Bienvenue sur mon site d'écrivain biographe, de biographe familiale, d'écrivain privé et de coach littéraire en Lorraine, en France et ailleurs ! Vois comme elle est belle, mon ami, la Vie ainsi écrite !
J’écris pour faire de mon cahier une maison en papier dans laquelle conversent autour de la lampe toujours allumée d’un poème les amis réunis de toutes mes vies
Tu t’assois à ta table pour écrire un poème, un poème que tu souhaites idéal, avec le juste rythme, la métaphore pertinente, l’assonance réussie. Tu rêves de ce poème comme d’un bijou étincelant. Mais tu ne parviens pas à le ciseler, à lui donner la forme parfaite. Alors, sors. Va te promener. Saute sur les cailloux irréguliers. Penche-toi sur les fleurs de la roseraie qui n’ont entre elles aucune corolle jumelle. Contemple l’entortillement d’un ver de terre à ton pied. Accepte que le balancement de la brise entre deux feuilles soit imprévisible. Fais du chemin que tu prends un poème vivant.
Je me souviens de l’odeur de l’herbe fraîchement tondue de mon enfance. Elle monte jusqu’à la fenêtre de ma chambre et il me semble qu’elle infuse dans la lumière pour envelopper le monde.
Je lis alors Les Contemplations de Victor Hugo. Et je crois que chaque poème me regarde avec la force d’un iris éclos, la foi d’un papillon voguant dans le soleil.
Puis je ferme les yeux et j’entre dans le jardin des Feuillantines où le murmure de la brise me fait signe
pendant que s’éloigne à la limite de la grille, à la limite du silence, la tondeuse ronronnante de mon père.
C’est en écrivant la semaine dernière, par un jour de pluie comme celui-ci, que je me suis demandé si je reverrais Jeannine Burny.
Jeannine, la compagne de Maurice Carême, qui a aidé le poète dans la publication de tous ses poèmes. J’ai croisé Jeannine en deux mille dix, à l’occasion du Livre sur la Place à Nancy. Je feuilletais le recueil de poèmes Du Ciel dans l’eau. Jeannine Burny est alors venue vers moi et m’a montré du doigt cette strophe qu’elle m’a lue à haute voix :
Derrière les hauts peupliers, Les blés montaient dans le soleil. Le ciel était bleu à crier, Un ciel à se croire éternel.
-Regardez ! Me dit-elle. Pas un adjectif de trop ! La simplicité même ! C’est si difficile d’écrire simplement, croyez-moi ! La simplicité poétique demande beaucoup de travail ! Il ne faut pas un mot de plus pour que le poème aille droit au cœur ! Quatre mots dans un vers et tout est dit. Maurice Carême passait beaucoup de temps à composer ces brefs poèmes.
C’est la plus grande leçon poétique que j’ai apprise de ma vie, là, sous un chapiteau, loin de l’université.
J’en ai vécu, des épreuves et des expériences de vie depuis, mais celles-ci n’ont nullement évincé dans ma mémoire ces paroles essentielles.
J’ai appris que la poésie, c’est aussi le silence, l’effacement afin de laisser à la voix tout l’espace pour s’exprimer.
Chaque année, le mois de Septembre annonçait la joie de ma rencontre avec Jeannine Burny.
Dans le brouhaha du chapiteau, elle me parlait de la Résistance, de ses années de vie en compagnie du Poète en tant que Bien-Aimée.
J’achetais toujours des recueils de poèmes nouvellement publiés que je dévorais dans ma chambre. Ils sont tous bien alignés dans ma bibliothèque de chêne.
L’ultime fois que je vis Jeannine Burny, ce fut en Septembre 2019. Elle m’annonçait qu’elle avait commencé à l’âge de quatre-vingt-treize ans un deuxième livre sur le Poète :
-J’écris jusqu’à deux heures du matin et je me lève à l’aube.
J’avais lu son premier livre Le jour s’en va toujours trop tôt : Sur les pas de Maurice Carême.
Je lui dis combien je m’étais promenée dans la lumière de ses mots pendant tout un hiver.
Puis la crise sanitaire m’a interdite de retourner au stand de Maurice Carême.
C’est en tapant son nom sur ma barre de recherches que j’ai appris le décès de Jeannine Burny.
Elle est partie sans avoir publié son deuxième livre.
Mais j’espère qu’elle suit le sentier d’un jour de soleil, avec dans sa main « cette fraise sauvage » que lui a offerte le Poète au cours de leur éternelle promenade.
Je vous propose, tout au long de ces vacances, des textes sur l’été. Amour, mort, inspiration, enfance, sexualité, découverte, écriture, attente et résilience… Tels sont les thèmes de ce recueil
Un troublant été.
