L’écriture est inconditionnelle. Une feuille de papier avec un stylo suffit.
Il arrive qu’elle me console de la Vie.
Qu’importe où je suis : dans un immense désert ou dans une grande métropole. L’écriture est un lieu que j’habite instantanément.
Qu’importe que je me sente exilée au milieu des autres : j’ai ma place au bord de la marge et je me reconnais immédiatement dans le premier mot.
Même si, parfois, j’ai l’impression d’être étrangère en ce monde, l’écriture m’intègre à l’espace devant moi. Elle me relie à l’Univers, car elle est tous les univers possibles réunis, toutes les pensées, toutes les émotions d’un héros ou d’une héroïne qui vit très loin de moi, mais qui me ressemble et que j’appelle mon prochain.
Quand j’écris, les contraires se rejoignent. La joie est la face cachée de la tristesse, et la tristesse est la face cachée de la joie. La gratitude découle de mes épreuves. Tous les sentiments antagonistes sont acceptables et acceptés.
L’écriture ne me juge pas. Quelles que soient mes actions, quelles que soient mes opinions limitantes et la manière avec laquelle je me considère et je me présente devant la page, les mots apparaissent, me saluent et me regardent avec complicité.
Je peux écrire n’importe comment : à genoux, assise, couchée. Dans un train, dans ma chambre, dans un café bruyant. L’écriture m’enveloppe dans la soie de son silence. Je disparais en elle. Plus personne ne me voit. Je m’efface pour la laisser exister. Et c’est alors que je suis placée devant cette évidence : je suis vivante, ranimée par cette voix omnisciente qui murmure en moi.
Je peux écrire bien apprêtée, parfaitement maquillée, ou en pyjama, cheveux hirsutes. Pour un poème, l’apparence ne compte pas. Il est le chemin qui me mène à l’intérieur de moi. Une histoire ne se sauvera jamais parce que j’ai les mains tachées de chocolat. Le papier est capable de tout supporter, y compris quelques taches, parce que seul prime ce contact avec ma main. Telle est l’intimité de l’écriture.
Par conséquent, je me libère tellement que je franchis toutes les lignes. Les frontières me laissent passer. Je me fais le témoin de l’irrévocable qui est rappelé, de l’irréversible qui revient. Un ami perdu s’assoit au petit matin dans le bar californien de mon histoire et nous conversons comme si nous ne nous étions jamais quittés. Les anciens printemps font refleurir le parterre de pervenches saccagé. La maison détruite m’ouvre sa porte. Je trouve auprès d’une majuscule la trace de la promenade du chat de mon enfance. Je saisis l’inaccessible, tandis que mes soucis se retirent au large de la page qui se prolonge, s’expanse selon mes confidences. Je découvre que je détiens le pouvoir sur cet océan.
Puis, bien plus tard, je touche le rivage de la mort. Et là, je vois tous mes défunts assis autour d’un feu. Mon encre circule en eux. Je reviens de cette vision de résurrection avec, dans mes mots, leurs yeux.
Dans l’espace-temps inconditionnel de l’écriture, l’hippopotame et la brindille échangent, depuis la préhistoire, sur leur condition d’être vivant. Et c’est ainsi que je prends conscience de la perpétuelle correspondance dans la nuit entre le mot et l’étoile.
Je doute alors d’être une écrivaine.
Ne serais-je pas, en effet, celle qui tend simplement le fil de son encre entre toutes les fenêtres du monde, à partir de la fenêtre de mon cahier solitaire, sans attendre aucun signe de réponse ?
Géraldine
