Chaque jour,
je nourris la page
de la moelle
de mes mots,
du lait bleu
de mon encre,
de la pâte
de mes feutres
qu’elle absorbe
avidement
en y laissant
des traces
qui sèchent
lentement
dans la lumière
de l’instant.
Je l’abreuve
aussi
de mes larmes
dont le sel
brille
sur ses bords
comme sur des lèvres
de nouveau-né.
J’y ajoute
la substance
légère
de mes rêves,
des joies
d’enfance,
des désirs
de toujours.
Et je m’aperçois
qu’à force
de nourrir
la page,
c’est moi
qui éprouve
de plus en plus
le manque,
selon le vieil
adage
« L’appétit
vient
en mangeant ».
Aussi ai-je
envie
de retrouver
cette appétence
insatiable,
comme lorsque
j’étais âgée
de treize ans
et qu’après avoir fini
de sustenter
ma vie
dans mon journal
intime
par des bribes
de pensées,
des éclats
de conscience,
des aventures
quotidiennes,
je jugeais
que ce n’était pas
suffisant
et je revenais
faire offrande
au papier
d’une émotion
adolescente.
Évidemment,
jeune
comme je l’étais
jadis,
j’ignorais
cet instinct
de maternité
envers mon cahier.
Mais je le sais
aujourd’hui :
en nourrissant
la page
de moi-même,
j’ai de plus en plus
faim
de la vie.
Géraldine Andrée
