Se regarder dans le miroir des mots et se dire : « Je vais mal » ou « Je vais bien. »
Traverser la longue journée pour être à l’heure à ce bref rendez-vous fixé avec soi.
Choisir son cadre et son rythme.
S’entendre respirer.
Suivre son souffle.
S’attendre fidèlement à chaque espace parcouru, sans rien attendre du monde, des autres – et surtout de soi.
Partager sa journée entre « l’avant » et « l’après » de la page.
Se glisser dans les interstices.
Franchir la ligne.
Verser, déverser, épancher.
Être le témoin des marges qui s’effacent.
Être le contenant sécurisant des émotions qui s’apprêtent à déborder.
Rejoindre le bord. Puis tirer un trait.
Entrer dans la chambre blanche, déposer ses valises, fermer la porte et retrouver les autres, allégé.
Comparer le crépitement de la page tournée au craquement de la chrysalide.
Relater sa transformation, point par point.
Écouter ce murmure inaudible qui touchera la feuille avant d’effleurer les lèvres.
Répéter le geste. Sans se lasser. Parce que c’est ainsi que l’on a pleinement conscience de ce qui s’écrit, là et ici.
S’apercevoir que le temps coule à travers soi. Et que c’est bien ainsi. De même que l’on ne peut retenir le temps, on ne peut empêcher l’encre de s’en aller.
Capter ce qui passe. Et passer en même temps.
Écrire surtout pour ne pas relire, ni donner à lire. Parce que cela équivaudrait à arriver, et donc à mourir.
Écrire pour être.
Écrire pour être enfin délivré du besoin d’exister.
L’écriture comme libération de la perversion narcissique
Elle rentra chez elle, complètement bouleversée par les mauvaises vacances qu’elle avait passées avec lui. Elle ne pouvait croire que le terrible trajet du retour était vrai. Il n’avait cessé de la dénigrer, de la tourmenter pendant tout le voyage. Émotionnellement épuisée, elle songea même à ouvrir la portière et à se jeter sur l’autoroute. Cette perspective la remplit d’effroi lorsqu’elle retrouva le calme de son appartement. À cette heure, elle aurait très bien pu ne plus exister… Elle entendait encore sa voix qui lui hurlait dans ses tympans :
« Puisque tu me reproches d’être un despote, je vais l’être, despote ! »
Comment était-ce possible que cet homme cruel, caractériel, avec lequel elle avait mangé des crêpes au chocolat le samedi après-midi, fait l’amour sensuellement, décidé de la machine à laver commune, projeté d’acheter une maison – LEUR maison – révélât un tel visage ?
Cette phrase, elle l’avait bel et bien entendue – ainsi que ce mot. Ainsi, il exigeait d’elle obéissance, soumission, lui qui lui offrait de belles fleurs…
Pour en avoir le cœur net, elle inscrivit sur son carnet bleu les signes qu’elle n’avait pas détectés, ou plutôt, qu’elle n’avait pas voulu voir : sa moue boudeuse quand elle avait refusé de visiter le marché de Noël, parce qu’elle avait une bronchite ; ses longs silences, parfois ; le fait qu’il lui arrivait de ne pas se laver pendant trois jours, puis il s’approchait d’elle, puant la sueur ; le tri de ses chaussettes sans qu’il lui propose la moindre aide ; ses exigences, comme le devoir qu’elle avait de servir le dîner à dix-neuf heures tapantes ; ses reproches constants – « Il y a des traces sur les tasses », « le fond de cette casserole est noir », « tu n’as pas nettoyé les carreaux depuis longtemps, ça se voit » – ; ses avances pendant qu’elle dormait profondément ; c’était toujours elle qui payait le restaurant… À sa grande surprise, la liste se remplissait rapidement. Elle en était certaine : le visage qu’il avait montré au trajet du retour des vacances était le vrai ; l’autre, celui du parfait gentleman, n’était qu’un leurre, un masque de comédien pour mieux exercer son emprise sur elle, l’annihiler.
Pourtant, quand il frappa à sa porte, trois jours plus tard, pour s’excuser, tout penaud, avec un énorme bouquet de roses dans les bras et lui jurer qu’il ne recommencerait plus jamais, que c’était la dernière fois, elle le laissa entrer.
Elle accepta
ses excuses, ses justifications, sa victimisation : « Que veux-tu ? J’ai eu une enfance malheureuse, avec une mère possessive et un père absent ! », son bouquet.
