment elle aiguise tes sens comme un couteau.
Écris comment son encre coule ou coagule au bout de ton stylo.
Écris comment elle geint, rit, murmure, tonne, soupire.
Écris comment sa pointe racle le papier ou glisse tel un bateau toutes voiles dehors ;
écris aussi sur l’écriture-oiseau, ivre de s’être délivrée de la cage de la marge.
Écris sur ses pas qui s’apparentent parfois à la danse d’une jeune fille entre les lignes, et dont l’entrechat saute tous les carreaux.
Écris sur l’éclat qu’elle laisse quand elle sèche.
Écris sur son odeur de forêt d’automne et sur le bleu de cette feuille qu’elle déplie par sa seule présence.
Écris sur le temps de son souffle et sur son chemin qui se suspend un instant, entre deux fleurs de songe.
Écris sur ses rives qui s’élargissent sous la magie de ta main.
Écris sur son eau, son sang, son sanglot.
Écris sur la lampe de chacun de ses mots qui t’éclaire dans ton voyage quand la clarté du jour baisse.
Écris sur ses hoquets, ses hésitations, ses silences qui donnent de l’ampleur à ton souffle.
Écris comment elle te rend corolle, comment elle remue tes étoiles dans la nuit de ton ventre.
Écris aussi sur sa course à travers ton enfance.
Écris comment elle te sort ensuite de toi-même, te guidant au-delà de la fenêtre, plus loin, vers l’église, la place et les gens.
Écris comment elle te rend amante déhanchée dans son frémissement de taffetas.
Écris comment elle fait de toi une baie qui ondule à la lisière de l’infini.
Puis, écris quand elle se retire,
laissant derrière toi la trace d’une patte d’oiseau ou de renard,
dans la blancheur de l’aube.
Écris comment elle t’a métamorphosée en écriture,
c’est-à-dire cette fillette de sept ans qui est pour toute sa vie durant
l’héroïne de ses aventures.
Écris sur l’écriture
Si tu veux te laisser porter par une lecture orale de ce poème, c’est ici !
©Géraldine Andrée
