Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Cahier du matin

Les retrouvailles

Lorsque
l’autocar
a achevé
son virage,
m’est apparu
le petit village,

bijou de joie
qui semblait
accroché
depuis toujours
à l’échancrure
des feuillages.

J’ai reconnu
les persiennes
qui allongent
les ombres
pendant le songe
de la sieste,

l’arrosoir
près des pots
de laurier-rose
et le chat
assis sur son muret
qui poursuit,

les yeux clos,
un fil d’or
Et quand,
à la descente
du car,
pour me rafraîchir

j’ai ouvert
ma main
dans la vasque
d’albâtre
de la fontaine
toujours fidèle

au centre
de la Place
des Alliances,
le chant
de l’eau
a reconnu

ma paume,
mes lèvres,
ma langue,
ma gorge
d’où a jailli
un rire ancien

Assurément,
j’ai vécu
ici,
me suis-je dit.
Et c’est là
que je veux vivre

désormais
ai-je ajouté
pour mon âme.
L’autocar
pouvait partir,
poursuivre

son voyage :
je n’étais pas
de ces gens
qui parlent
trop fort
d’argent,

qui prennent
des photos
sans voir,
au-delà
des apparences,
l’essentiel

se cachant
derrière
chaque couleur
du ciel.
D’un geste,
j’ai fait le signe

de l’adieu.
C’est alors
qu’Il a couru,
haletant,
vers moi
et je Lui ai trouvé

le visage
si chagrin,
si désemparé
que j’ai admis
comme une évidence
le fait

qu’il fallait
que je Le rejoigne,
que je L’accompagne
dans la vie
car, d’une certaine
façon,

j’étais un village,
un foyer pour Lui.
Assurément,
je ne dormirais pas
encore cette nuit
dans ma maison.

J’ai retrouvé
le siège
de cuir
brûlant
de l’autocar
qui s’est remis

en route
en ronflant
et la peine
qui est montée
à mes yeux
m’a paru

si grande
qu’elle a effacé
toutes les peines
de mon enfance.
Ce n’était pas,
je crois,

la première fois
que je quittais
ce village
et il viendrait
une autre vie
où je le retrouverais

comme un ami
que l’on perd de vue
mais que l’on garde
en soi.
C’est ainsi :
le Pays

et moi,
nous dansons une ronde
de vie en vie
où le temps,
cette musique,
nous sépare,

nous réunit,
nous désunit
à nouveau.
Alors que le rythme
de la route
commençait

à me bercer,
et qu’Il serrait
ma main
dans la sienne,
j’ai fait le serment
de naître

dans ma vie
prochaine
derrière
les persiennes
de la chambre
donnant

sur la Place
des Alliances,
là où chante
depuis tant
de siècles
la fontaine

destinée
à la paume
de cette enfant
que je fus,
il y a si longtemps,
et qui continue

à m’attendre
sous le feuillage
étincelant
comme un signet
d’argent
parmi les pages

de ma mémoire.

Géraldine Andrée

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La Baguette Magique

Je me souviens :

Un après-midi de printemps, je me confectionnai une baguette magique. Je devais avoir sept ans.

Je la fabriquai avec une baguette de coudrier que j’avais recueillie dans le jardin.

Je l’entourai d’un papier rouge aux reflets dorés qui avait enveloppé un cadeau de Noël et je fixai à l’un de ses bouts une étoile que j’avais découpée dans du papier blanc et coloriée en vert éclatant.

Ma baguette avait fière allure : bien dressée devant mes yeux, elle brillait de tous ses feux comme le sceptre d’une reine. A n’en pas douter, elle était magique. Il suffisait simplement que j’apprisse comment l’utiliser.

Alors, je baissai les paupières et, dans la nuit de mes yeux clos, je me concentrai : je fis remonter ainsi de ce mystérieux voyage des formules venues du plus lointain pays des contes.