Un troublant été
Elle pleure dans ses feuilles.
Elle pleure, tête penchée sur son cahier de mathématiques, son cahier qui n’a rien à lui dire. Elle vient encore de se faire humilier par cette enseignante à lunettes, au nez pointu comme un bec d’aigle.
Elle ne se souvient plus du motif. C’est sans doute bien véniel. Les larmes montent à ses yeux, débordent, dessinent de gros ronds gris sur le papier. Son chagrin fait des taches. Elle risque encore d’être punie pour cela. Cette prof la regarde pleurer, fixement, non sans une certaine jouissance.
Le soir, au retour de l’enfer, elle écrit. Elle lie amitié avec d’autres feuilles. Le papier l’écoute et reformule ses confidences sous forme de poésies.
Elle ne peut pas dire qu’elle écrit des poèmes, non. Elle dirait plutôt que ce sont les poèmes qui s’écrivent en elle. Des mots lui deviennent familiers comme « désarroi » qui rime avec « foi ». Elle donne la parole à une maigre jeune fille en robe blanche, à une morte qui espère renaître. Elle fait d’un long poème un sentier qui traverse plusieurs feuilles. Écrire, c’est sa force, déjà. Son pouvoir intérieur qui lui permet de résister au quotidien. Comme elle tient un cahier intime, elle sait qu’elle n’est pas toute entière livrée aux autres, que quelque chose d’elle, d’essentiel leur échappe, Quelque part, elle les dupe sur son image. Elle est davantage que ce qu’ils disent d’elle. Et cela lui fait infiniment plaisir.
À la fin de l’année, lorsqu’il lui sera autorisé de « passer dans la classe supérieure » malgré ses piètres résultats, sa mère lui dira :
– Va offrir l’un de tes poèmes à Madame K ! Qu’elle sache au moins ce que tu vaux !
Elle a choisi le poème le plus triste qu’elle a recopié sur deux pages quadrillées, long sentier de la peine que lui avait infligée Madame K tout au long de l’année 1980/1981.
Quand la cloche de la fin de l’ultime heure du cours retentit en ce chaud mois de juin, elle se lève, le ventre serré, le cœur battant. Elle se souvient…
Elle s’approche du bureau comme d’un échafaud, les deux feuillets de sa poésie à la main. Les fenêtres sont ouvertes sur la cour ensoleillée. On entend peut-être le chant d’un oiseau. Elle tend les feuilles à Madame K :
– C’est pour vous !
Madame K est toute surprise. Il lui semble voir, à elle la mauvaise élève, le regard de sa persécutrice s’allumer de curiosité derrière le reflet de ses lunettes.
-Lis-moi le texte, s’il te plaît !
Elle s’entend lire d’une voix tremblante, timide, ce poème qui vient d’elle. Les mots retentissent dans sa gorge. Le rythme des vers court dans son ventre. Ce sont ses dernières paroles. Elle va tout au bout du sentier de ce qu’elle a écrit, de la trace de ses épreuves.
S’ensuit un long silence. Elle s’est arrêtée. Elle y est arrivée.
-Merci ! s’exclame Madame K. Viens que je t’embrasse !
Elle s’approche, lui tend la joue. Le baiser claque, froid et humide. Elle surmonte son écœurement. Au fond, elle a pitié de Madame K qui n’a pas compris qu’elle est à l’origine de ce chant de douleur qu’elle lui dédicace par sa seule lecture.
À la veille des grandes vacances pendant lesquelles elle découvrira tôt le matin, dans son lit, des auteurs enchanteurs comme Pagnol, Peyramaure, elle reçoit un baiser de son bourreau en échange d’une poésie.
Il ne me reste qu’une seule pensée pour toi mais c’est une pensée qui réunit
tous les chemins de juin, l’écume de la vague qui tremble comme une dentelle autour des jambes de la brise, les corbeilles de dattes brunes et de figues séchées sous le bras, les roses du jardin suspendu devenues mauves sous le clair de lune, les flammes qui confient à l’ombre leurs phrases rousses, les encorbellements des ruelles espagnoles d’où vole un rayon de soleil jusqu’à ton cou, les orangers de Tunisie bordant la route à fleur de désert, le pont qui enjambe l’écrin bleu de quelques nénuphars, l’étoile d’un ciel d’août que tu emportes dans ton regard, ta peau chaude et blonde comme du pain au matin, notre terrasse qui se prolonge au-dessus du monde, et notre voyage dans la nuit avec les phares qui nous éclairent juste pour une seconde supplémentaire… Je n’ai pas peur. Ces lueurs suffisent pour continuer jusqu’à la maison.
Il ne me reste qu’une pensée pour toi mais c’est une pensée qui rassemble en un seul poème tout ce que nous avons vécu ensemble.