Elle s’attendrit tellement sur ce pauvre garçon qu’elle le laissa de nouveau rentrer chez elle. Elle lui pardonna, reprit leur relation, jusqu’à la dépression et au bouquet final : celui des coups et des humiliations.
Lorsqu’elle l’eut enfin quitté, elle regretta amèrement de n’avoir pas fait confiance à son carnet bleu qui lui aurait épargné beaucoup de jours douloureux, si elle l’avait écouté.
« Elle », c’est vous, c’est moi, cela peut être n’importe quelle femme (ou homme, car il y a aussi des perverses narcissiques).
Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire ?
Parce que je veux vous montrer que l’écriture peut vous sauver, vous délivrer des liens de la perversion narcissique.
Lorsque vous êtes la proie des griffes d’un pervers narcissique, la première chose à faire est de reprendre contact avec vous-même. Je conçois que cela soit difficile. En effet, vous avez complètement disparu dans les désirs et les projections du pervers. Celui-ci s’est nourri de vous. Il vous a retiré votre substance vitale, comme une araignée avec un papillon qu’elle a piégé dans sa toile. En un mot, il vous vampirise. Vous vous êtes effacé(e) jusqu’à n’être plus rien ou si peu. Vous êtes devenu(e) un pantin au bout de sa ficelle, ou une boule qu’il lance, tantôt à gauche, tantôt à droite, au gré de ses humeurs.
Pour commencer à retrouver une existence, une épaisseur intérieure, je vous invite à vous offrir le cahier le plus beau car, contrairement à ce que pense votre bourreau, vous le valez bien, vous le méritez, après tout ce que vous avez dû endurer ou tout ce que vous endurez encore. Votre main sur le papier, la sensation de son grain, doux et velouté, vous remettra au contact de vos sensations, et donc, de vos ressentis qui ont été gommés, mais que l’écriture thérapeutique peut faire réapparaître.
De même, le cadre de la page vous invitera à retrouver vos limites, les contours de votre terre intérieure. Je vous conseille d’acheter un journal qui se ferme avec une petite clé, comme les diaries d’adolescente, afin de protéger ce pays tellement envahi qu’est votre être de toute nouvelle tentative de spoliation, de violation.
Puis, réservez-vous un instant entre deux sanglots, entre deux doutes ou entre deux frayeurs, pour commencer ce cahier de deuil d’une relation : inscrivez la saison, l’année, votre prénom (très important, car vous vous reliez enfin à votre identité, à votre singularité, à votre affirmation de vous-m’aime/même), avec des feutres de couleurs différentes. En effet, les couleurs ont un impact sur nos émotions et la vibration qu’elles émettent redynamise l’énergie de chaque chakra. Le choix de telle ou telle couleur révèlera le chakra affaibli, souffrant, qui a besoin d’être réactivé.
Ainsi, votre prédilection pour le bleu, par exemple, vous remettra en lien avec le chakra de la gorge, et donc de votre créativité qui demande à être développée, afin que vous puissiez trouver les ressources et les stratagèmes nécessaires pour vous sauver de cette situation.
Vous m’objecterez que vous n’avez pas l’énergie, que vous êtes épuisé(e) (physiquement et moralement), que vous êtes vidé(e), alors, écrire ? Mais vous n’avez rien à dire !
Comme je vous comprends ! Quand on est en état de sidération, on ne peut verbaliser ce que l’on ressent, car le cerveau nous coupe de ce ressenti trop violent, pour nous éviter de basculer dans la folie. Cependant, l’état de sidération face au caractère indicible du traumatisme vous réduit au silence. Or, le silence, c’est ce que le pervers veut : que vous soyez privé(e) de toute parole, c’est-à-dire dans l’incapacité de prendre conscience de ses forfaits (la verbalisation aide le psychisme à cette prise de conscience progressive) et donc, de les révéler. Le silence vous réduit au rôle de victime.
Écrire, c’est ébaucher une conscientisation de ce qui nous arrive, c’est commencer à entrevoir une victoire, une possibilité de s’échapper (au moins psychologiquement, dans un premier temps). Le mouvement du stylo sur le papier est toujours synonyme de progression, car il imprime dans votre inconscient la pulsion de vie, le désir d’avancer. En franchissant l’espace suivant, vous vous projetez vers un avenir proche, puis plus lointain. L’écriture vous permet donc de sortir de l’état de sidération, propre à l’impuissance acquise. En outre, remplir une page signifie que vous commencez à vous remplir vous-même de vous-même, vous qui vous sentez si vidé(e), si dépouillé(e) ! Peu importe ce que cette page contient… Par les premiers mots, les premières gouttes d’encre, vous versez dans votre cœur (que vous pouvez visualiser comme une tasse) le breuvage de votre énergie vitale.
