Voilà.
Vous avez mis tout votre coeur, toute votre âme dans l’écriture de ce roman, de ce recueil de nouvelles ou de poèmes et, ce matin, vous recevez une lettre de refus de l’éditeur sur lequel vous aviez fondé tous vos espoirs. Pire parfois : cet éditeur ne vous répond pas, ne vous répondra jamais, comme si l’enfant auquel vous avez patiemment donné naissance n’avait jamais existé.
Alors, votre blog est immédiatement abandonné. Votre cahier de poésie se referme. Votre plume est emprisonnée dans son étui. Vous vous jurez de ne plus jamais écrire.
Pourtant, ce refus cinglant ou cette indifférence méprisante ont plusieurs raisons.
Votre oeuvre, objectivement, peut très bien – comme il arrive que le notifie honnêtement l’éditeur – « ne pas appartenir à la ligne éditoriale ». Communément, ce n’est pas le genre de la maison.
Ce refus ne représente pas la qualité de votre travail. Celui-ci ne touche pas la subjectivité de ce lecteur si particulier qu’est l’éditeur. Il s’agit donc d’une simple question de goût – très discutable, voire versatile, je vous le concède.
Il est, de plus, des maisons d’édition qui n’ont absolument pas les moyens de vous éditer, même si votre style est brillant. Publier un livre par an requiert déjà, pour elles, une prouesse.
Enfin, il est des maisons complètement fermées et, quoi que vous fassiez, quelle que soit la manière avec laquelle vous affinez votre style, les portes ne s’ouvriront jamais. C’est ainsi. Il vous faut l’accepter sans vivre ce refus comme un rejet.
Ce qui est sûr, c’est qu’un refus n’a souvent rien à voir avec la valeur de votre écrit. Julia Cameron s’est heurtée à l’antipathie de tous les éditeurs lorsqu’elle leur a présenté son futur best-seller Libérez votre créativité 1. Elle n’a, néanmoins, pas perdu confiance en elle et elle a publié son oeuvre de manière totalement indépendante, à compte d’auteur. Le livre s’est vendu et se vend encore à des millions d’exemplaires. Il connaît un immense succès mondial.
Ce qui est certain, c’est qu’un refus n’a rien à voir avec votre valeur intrinsèque liée au seul fait que vous existiez. Et puisque vous existez, vous avez le droit absolu de vous exprimer.
Demandez-vous pourquoi vous écrivez.
On peut écrire d’abord pour soi, pour voir clair, pour mieux mener sa vie, pour se libérer du passé, s’inventer un avenir, tracer son propre chemin… Ces raisons sont tout aussi importantes que la raison qui vous pousse à vous faire connaître en envoyant votre manuscrit à une maison d’édition.
Dans mon cas, l’écriture m’a permis de me détacher du regard de l’autre par le biais de cette mésaventure que je vais vous raconter.
Très jeune femme, j’ai mis tout mon coeur, toute mon âme dans l’écriture d’un conte dit « spirituel ». J’ai envoyé mon travail avec confiance à un éditeur dont je tairai le nom. La foi m’habitait : le directeur de la ligne éditoriale ne pouvait qu’aimer mon histoire d’amitié avec un ange. La réponse m’est arrivée au bout de six mois, si humiliante, si cinglante, si injuste à mes yeux que je me suis condamnée au silence. J’ai complètement arrêté d’écrire pendant deux longues années. C’est durant cette période de jachère que des rêves riches et multicolores ont constellé mes nuits. Au cours d’une discussion avec un ami lors d’un après-midi d’été, il me fut suggéré de noter mes rêves dans un carnet pour m’exercer à m’en souvenir, pouvoir les analyser plus tard et voir comment ils construisaient dans mon sommeil ma réelle identité.
J’ai acheté, après beaucoup d’hésitations et de répétitions de « A quoi bon ? », un carnet neuf, et, au fil de l’encre, j’ai retrouvé le goût du détail, de la description. La couleur d’un jardin contemplé de l’autre côté m’invitait à chercher un adjectif approprié à mon ressenti, la respiration d’une feuille écoutée au coeur de ces nuits me guidait vers la rencontre d’une métaphore. Je me suis abandonnée à l’élan du stylo. Des ailes m’avaient poussé. Mes rêves nocturnes m’avaient fait renouer avec le grand rêve de ma vie : l’écriture.
Depuis, je n’ai plus jamais quitté la page. L’écriture m’accompagne partout. Elle est l’ange fidèle que j’ai reconnu dans mon conte refusé et qui m’a appris à ne plus faire dépendre la perception de ma valeur du regard d’autrui, fût-il celui d’un célèbre éditeur de Paris.
Alors, remettez-vous à écrire.
Entre le silence blessé et l’obtention du prix Goncourt, il y a la voie du juste milieu, du chemin vrai pour vous : écrire aide à vivre.
Sur le rejet de votre enfant, écrivez. N’y ajoutez pas l’abandon. Ecrivez pour aller vers sa guérison.
Remettez-vous à mal écrire, même, puisque c’est ainsi que vous vous jugez. En effet, comme le dit Julia, les mauvais écrits d’aujourd’hui font les oeuvres réussies de demain 2.
Et vous en avez également le droit : n’écrivez pas, si telle est votre envie. N’écrivez pas, mais la raison ne doit pas en être le dépit. N’écrivez pas. Cela ne fait rien. Ce n’est pas parce que la page demeure blanche que rien ne se murmure en vous. Il est temps, tout simplement, pour votre âme de s’exprimer autrement jusqu’à ce que vous vous remettiez à écrire, riche de vos moments vécus.
Remettez-vous à écrire, ne serait-ce que sur la redécouverte de votre blog, la page tournée de votre cahier ou sur le changement de couleur de votre encre signalant votre résilience.
Remettez-vous à écrire cette phrase : « Je ne laisserai plus jamais le jugement d’autrui détourner le cours de ma vie. »
Remettez-vous à écrire, ne serait-ce que pour avoir le plaisir de vous relire plus tard et de réécrire vos pages, car votre oeuvre évolue comme votre être. Mieux : votre être fait évoluer votre oeuvre et votre oeuvre fait évoluer votre être. Vous êtes comme vous écrivez. Vous écrivez comme vous êtes. C’est bien ainsi. C’est ce qu’on appelle « un style », au naturel.
Vous vous apercevez alors que votre plume délivrée vous fait aller toujours plus loin que les refus et qu’elle n’a même plus besoin d’un quelconque désir d’approbation pour vous emmener vers le mot juste pour vous.
Géraldine Andrée
1 Julia Cameron, Libérez votre créativité, Osez dire oui à la vie ! Collection Aventure secrète, 1992
2 Ibid