Je récitai ces dernières dans un lente incantation que j’accompagnai d’une danse envoûtée, ma robe de laine se déployant en large corolle autour de mes cuisses :

– Abracadabra ! Abracadabri ! Gloubiglouba ! Gloubagloubi ! Je veux que l’armoire de ma chambre se transforme en Royaume des Fées !

Puis je me tus. Je n’avais pas imaginé comment serait ce Royaume des Fées. Je laissai à la Baguette Magique le soin de tout créer. Il y aurait peut-être une fontaine d’eau si claire que le soleil s’y mirerait, et des fleurs au bord de la vasque de pierre, et une ondine s’y reposant…

Mais je n’avais pas formulé précisément l’objectif de mon désir. Peut-être y souhaitais-je aussi des plateaux de friandises, de gâteaux à la crème que me serviraient de nouveaux parents, les vrais.

Je pensai qu’il faudrait un peu de temps pour que Le Royaume des Fées apparût dans l’armoire. Je ne me préoccupai pas comment il allait naître, s’il sortirait doucement, masse informe, du bois qu’il me semblait entendre déjà craquer, pour devenir une île merveilleuse au milieu de mon enfance, ou s’il serait là, offert comme une évidence, comme une feuille déposée par un souffle de printemps.

J’étais en revanche certaine que la Baguette Magique avait besoin de ma patience pour être efficace.

Je contins ainsi mon agitation et descendis avaler mon goûter. Pendant que j’étalais le miel blond sur mes tartines, je songeais avec satisfaction au superbe travail que devait réaliser la Baguette Magique.

Puis, je montai dans ma chambre avec un certain recueillement. Je m’arrêtai devant l’armoire, le cœur battant. Pas un bruit. Pas un pépiement d’oiseau à l’intérieur, pas le moindre bruissement d’eau… Le silence me réservait jusqu’à l’instant ultime sa splendide surprise. J’attendis encore quelques secondes et, assourdie par le rythme du sang frappant mes tempes, je tournai la clé dans la serrure.

Les deux portes s’ouvrirent en grinçant, comme toujours.

Et, comme toujours, les draps de ma mère étaient sagement alignés sur les étagères, exhalant une odeur de lavande sèche.

Je ne me remis pas de cette amère déception. Je me sentis trahie. Je pleurai longuement, ma tête au creux de mon coude.

Je ne sais plus comment je me séparai de ma Baguette Magique. Je la chassai de mon cœur et ma mémoire l’abandonna pendant longtemps. Ma raison la fit s’évanouir avant qu’elle ne fût livrée à elle-même, dans un coin d’ombre de la maison.

Je renonçai à y avoir recours. Je ne lui demandai plus rien et me résignai.

Ainsi, quand à l’âge de vingt ans, je rejoignis mon amant exilé dans une ville froide et pluvieuse d’Angleterre, que j’endurai pour lui un mal de mer de sept heures et que celui-ci me reçut, contrarié parce qu’il avait oublié ma visite et que visiblement j’entravais ses projets, j’ignorais combien je possédais mon propre pouvoir. Pas un instant ne me vint l’idée que je pouvais quitter ce port venteux et gris pour aller visiter, seule, une ville plus accueillante, étoilée de vitrines d‘or, rompant par la même occasion avec mon amant qui ne m’aimait pas.

J’avais renié la Baguette Magique. Par conséquent, je me reniais moi aussi.

Et puis, après des heures de lecture, des années d’apprentissage, je découvris que la Baquette Magique ne s’était pas évanouie comme je l‘avais longtemps cru, qu’elle ne disparaîtrait jamais, que, si je le désirais, je pouvais la réutiliser avec une intention plus précise et qu’elle ne m’en voulait pas de l’avoir abandonnée car c’était moi que j’avais abandonnée en vérité.

Cette Baguette Magique était la Parole.

Par conséquent, j’appris à parler avec discipline, à formuler clairement et fermement ce que mon cœur souhaitait :
– S’il te plaît, Baguette Magique ! J’aimerais retrouver l’album de photographies des dernières vacances !
Ou :
– Si seulement, Baguette Magique, j’avais des nouvelles de mon amie Nadine !
Ou encore :
– Ce serait bien, Baguette Magique, que je réussisse cet examen !