Quand on est encore en état de sidération, nul besoin d’utiliser des phrases littéraires, dont la syntaxe est compliquée. Quelques lignes, quelques phrases simples, des phrases nominales ou adjectivales suffisent. Un excellent exercice consiste à noter quotidiennement la formule suivante : « Aujourd’hui, je me sens… » et d’ajouter une succession d’adjectifs. Si des comparaisons vous viennent, inscrivez-les, mais ne vous forcez pas à les développer, si vous n’en éprouvez ni la force, ni l’envie. Contentez-vous d’une prise de notes rapides, en entourant les mots-clés ou en les reliant par des flèches. Cette mise en relation vous permettra de mieux comprendre, ensuite, pourquoi vous en êtes arrivé(e) là et de retisser un lien avec vous.
Le temps est maintenant venu de creuser avec votre plume les raisons pour lesquelles vous avez entretenu une relation avec un pervers narcissique.
La première raison est que vous dépendez émotionnellement des bons souvenirs que vous avez vécus avec lui. Ces bons moments appartiennent à la phase « lune de miel » qui permet au pervers narcissique de resserrer son emprise. Vous avez vécu des instants parfois si intenses, si agréables que vous vous demandez si l’enfer que vous vivez est bien réel. N’est-ce pas vous qui « prenez tout mal » (comme il a l’habitude de vous le reprocher) ? Et pourtant, ce sont les instants heureux qui ont été un leurre et qui vous ont emprisonné(e) dans une illusion toxique. Comme vous êtes dépendant(e) de l’euphorie et de la montée d’adrénaline qu’ils ont provoquées en vous, vous êtes prêt(e) à endurer les pires tourments pour les revivre ; ce qui vous fait plonger encore plus profondément dans la dépression et le reniement de soi. Un exercice d’écritothérapie va vous éclairer au sujet de votre aveuglement psychique qui vous maintient sous emprise.
Utilisez la tournure « Même si j’ai vécu des moments heureux avec cette personne« , je vis aujourd’hui (et vous énumérez vos souffrances) : « Même si j’ai aimé boire des tasses de chocolat chaud avec lui au bord de la mer les samedis, aujourd’hui, il me trompe et me dit que je ne vaux rien. »
En incluant dans une même phrase les bons et les mauvais souvenirs, vous constaterez le grand décalage entre eux et mesurerez combien le négatif l’emporte sur le positif et qu’il en va de votre vie de ne plus perdre, jour après jour, votre âme, pour récupérer une miette de ce positif. Des tournures comme « je dois bien me rendre compte que« , « il me faut avoir conscience » vous rendront un peu plus lucide et vous permettront de penser enfin par vous-même, ce qui dénouera jour après jour les liens d’emprise.
Dans un second temps, notez dans une liste tous les « drapeaux rouges » ou « red flags » que vous n’avez pas voulu voir et que vous avez minorés parce que vous étiez trop amoureux(se) et envoûté(e) par la phase de « la lune de miel« . « Allons ! Ce n’est pas grave ! vous êtes-vous dit. Qui n’a pas de défauts ? » Il est temps désormais d’être plus lucide. Inscrivez comment ces défauts ont pris de plus en plus d’ampleur, jusqu’à devenir insupportables : « Ses silences sont devenus de la cruelle indifférence ; ses petites moqueries des insultes ; le fait qu’il fouille dans mon portable s’est transformé en confiscation de ce portable, puis en ma propre séquestration. » Définissez vos ressentis, sous forme de sensations physiques et d’émotions, vos réactions : « la gorge nouée quand il rentrait, mon corps était parcouru de frissons, je courais me cacher sous le lit »… L’inquiétude devient de l’angoisse, puis de la terreur… De la peine, vous glissez vers le désarroi, le désespoir, la dépression… Mettez en scène sur le papier les scènes que vous avez vécues avec le pervers narcissique ; théâtralisez ses réactions (pour mesurer combien le pervers était dans l’excès) ; retracez les conversations houleuses, puis les disputes : « Dans une rage folle, me disant : Tu es une nulle. Puis, passant dans l’autre pièce et revenant : – Je vais t’apprendre à être intelligente, moi ! » Les mots mettront en évidence ce que vous avez enduré. Ils vous montreront que ces drapeaux rouges ont bel et bien existé. Et, quand les phares du pervers vous ont ébloui(e) comme un faon, il était trop tard. Vous étiez tétanisé(e), ce qui explique votre impuissance acquise d’aujourd’hui.
