Quelques jours avant l’orée du printemps, en Géorgie, les gens préparent une fête en l’honneur de leurs morts.
Ils disposent dans des assiettes les mets les plus fins, versent dans les verres les vins les plus doux, pétrissent et cuisent le pain dont le coeur de mie sera si tendre au palais de leurs aimés.
Ils prévoient des bougies et des flambeaux pour les danses de la nuit.
Dans l’après-midi, le chef de famille se rend au cimetière.
Et, avec ses gants, il ôte la neige des tombes.
Celle-ci se disperse dans le soleil en mille paillettes.
C’est un bonheur de voir le regard des défunts que l’hiver, de son voile de tristes noces, a caché.
C’est un miracle de contempler les fossettes de l’enfant trop tôt feu, les cheveux longs de l’aïeule, la moustache de l’oncle, l’air mutin de la cadette, les lèvres entrouvertes de la fille éternellement jeune – quelles paroles silencieuses cette dernière murmure-t-elle à vous seul ?
En enlevant à coups patients la neige, ce deuxième suaire qui, pendant les grands froids, a scellé tous ces yeux et condamné tous ces visages à l’oubli, les Géorgiens retrouvent leurs absents.
Les noms et prénoms réapparaissent, les souvenirs aussi.
Quelques jours avant l’orée du printemps, la mort se révèle bien éphémère.
A ma manière, je suis moi aussi Géorgienne quand j’écris des poèmes.
Ma main, à chacun de ses passages, fait fondre avec foi la neige de la page.
Des mots, alors, naissent,
derrière lesquels je m’aperçois que tu me regardes depuis toujours.
Et quand je signe, je reconnais ton nom
dont chaque lettre comme un oeil espiègle
cligne dans le soleil.
Géraldine Andrée