Tu marches sans cesse dans ma mémoire
Je me souviens de tes pas
Ton pas qui se fait lourd au retour des courses
Ton pas à côté du mien lors d’une ultime promenade, le mois qui précède ton départ pour là-bas, son écho régulier sur le trottoir
Ton pas quand tu traînes des branches noires pour le grand feu d’été, fin août, sur le chemin de l’ancien jardin
Ton pas qui ne cesse d’approcher le seuil de ma chambre dès que je suis seule avec mon premier amoureux, ton pas qui m’épie, me met en garde ; ton pas qui me traque et qui m’agace
Ton pas pendant que tu déambules derrière ma porte, à la fin de ta vie ; je ne sais alors ce que tu cherches, sans doute quelque chose que tu as perdu depuis longtemps et qui à moi aussi m’échappe
Ton pas lorsque tu réfléchis, mains derrière le dos ; le pas traînant de ton souci, de tes non-dits
Ton pas qui fait retentir chaque marche d’escalier et craquer les parquets
Ton pas qui foule les feuilles tombées, disperse les plumes détachées des oiseaux
Ton pas qui m’effraie, enfant, car il m’avertit que tu vas me gronder
Ton pas qui m’empêche de rêver, de jouer, qui vient m’annoncer l’heure de me mettre au travail
Ton pas, métronome du temps où je dois abandonner la vivacité de mon rire et redevenir sage
Ton pas qui interrompt mon songe de joie, mes escapades dans d’autres vies, mes voyages sur des océans de couleur
Je pense à ton pas qui a longé les couloirs de l’hôpital, jusqu’à cette salle blanche où tu as cessé brutalement de respirer – tu avais mis pour cela des chaussettes propres
Je t’entendais toujours revenir
Je ne t’ai pas entendu partir, cette nuit-là
Je veux croire
que ton pas, si pesant souvent et si lent, s’est fait plume, flocon, poussière de soleil, un soir de novembre
Peut-être que tu t’es délivré de cette manière de te déplacer propre à cette vie ; peut-être que cela ne t’était plus utile et que tu t’es élancé comme les ailes de ce papillon moucheté qui voletait au bord de la fenêtre de ta chambre, trois semaines avant ton départ
Peut-être que tu as traversé les murs, sans adresser de signe d’au revoir à nos regards
J’ose espérer que tu t’es élevé au-dessus de ces océans de couleur dont je te soutenais l’existence malgré ton refus d’y croire
Ton pas en tout cas
est là
Il martèle chacun de mes jours
Il permet – j’en suis certaine –
à chacun de mes poèmes
de s’écrire,
d’advenir
lentement
mais sûrement,
de laisser sa trace
dans ma vie
Telle est ton absence
Tu entres en moi
et tu ne sors pas
C’est pour cela,
je crois,
que je ne mets pas
de point
final
au souvenir
de ton pas
Géraldine Andrée