J’écris
des poèmes
pour porter
leur flamme
jusqu’au silence
où se réfugient
les âmes
en peine
Géraldine Andrée
J’écris
des poèmes
pour porter
leur flamme
jusqu’au silence
où se réfugient
les âmes
en peine
Géraldine Andrée
Pour oublier
mes deuils
je disparais
dans le vert
frais
des feuilles
je m’éteins
en cette
lumière
et quand
je reviens
j’apporte
un bouquet
de souffles
que je dépose
un à un
sur mes lèvres
en murmurant
le nom
de chacun
de Vous
Géraldine Andrée
Tous droits réservés
Copyright interdit
Quelques jours avant l’orée du printemps, en Géorgie, les gens préparent une fête en l’honneur de leurs morts.
Ils disposent dans des assiettes les mets les plus fins, versent dans les verres les vins les plus doux, pétrissent et cuisent le pain dont le coeur de mie sera si tendre au palais de leurs aimés.
Ils prévoient des bougies et des flambeaux pour les danses de la nuit.
Dans l’après-midi, le chef de famille se rend au cimetière.
Et, avec ses gants, il ôte la neige des tombes.
Celle-ci se disperse dans le soleil en mille paillettes.
C’est un bonheur de voir le regard des défunts que l’hiver, de son voile de tristes noces, a caché.
C’est un miracle de contempler les fossettes de l’enfant trop tôt feu, les cheveux longs de l’aïeule, la moustache de l’oncle, l’air mutin de la cadette, les lèvres entrouvertes de la fille éternellement jeune – quelles paroles silencieuses cette dernière murmure-t-elle à vous seul ?
En enlevant à coups patients la neige, ce deuxième suaire qui, pendant les grands froids, a scellé tous ces yeux et condamné tous ces visages à l’oubli, les Géorgiens retrouvent leurs absents.
Les noms et prénoms réapparaissent, les souvenirs aussi.
Quelques jours avant l’orée du printemps, la mort se révèle bien éphémère.
A ma manière, je suis moi aussi Géorgienne quand j’écris des poèmes.
Ma main, à chacun de ses passages, fait fondre avec foi la neige de la page.
Des mots, alors, naissent,
derrière lesquels je m’aperçois que tu me regardes depuis toujours.
Et quand je signe, je reconnais ton nom
dont chaque lettre comme un oeil espiègle
cligne dans le soleil.
Géraldine Andrée
La maison
à l’heure
de mon songe
demeure
comme elle fut
Voici à mes pieds
le tapis persan
à gauche
devant le tourne-disque
qui chantonnait
dans la nuit
pendant l’Occupation
le canapé profond
où ton mari s’endort
plus loin la crédence
où se rangent
les tasses à thé
et les beaux verres
d’apéritif
plus loin encore
la table orientale
sur laquelle
l’on dispose
une coupelle
de biscuits roses
à prendre
après ton insuline
et là-bas
suspendue
entre seconde
et soupir
la lumière
de septembre
qui dore
tes mèches
blanches
Il est facile
d’entrer
dans la demeure
de l’enfance
Il suffit
d’éclairer
le petit couloir
de la mémoire
avec une lueur
de silence
Géraldine Andrée
Tu te souviens
du robinet
incrusté
dans le mur
de pierre
du mince
filet
d’eau
qui courait
le long du tuyau
dont la bouche
faisait jaillir
en corolle
son chant
dans tout le jardin
Les notes
se posaient
ensuite
en gouttes
de silence
sur les feuilles
odorantes
de chaque plante
Tu te souviens
de la métamorphose
de l’eau
entre les mains
de Grand-Père
Il n’est pas étonnant
que fleurissent
encore
tant et tant
de roses
dans l’arrière-saison
de notre mémoire
Géraldine Andrée
Tous droits réservés@2017
Dans la profonde chambre là-bas, tu dors si bien…
Sitôt les yeux clos, tu t’en vas.
Tu retrouves les rives du Nil dont le murmure de ton coeur est l’embouchure.