Mais il est maintenant grand temps de reprendre votre pouvoir. L’écriture va vous y aider. Prenez conscience qu’il y a entre le pervers et vous un jeu de miroirs. Le pervers ne fait que projeter sur vous ses propres défauts. Ce qu’il vous reproche reflète ce qu’il est réellement. S’il vous dit que vous êtes un(e) incapable, c’est lui qui est incapable : incapable d’aimer, d’avoir de l’empathie… Vous lui servez de miroir puisque vous ne faites que lui renvoyer ses manques.
Mais, en ce qui vous concerne, le pervers est votre miroir inversé. Les reproches dont il vous accable désignent les qualités que vous avez en vous et qui ne demandent qu’à être développées, mises au monde, révélées.
Tracez un tableau en deux colonnes. Dans la première colonne, répertoriez vos prétendus défauts, énoncés dans la bouche du pervers. Puis, dans la deuxième colonne, inversez ce défaut pour y voir la qualité que vous détenez et que vous pouvez expanser en utilisant le « Je« . Ainsi, « tu es nulle, ma pauvre fille ! » devient « Je suis créative. Je vais cultiver cette créativité ! » ; « Tu ne sais pas faire le ménage correctement ! » signifie « Je vais faire le ménage dans ma vie ! Et je vais commencer par toi ! » En procédant ainsi, vous opérez une distance salutaire entre les propos du pervers narcissique et votre psychisme. Écrivez avec une encre de couleur vive en haut du tableau :
Je ne suis pas ce qu’il dit !
Il est temps maintenant de retrouver votre territoire intérieur. En effet, vous existez, indépendamment du pervers narcissique. Vous allez donc vous remettre en contact avec votre propre vibration, votre touche personnelle, la couleur de votre âme, votre signature d’être. Ajoutez une troisième colonne au tableau précédent ou faites une liste à bulles dans laquelle vous inscrirez comment exploiter la richesses de vos ressources, remplir votre puits profond, développer ce qui demande à s’expanser et que le pervers, par ses remarques désobligeantes, vous a montré. Ce peut être élaborer sa boutique personnelle de création de bijoux, jeter l’usagé pour faire de la place au neuf, décorer votre maison, vous inscrire à un cours de yoga ou de peinture, écrire un livre sur votre histoire… Veillez à nourrir votre corps, votre cœur, votre esprit et votre âme chaque jour. Vous prendrez alors conscience que cette difficile épreuve vous ouvre la porte d’une dimension psychique nouvelle.
C’est sur quoi vous focalisez votre regard qui prend de l’importance et qui existe. Si vous pointez le comportement négatif de votre pervers, c’est cette négativité qui remplira votre vie. En revanche, si vous vous focalisez sur le positif en vous, vous améliorerez sans nul doute votre vie. Les mots sont puissants et créent votre réalité, votre vérité. Il est temps d’écrire la visualisation de votre futur.
Décrivez la personne que vous souhaitez devenir. Faites le portrait de vos qualités (physiques/morales).
Évoquez les sensations que vous éprouvez dans votre nouvelle vie : comment vous voyez-vous ? Comment vous sentez-vous (aérien(ne), sans entrave, rempli(e) de légèreté…) ? Comment cette liberté se manifeste-t-elle physiquement ? Détaillez vos gestes, vos attitudes, l’aisance de votre corps dans vos vêtements, sa souplesse lorsqu’il bouge, se déplace…
Mettez-vous en scène dans un endroit qui vous plaît : quel est-il ? Dans quelle région ? Quel pays ? Énumérez tout ce qui rend cet endroit agréable (l’espace, la lumière, la végétation, les sons, les odeurs…)
Que faites-vous ? Quel métier ? Quelles passions, hobbies, activités pratiquez-vous ? Soyez le témoin de votre épanouissement, de votre succès que vous ne devez qu’à vous-même (m’aime).
