Publié dans C'est la Vie !, Cahier du matin, Le journal de mes autres vies, Poésie

La chambre là-bas

Dans la profonde chambre là-bas, tu dors si bien…

Sitôt les yeux clos, tu t’en vas.

Tu retrouves les rives du Nil dont le murmure de ton coeur est l’embouchure.

Tu t’enivres des éclats de voix et de fruits sur les marchés d’autrefois.

Tu te couches dans ce champ de luzerne oublié.

Tu cours avec cette petite fille d’une autre vie que tu fus. Tu découvres en ta joie étonnée que tu as eu autant d’enfances que d’étoiles.

Tu frappes à la porte du château d’Anne. Et toutes les flammes des bougies précèdent ton pas.

Tu t’assois sous l’amandier en fleurs qui t’attend depuis toujours.

Tu te souviens de ce que t’a conté le vent, un matin de fugue.

Tu ouvres les bras au bleu de tous les origines qui se lève des collines.

Tu te penches avec joie sur les herbes vives du jardin que tu croyais disparu.

Tu converses en silence avec le regard de la jument ressuscitée.

Grand-père t’apprend à arroser les roses feues qui rougissent à nouveau telles les joues d’une convalescente.

Et quand tu te réveilles à l’aube, tu te sens changée comme si des lèvres inconnues avaient récité pour toi la formule des plus subtiles métamorphoses.

Dans la profonde chambre là-bas, tu rêves si loin que tes yeux se posent en oiseaux sur le Lendemain.

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Cahier du matin

Les retrouvailles

Lorsque
l’autocar
a achevé
son virage,
m’est apparu
le petit village,

bijou de joie
qui semblait
accroché
depuis toujours
à l’échancrure
des feuillages.

J’ai reconnu
les persiennes
qui allongent
les ombres
pendant le songe
de la sieste,

l’arrosoir
près des pots
de laurier-rose
et le chat
assis sur son muret
qui poursuit,

les yeux clos,
un fil d’or
Et quand,
à la descente
du car,
pour me rafraîchir

j’ai ouvert
ma main
dans la vasque
d’albâtre
de la fontaine
toujours fidèle

au centre
de la Place
des Alliances,
le chant
de l’eau
a reconnu

ma paume,
mes lèvres,
ma langue,
ma gorge
d’où a jailli
un rire ancien

Assurément,
j’ai vécu
ici,
me suis-je dit.
Et c’est là
que je veux vivre

désormais
ai-je ajouté
pour mon âme.
L’autocar
pouvait partir,
poursuivre

son voyage :
je n’étais pas
de ces gens
qui parlent
trop fort
d’argent,

qui prennent
des photos
sans voir,
au-delà
des apparences,
l’essentiel

se cachant
derrière
chaque couleur
du ciel.
D’un geste,
j’ai fait le signe

de l’adieu.
C’est alors
qu’Il a couru,
haletant,
vers moi
et je Lui ai trouvé

le visage
si chagrin,
si désemparé
que j’ai admis
comme une évidence
le fait

qu’il fallait
que je Le rejoigne,
que je L’accompagne
dans la vie
car, d’une certaine
façon,

j’étais un village,
un foyer pour Lui.
Assurément,
je ne dormirais pas
encore cette nuit
dans ma maison.

J’ai retrouvé
le siège
de cuir
brûlant
de l’autocar
qui s’est remis

en route
en ronflant
et la peine
qui est montée
à mes yeux
m’a paru

si grande
qu’elle a effacé
toutes les peines
de mon enfance.
Ce n’était pas,
je crois,

la première fois
que je quittais
ce village
et il viendrait
une autre vie
où je le retrouverais

comme un ami
que l’on perd de vue
mais que l’on garde
en soi.
C’est ainsi :
le Pays

et moi,
nous dansons une ronde
de vie en vie
où le temps,
cette musique,
nous sépare,

nous réunit,
nous désunit
à nouveau.
Alors que le rythme
de la route
commençait

à me bercer,
et qu’Il serrait
ma main
dans la sienne,
j’ai fait le serment
de naître

dans ma vie
prochaine
derrière
les persiennes
de la chambre
donnant

sur la Place
des Alliances,
là où chante
depuis tant
de siècles
la fontaine

destinée
à la paume
de cette enfant
que je fus,
il y a si longtemps,
et qui continue

à m’attendre
sous le feuillage
étincelant
comme un signet
d’argent
parmi les pages

de ma mémoire.

Géraldine Andrée