Et je retrouvais l’album des vacances ; Nadine était disponible pour boire un café.

Le jour de l’examen, le sujet distribué me déplut. Je faillis quitter la salle.

C’est alors que m’apparut la Baguette Magique de mon enfance, vêtue de sa robe d’or, couronnée de son étoile ; elle prit miraculeusement la parole comme dans le Royaume des Fées décrit dans les contes:

– Allons ! Rien n’est perdu !
Je débouchai mon stylo plume, rédigeai mon devoir pendant sept heures et réussis l’épreuve.

Aujourd’hui encore, je n’ai pas fini de découvrir tous les pouvoirs de la Parole Magique.

Mais je sais que la Malicieuse a plus d’un tour dans son sac.

Je sais aussi que la Parole Magique demande à ce que je sois persévérante dans ma vie, fidèle envers mes désirs, précise dans l’expression de ma volonté, loyale avec mes mots ;

et surtout, je sais qu’elle ne fonctionne que si j’ai la foi
en mon cœur,
car c’est là que demeure
à jamais
le Royaume des Fées.

Géraldine Andrée
Le 22 Octobre 2015
Mon Enfance

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Chère page

Chaque matin, je commence par ces deux mots :

« Chère page »,

comme je pourrais dire

« Cher ange »

car je sais qu’il est un ange

caché dans le ciel blanc

de toute page

qui écoute en silence

mes demandes les plus grandes

et qui, les jours suivants,

ou je ne sais quand

– peu importe-,

y répond

par une fleur, un oiseau, un murmure de source, une idée, un poème,

un élan qui me porte

et parfois même

une autre question…

Géraldine Andrée

Prologue au cahier du matin

 

Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Le poème est une femme

Je devais avoir un frère

Je devais, jadis, avoir un frère.
Un frère avec lequel jouer, courir, rouler dans les herbes de l’été, sauter à la marelle, aller à la fac plus tard.
J’ai souvent eu un frère.

Au Moyen-Âge, j’avais un frère borgne, excellent forgeron.
A la Renaissance, j’avais un frère qui m’accompagnait à la bougie, le soir, dans les sombres couloirs.
Au XVIIIème siècle, j’avais un frère qui m’emmenait haut dans les arbres. Un matin de juin, je suis tombée et je me suis cassé le poignet.
Sous Napoléon, j’avais un frère qui m’apprenait à lire Sénèque et Cicéron.
Je devais encore avoir un frère dans cette vie-ci.
Un frère m’était destiné.

Cela devait faire quatre mois bien ronds.
Comme moi, je l’imaginais blond.
Dans la lumière d’un matin de juin, je me suis aperçue que ma mère n’était pas bien.
Il y avait quelques gouttes rouges entre le salon et la salle de bains.

Hop ! Ni une ni deux ! Pour me cacher les yeux, on m’envoie chez Pépé-Mémé dans la grande maison entourée de roses et de glycines. Assise au bord de la vasque, je berce ma poupée préférée. Je l’allaite avec une poitrine absente. Je l’habille avec un pantalon de laine blanche.

Quand ma mère est revenue me chercher, elle était pâle.
Pour ce qui était arrivé, il n’y avait ni nom, ni phrase.
Pour mon frère, pas de prénom.
Pas de case sur le livret de famille.
Pas de visage dans un mot.
Plus de place.
Même pas une place vide.
C’était trop tôt et déjà trop tard.

La vie s’écoula dans le creux des jours. Je jouais seule jusqu’à ce que ma soeur naquît. Avec elle, ni roulade, ni marelle.
Que des chamailleries. Et un sentiment d’étrangeté.

Il est des frères qui vous sont destinés et qui pourtant sont voués à ne pas venir. Qui se perdent en route et qui vous font vivre l’exil.

C’est ainsi. Sans lui, j’ai appris l’indépendance, l’autonomie. A jouer au jeu très sérieux de la vie. A consentir à perdre plutôt qu’à gagner pour progresser en tant que femme.

