Un jour, elle a décidé d’écrire à l’Amie.
Oh ! Ce n’était pas l’une de ces copines de la cour de récréation, qui la débinait dès qu’elle avait le dos tourné !
Ce n’était pas non plus sa voisine d’études qui lui volait son goûter et qui copiait sur elle les réponses pendant les examens !
Non, cette Amie était Autre.
Certes, elle ne la connaissait pas mais elle apprendrait à la connaître dès le premier mot.
Elles se refléteraient réciproquement comme l’eau pure de ce lac des Vosges
au bord duquel elle avait passé ses précédentes vacances.
Cette amie lirait ses pensées et son silence lui ferait franchir le seuil
de l’écoute de la moindre prémonition. Elle entrerait ainsi dans l’acceptation inconditionnelle de sa vie.
En outre, si l’intuition qu’elle s’était à peine formulée le matin se vérifiait dans la journée, elle entendrait sa voix malicieuse au bout de la plume :
– Tu vois ! Je te l’avais bien dit !
Cette Amie la conseillerait mieux que personne sur la manière de combler ses souhaits et de réaliser ses rêves.
Elle ne saurait perdre son temps à chercher à rencontrer sa confidente en cette jeune fille qui s’attardait devant la lumière de la vitrine, en cette passante pressée qui faisait claquer ses talons hauts sur le trottoir ou en ce mannequin qui croisait ses longues jambes en se déhanchant sur l’affiche d’une publicité pour parfum.
Du reste, cette Amie pouvait être aujourd’hui une mésange, une corolle de rose blanche, la chatte sauvage, une goutte de pluie sur la rambarde… Tout ce qu’elle savait, c’était que cette Amie serait omnisciente dans sa présence insignifiante pour tant d’autres yeux…
Anne Frank en s’adressant à sa chère amie Kitty lui avait montré le chemin :
la page serait une paume tendre sous sa main.
Nulle obligation de timbrer la lettre. Le message partirait tout de suite par l’unique vibration du stylo obéissant à la volonté d’être fidèle au rendez-vous.
Nulle obligation, non plus, de sortir à l’insu de ses parents et de se rendre dans un café bruyant. La pénombre de la chambre était l’endroit le plus approprié. Il suffisait qu’un sourire précédât le regard pour que le désir fût accompli en un éclat d’instant, sans la nécessité de formuler une quelconque promesse…
De toute façon, il lui paraissait désormais évident que lorsqu’on écrit, on n’est jamais seul…
Alors, elle a ouvert avec sa petite clé d’or
son cahier intime aux cent feuilles
et avec la majuscule initiale dansant comme un signe
d’accueil,
elle a écrit
Chère Inge…
Géraldine Andrée