Tu t’enivres des éclats de voix et de fruits sur les marchés d’autrefois.
Tu te couches dans ce champ de luzerne oublié.
Tu cours avec cette petite fille d’une autre vie que tu fus. Tu découvres en ta joie étonnée que tu as eu autant d’enfances que d’étoiles.
Tu frappes à la porte du château d’Anne. Et toutes les flammes des bougies précèdent ton pas.
Tu t’assois sous l’amandier en fleurs qui t’attend depuis toujours.
Tu te souviens de ce que t’a conté le vent, un matin de fugue.
Tu ouvres les bras au bleu de tous les origines qui se lève des collines.
Tu te penches avec joie sur les herbes vives du jardin que tu croyais disparu.
Tu converses en silence avec le regard de la jument ressuscitée.
Grand-père t’apprend à arroser les roses feues qui rougissent à nouveau telles les joues d’une convalescente.
Et quand tu te réveilles à l’aube, tu te sens changée comme si des lèvres inconnues avaient récité pour toi la formule des plus subtiles métamorphoses.
Dans la profonde chambre là-bas, tu rêves si loin que tes yeux se posent en oiseaux sur le Lendemain.
Géraldine Andrée
Tu es partie quand j’avais quatorze ans.
J’ai senti que tu avais quitté ta terre lorraine pour l’immense océan à un instant précis:
celui où l’enseignante de Sciences Physiques qui ne m’appréciait pas particulièrement à cause de mon désintérêt pour la matière m’a regardée intensément. Au moment où je suis sortie de la classe, mon lourd cartable sur le dos, ses yeux m’ont suivie.
A mon retour chez mes parents, j’ai appris que tu t’en étais allée peu avant midi, alors que le cours s’achevait.
Tu es revenue cette nuit, comme tu le fais souvent.
Tu m’as laissée toucher ton chignon, blond redevenu, comme lorsque j’avais trois ans.
Je t’ai demandé pardon de t’avoir abandonnée pour aller vivre à D.
( Au matin, cette culpabilité s’est envolée tel un oiseau léger car tu es partie bien des années avant que je n’aille vivre à D.)
Tu m’as répondu en riant, d’une voix de jeune fille :
– Tu te dois de vivre ta Destinée !
Puis, tu m’as prise par la main et tu m’as promenée dans les lieux de ton ancienne vie, moi ta petite-fille retrouvée :
la métairie Mayer, entourée des champs de fleurs que tu traversais, à vive haleine, les jours de juin ;
le grenier à grains dans lequel tu lus toutes Les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand, l’aile d’un rayon de soleil tremblant sur l’une de tes mèches ;
le pensionnat du Luxembourg qui brida tes rêves du grand amour ;
le jardin où tu jouas pendant les grandes vacances avec ton amie Hélène à être Madame de Staël révoltée contre Bonaparte, pour un théâtre sous les étoiles ;
la baie d’Ostende dont les franges bleues sous la pluie te laissèrent un merveilleux souvenir ;
la maison de M. parée de lierre, celle du mariage et de la maternité, du silence et de la résignation alors que ton mari jouait aux cartes au café ;
puis la vaste et glaciale maison de l’exil pendant l’Occupation, et son auvent où se nichaient les hirondelles – leur joyeux retour marquait une année supplémentaire de guerre ;
le parc de Montmorency dont le chant qui s’élargissait comme une houle de feuillage en feuillage te consolait des peines et des privations ;
enfin le chemin du retour, la belle allée blanche qui te mena sur le seuil de ta porte ;
la cuisine ensoleillée des matins de dimanche ; la salle à manger et ses napperons de dentelle ;
plus tard, la chambre sombre où tu recevais ton insuline, tous les soirs à cinq heures.
Avant de partir, tu as regretté de t’être mariée.
Je vis la vie dont tu rêvais : libre, autonome, indépendante.
L’écriture demande qu’on lui consacre du temps.
Je ne me souviens pas quand tu as lâché ma main et que tu t’en es retournée vers ce pays qui m’est interdit tant que je vivrai.
