Le foyer D. où je logeais pendant mes jeunes années d’étudiante n’existe plus. Il a été transformé en complexe d’appartements.
En passant devant la grille, je n’ai pas reconnu le jardin. La haie de roses a disparu. Qu’est devenu le chat tigré qui observait les reflets du vent sur l’herbe ?
La fenêtre de mon ancienne chambre est cachée par un volet de fer. Je me souviens si bien de la lumière de sa lampe sur mes livres, de la porte grinçante de l’armoire de bois, du lavabo de faïence blanche ! Tout ceci existe encore avec une telle précision dans ma mémoire que je crois que les souvenirs ont l’intense présence des fantômes.
La cabine dans laquelle je téléphonais à ma famille a été enlevée depuis longtemps. Et tous les mots qui furent dits, murmurés, criés à l’écouteur gris, où sont-ils partis ?
J’ai marché jusqu’au seuil où m’attendait mon premier amour. J’ai tressailli quand j’ai vu que la sonnette rouge, elle, avait été conservée. J’entends encore son tintement clair, signe que J.Y s’impatientait. Vite ! Descends ! Nous allons être en retard au cinéma !
J’ai souvenance de tous ces visages, Soeur Mathilde qui m’accueillait à l’entrée, la jeune concierge qui décrochait la clé de ma chambre, Mme L. qui me remettait mon courrier.
Aujourd’hui n’est en rien différent de jadis. Même heure, même ciel, même lumière que lorsque je rentrais de la fac, décachetais l’enveloppe et lisais les lignes inquiètes de ma mère. As-tu assez à manger ? Tu n’es pas malade, au moins ! Surtout, couvre-toi, il fait encore froid !
Pourtant, tout cela s’est évaporé comme si cela n’avait jamais existé, comme si c’eût été un effet de scène annoncé au moment de sa représentation.
Des paroles, des regards, des rideaux, des assiettes, de la table d’études, des parfums des fleurs quand on sortait lire par beau temps, il ne reste nulle trace,
que ces quelques paragraphes sur une page virtuelle.
Et moi, suis-je la même, suis-je une autre
ou une autre moi-même ?
Par quels sentiments suis-je habitée ? Un bonheur triste, une tristesse heureuse en songeant à ce qui me fut accordé de vivre ?
Je sais seulement que je passe dans le temps, avec cette conscience où se mirent encore les instants en allés à jamais.
Géraldine Andrée