Pendant toute mon enfance, je me suis culpabilisée. J’ai cru que mon frère s’était envolé parce que la fenêtre de ma chambre était ouverte.

De temps en temps, mon frère entre par mon cahier ouvert et il m’envoie un signe à travers la fenêtre de ma page.
Il est venu au galop sur une phrase.

Dans l’espace des lettres rondes, il me regarde.
Il ne prévient pas quand il arrive. Cela peut être un jour comme aujourd’hui.

Puis il repart en voyage pendant qu’ici, je fais naître les mots de la Vie.

Géraldine Andrée 

Le poème est une femme

Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Ce chemin de Toi à Moi

Le chemin des étoiles

Après le repas, la nuit éclate en mille musiques et étincelles de fête.

Tu noues tes cheveux en chignon que tu attaches avec un papillon d’or.

Ensemble, nous traversons les rondes du rock, les déhanchements de la salsa, les saccades du cha cha cha, les ondes de la valse.

Puis, nous prenons le chemin de la jetée.

Le bleu de la nuit tombe sur nos épaules.

La brise du large fait sonner un collier de baisers à l’échancrure de nos robes.

Nous sentons avec délice qu’il est tard. 

Nous mesurons la profondeur de ce moment au calme qui nous enveloppe.

Au rythme de notre marche, les notes et les rires s’éloignent.

Le silence nous gagne.

Le pas de l’une devient sous le regard de la lune l’écho de celui de l’autre.

Lorsque le souffle des vagues est proche comme celui d’un amant conquis, nous savons que nous sommes arrivées.

Tu as, comme à chaque fois, le réflexe de lever la tête.

Une invisible et talentueuse couturière a piqueté le tissu de la nuit d’une myriade de chas d’aiguilles.

Tu me dis : C’est notre vêtement de fête, ce ciel ! Regarde comme il nous est offert ! Il est à la taille de notre âme, je crois !

Je me contente de sourire et de me pencher sur la rambarde en te tenant la main.

Les lampes du rivage brillent à l’envers.

Leurs lueurs se fragmentent toujours et encore

pendant que les mains de la mer bercent leurs reflets.

Et il me semble, alors,

qu’un songe réciproque

nous emmène ce soir, loin, 

dans le ventre clair

de l’Univers.

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Mon aïeule, mon amie

Ce soupir

Ce soupir
qui se pose
au bord du jour,
c’est Toi,

c’est ta seule
façon
de me toucher
désormais

sans le grain
de ta peau
et de me dire
sans ta voix

que nous sommes
là,
ensemble,
au même endroit,

malgré cette frontière
que je n’ai pas le droit
de traverser
car il me faut vivre

et apprendre
que la vie
sans Toi
est une haute

destinée
qui consiste
à puiser
dans le silence

la force
éclatante,
presque
insolente

de nous garder
toutes deux
vivantes
en Moi.

Géraldine Andrée

Publié dans Berthe mon amie, C'est la Vie !, Ce chemin de Toi à Moi

Ensemble

Tu me demandes :

-Et si on allait par là ?

Ensemble, nous prenons ce chemin tout bruissant du souffle des feuillages.

Et c’est comme si une main invisible froissait doucement une large étoffe autour de nos visages.

Nous nous donnons des nouvelles réciproques.

Tu me parles de ton mari qui se rétablit lentement, de l’aînée qui cherche sa voie, de la deuxième qui est partie en Amérique et du cadet qui tarde dans l’adolescence.

Moi, je te confie mes rêves, mes attentes, mes espoirs – et mes déceptions aussi, comme ce grand projet de coeur qui n’a pas réussi, par exemple.

Je t’entends qui soupires :

-Que le temps passe !

Et quel immense pari que de vivre !

Je suis bien d’accord.

Au rythme de nos pas, les mots meurent et renaissent.

Maintenant, nous sommes tellement plus proches !

Nos épaules se touchent presque…

Le souffle des feuillages se fait plus fort.

Il devient un chant d’or dont nous occupons la corolle.