Je me suis retrouvée seule, soudain, dans mon rêve,
mais avec cette certitude évidente comme l’aube :
ma Destinée est d’écrire sur ta Destinée,
faire de ta vie une trace
qui me mènera, c’est certain,
vers l’immense océan
de la compréhension
de nos deux destins
à la fois si différents
et communs.
De Toi à Moi.
Géraldine Andrée
Lorsque je demande
à ma grande amie Violette
comment elle a résisté aux camps,
Violette pourrait me répondre
« Par une foi immense »,
mais elle m’offre la réponse
à laquelle peu de monde s’attend :
Par un chemin frêle,
un poème
de quatorze vers
dit un sonnet,
intitulé Ma Bohème
d’Arthur Rimbaud.
Ce poème,
elle le faisait tourner
silencieusement
dans sa bouche
comme un tendre
bonbon de miel
quand elle sentait
ses jours comptés
pour son souffle :
« Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse,
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur ! »
Habituée au froid coupant
des matins de Pologne,
Violette en cheminant
à travers Ma Bohème
redécouvrait
la saine rosée
des soirs de fin d’été.
Et la musique
des sphères
lui rappelait
les notes
du piano
dans le salon,
lors des dimanches
baignés de lumière.
Exilée,
Violette habitait
désormais
le poème
Ma Bohème.
En allant
de mot
en mot,
de vers
en vers,
elle retrouvait
l’odeur des crayons
d’école
avec lesquels
elle le recopiait
sur son cahier,
la belle corolle
dorée
de la lampe
éclose
dans l’hiver
où elle l’apprit
par coeur,
l’estrade
de bois
qu’elle entendait
encore
craquer
quand elle y monta
pour le réciter,
les mains
dans les poches
de son tablier.
Mais surtout,
elle retrouvait
son rêve
d’aller avec le jeune
adolescent,
ce météore,
feu depuis longtemps
parmi les champs
d’avoine blonde
et d’échanger
avec lui
un baiser.
Depuis qu’elle avait collé
sa photographie
de Carjat
sur son cahier,
elle s’en était
secrètement éprise.
Et elle apprit
dans le présent
du camp
d’où elle ne pouvait
s’échapper
à deviner
les étoiles
cachées
derrière
le voile
noir
lorsqu’elle vidait
les seaux
d’eau grise.
A l’intérieur
de ce poème,
Violette
pouvait courir,
voguer,
être libre
puisqu’elle aussi
avait les poches
crevées,
que tout son passé
s’en était
allé
au fil
des rails.
Voilà,
me dit Violette,
comment
j’ai résisté
aux camps :
par un poème
de quatorze
vers.
C’était
ma seule
demeure,
mon refuge
unique,
mon abri
invisible.
Aujourd’hui,
c’est en moi
qu’il habite.
Son adresse
est mon coeur.
Géraldine Andrée
Je ne sais pas
ce que je vais écrire
en ce jour
d’Aujourd’hui.
Sait-on
ce que l’on rencontre
au cours
d’une promenade ?
On peut y croiser
un enfant,
un animal,
une pierre de couleur,
un jouet oublié,
la lueur d’un insecte,
une nouvelle espèce
de fleur,
un oiseau blessé
à recueillir
dans la paume
de ses mains…
J’ignore
ce que je vais écrire.
Le poème
est un chemin
qui mène
à tous les instants
avec lesquels
je n’ai jamais rendez-vous,
mais dont je reconnais
toujours
l’importance
et la première note
que je prends
sur mon carnet blanc
est vive
comme le météore
d’une surprise…
J’ignore
chaque jour
ce que je vais écrire.
Voici
le seul titre
certain
par lequel
je commence,
ce matin,
mon voyage
à travers la page :
Aujourd’hui.
Géraldine Andrée
Je suis allée voir le film Dunkerque. J’ai assisté à la fureur, à l’Apocalypse, au sacrifice de tant d’hommes alors que sous le ciel d’un bleu pur, la mer scintille de toutes ses paillettes au soleil.