J’ignore laquelle dit à l’autre :

-Faisons quelques pas encore !

D’ailleurs, le chemin se prolonge de seconde en seconde.

Il me semble que nous marchons dans un songe,

que seule, cette promenade, désormais, nous importe

avec sa suite d’instants

qui nous attendent patiemment.

Et c’est ensemble

que nous rentrons alors

dans un vaste silence

où l’on se comprend.

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Mon aïeule, mon amie

L’héritage

Je n’ai pas hérité de la grosse pendule d’or, du profond buffet, des tasses en porcelaine de Chine, du tapis persan, des napperons en dentelle.

Mais j’ai hérité

de ton art de lire les yeux des animaux,

de ton goût pour les fleurs séchées en hiver,

de ta sensibilité pour les bleus du crépuscule derrière la colline,

de ton don de silence au milieu des conversations,

de ton amour des sources, des arbres et des oiseaux,

de ta profondeur où s’entend l’écho de toute émotion,

de ton écoute absolue d’une note de Chopin suspendue comme une lueur dans une goutte,

de ta faculté d’espérer quand les jours sont difficiles,

de ta prière secrète du coeur,

de ta connaissance du temps de l’Être, très différent du battement des secondes,

de ton pas lent,

de tes gestes qui préservent l’enfance de la lumière,

de ta connivence avec l’ombre de la chambre,

de ton éclat de rire frais comme une averse de printemps,

de l’éveil de ton oeil pour les couleurs mêlées de chaque jour,

de la grâce de ton abandon au vent venu de la mer,

et de l’élan de tes mots,

Mon Dieu, tes mots

qu’on dit oubliés, feus, disparus

mais qui courent

encore et toujours

comme les étincelles d’une rivière

destinée à une embouchure

inconnue.

Je crois

que j’ai hérité de ta foi

qui, quelles que soient

les circonstances,

ne se remet plus en doute.

Tu vois,

en vivant jadis,

tu as laissé en moi

ta trace.

Et mes pas

prolongent

ta route.

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Mon aïeule, mon amie

Le violon d’André

Tu aimais
La musique
Née
Du violon
D’André
Dans la lumière
Des jours
Juste
Avant la guerre

Tu aurais aimé
Te joindre
A l’archet
D’André
Qui faisait
Vibrer
Des cordes
De lumière

A l’heure
Où André
Et toi
Vous êtes feus
Je crois
Que vous jouez
A ma fenêtre
La symphonie
De la lumière
Dans la paix
De l’aube

Tous deux
A jamais
Accordés

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, Ce chemin de Toi à Moi, Mon aïeule, mon amie

Ton sentier

Je vois ce sentier tout bordé de feuilles et qui sautille de soleil en soleil.

Je n’y ai jamais cheminé mais je te vois, toi, y faisant tes premiers pas – petite fille en robe d’organdi, trébuchant parfois et vite rattrapée par le bras de ton père.

Plus tard, tu fais sonner sur les cailloux tes escarpins dorés. Tu es de retour du pensionnat du Luxembourg. C’est le début d’un long été bleu.

Plus tard encore, tu arrives du perron en robe de bal. André t’attend dans la lumière blonde du crépuscule. Vous allez danser, enlacés, toute la nuit. Quelques semaines après ce soir de fête, sonnera le tocsin de la guerre.

C’est sur ce sentier que te surprendra le destin : une enveloppe blanche cachetée sur le deuil de ta vie. André est mort lors de l’offensive en Russie.

Ce sentier de tes jeunes années, tu l’as emprunté tous les jours avant ma naissance.

Si je revenais, un beau jour, là où tu as vécu, il me serait interdit derrière la grille close. Il n’est plus temps.

D’ailleurs, les traces de tes pas se sont effacées à jamais. Tant de feuilles sont tombées.

Mais je vois souvent ce sentier sautillant de printemps en printemps quand j’écris.

Et, tu vois,

en avançant mot après mot dans le récit de ta vie,

j’y chemine moi aussi.

 

Géraldine Andrée