J’ai rêvé, il y a quelques nuits, que je retrouvais Dunkerque où j’ai vécu pendant sept ans. Je parcourais la ville, je revoyais ses briques rouges, ses terrasses, ses maisons à Malo. Je louais une petite chambre. Par la fenêtre, j’avais rendez-vous avec la mer bien qu’elle et moi, nous ne nous soyons jamais réellement quittées.
J’en garde la mémoire avivée par d’autres mers telles que la Méditerranée.
Il me souvient d’avoir demandé à mon père, un soir d’hiver, quand j’étais petite, à quoi ressemblait Dunkerque. Mon père me répondit que ce n’était pas une ville folichonne. Elle avait été entièrement détruite sous les bombardements, puis reconstruite avec des bâtiments identiques. C’était surtout un port industriel, où l’usine Sollac – dans laquelle mon père travaillait aussi, à Florange – était en plein essor.
Qu’importe ! Ce nom, Dunkerque, me faisait rêver.
Un jour, par le plus grand des hasards – mais la destinée revêt souvent l’apparence du hasard, selon Einstein -, j’ai retrouvé, adolescente, un cahier brun aux pages jaunies, sur lesquelles courait une écriture fine, régulière, appliquée, à l’encre noire. C’était le Journal de Guerre de mon grand-père qui a fait la bataille de Dunkerque. Il y était inscrit le numéro de son régiment d’infanterie : le quarante-troisième.
Sur le sable blanc mouillé par la marée montante, j’ai suivi, pieds nus, les traces des bottes de mon grand-père.
J’ai posé le même regard que lui sur les dunes battues par les vents.
Comme lui, je me suis avancée vers le fouet des vagues. Je me suis très peu baignée dans cette mer que je trouvais excessivement froide. Mon grand-père, en revanche, y a trempé en grelottant tout son uniforme.
L’azur entre les pluies était d’un bleu si intense qu’on aurait voulu y disparaître. Pour mon grand-père, c’est d’un tel bleu innocent que pouvait surgir la mort, transportée par le météore d’un avion bombardier.
Mon grand-père a été sauvé. Il fait partie des miraculés qui ont été évacués en Angleterre. Il a vu les falaises du Dorset avant moi qui y ai accosté en tant qu’étudiante.
Dans l’album des aïeux, il pose, vêtu de son uniforme du Quarante-Troisième Régiment d’Infanterie, sur une photographie pâlie, avec ses camarades rescapés. Je l’entends rire aux éclats dans le silence de l’image.
J’ai une collègue et amie qui a vécu comme moi à Dunkerque. Elle y retourne souvent. Elle me parle des vagues qui cinglent les hanches, des gifles du vent – du ravissement que provoque la témérité des éléments.
Certes, il n’est rien de plus facile pour moi que de me rendre à Dunkerque. En TGV, j’y arrive en trois heures.
Mais j’ai peur. Peur du retour des anciens visages, de mes vieilles histoires d’amour achevées, de mes douleurs, de mes bonheurs aussi. Peur du violent mystère de mes émotions dues à un karma qu’il me fallait courageusement traverser.
Peur de mon passé dont il me semble qu’il est devenu une vie antérieure.
Pourtant, je possède un autre passé, bien avant que je ne sois née, un passé qui m’appartient tout autant que celui de ma propre vie, le passé de mon grand-père qui a remporté la victoire pour la Vie.
Un jour, je répondrai à l’invitation de mon rêve d’il y a quelques nuits.
La petite chambre à Malo m’attend.
Après que j’aurai tourné la clé dans la serrure et que la porte se sera ouverte, je m’approcherai à pas lents de la fenêtre. Quelle que soit l’heure, je serai à l’heure au rendez-vous, celui de la rencontre du bleu qu’a traversé courageusement Pierre.
Je laisserai monter dans ma mémoire la mer de mon Grand-Père.
Géraldine Andrée
Le journal de mes autres vies