Développez les sentiments positifs qui vous traversent : quelles réactions physiques suscitent-ils en vous ? « Des larmes de joie coulent sur mes joues ; je les sens glisser et laisser entre mes fossettes leur trace chaude…«
Approfondissez cette visualisation ; revenez-y autant de fois que nécessaire pour la préciser ; dessinez-la dans votre journal ; faites-en un poème ; renforcez-la par des affirmations spirituelles comme « l’Univers pourvoit à tous mes besoins.«
Et surtout, actualisez cette vision future ; rendez-la présente ici et maintenant, en employant le temps du présent.
Tous ces exercices d’écriture vous donneront la force de partir, de reconstruire votre vie, de vous détacher de votre bourreau. Même si vous redémarrez de zéro, chaque jour vous offrira l’opportunité de progresser vers votre Être véritable. La page vous ouvre une fenêtre de libération, une porte de sortie, une issue de secours. Utilisez-la. C’est votre premier signe de liberté. Bien entendu, vous pourrez y ajouter les prises de conscience venues de vos séances de thérapie, les conseils prodigués par l’assistante sociale, votre avocat. Que ces pages composent le cahier de votre renaissance qui sera le retour à vous-même (m’aime) !
L’écriture est inconditionnelle. Une feuille de papier avec un stylo suffit. Il arrive qu’elle me console de la Vie.
Qu’importe où je suis : dans un immense désert ou dans une grande métropole. L’écriture est un lieu que j’habite instantanément.
Qu’importe que je me sente exilée au milieu des autres : j’ai ma place au bord de la marge et je me reconnais immédiatement dans le premier mot.
Même si, parfois, j’ai l’impression d’être étrangère en ce monde, l’écriture m’intègre à l’espace devant moi. Elle me relie à l’Univers, car elle est tous les univers possibles réunis, toutes les pensées, toutes les émotions d’un héros ou d’une héroïne qui vit très loin de moi, mais qui me ressemble et que j’appelle mon prochain.
Quand j’écris, les contraires se rejoignent. La joie est la face cachée de la tristesse, et la tristesse est la face cachée de la joie. La gratitude découle de mes épreuves. Tous les sentiments antagonistes sont acceptables et acceptés.
L’écriture ne me juge pas. Quelles que soient mes actions, quelles que soient mes opinions limitantes et la manière avec laquelle je me considère et je me présente devant la page, les mots apparaissent, me saluent et me regardent avec complicité.
Je peux écrire n’importe comment : à genoux, assise, couchée. Dans un train, dans ma chambre, dans un café bruyant. L’écriture m’enveloppe dans la soie de son silence. Je disparais en elle. Plus personne ne me voit. Je m’efface pour la laisser exister. Et c’est alors que je suis placée devant cette évidence : je suis vivante, ranimée par cette voix omnisciente qui murmure en moi.
Je peux écrire bien apprêtée, parfaitement maquillée, ou en pyjama, cheveux hirsutes. Pour un poème, l’apparence ne compte pas. Il est le chemin qui me mène à l’intérieur de moi. Une histoire ne se sauvera jamais parce que j’ai les mains tachées de chocolat. Le papier est capable de tout supporter, y compris quelques taches, parce que seul prime ce contact avec ma main. Telle est l’intimité de l’écriture.
Par conséquent, je me libère tellement que je franchis toutes les lignes. Les frontières me laissent passer. Je me fais le témoin de l’irrévocable qui est rappelé, de l’irréversible qui revient. Un ami perdu s’assoit au petit matin dans le bar californien de mon histoire et nous conversons comme si nous ne nous étions jamais quittés. Les anciens printemps font refleurir le parterre de pervenches saccagé. La maison détruite m’ouvre sa porte. Je trouve auprès d’une majuscule la trace de la promenade du chat de mon enfance. Je saisis l’inaccessible, tandis que mes soucis se retirent au large de la page qui se prolonge, s’expanse selon mes confidences. Je découvre que je détiens le pouvoir sur cet océan.
Puis, bien plus tard, je touche le rivage de la mort. Et là, je vois tous mes défunts assis autour d’un feu. Mon encre circule en eux. Je reviens de cette vision de résurrection avec, dans mes mots, leurs yeux.
Dans l’espace-temps inconditionnel de l’écriture, l’hippopotame et la brindille échangent, depuis la préhistoire, sur leur condition d’être vivant. Et c’est ainsi que je prends conscience de la perpétuelle correspondance dans la nuit entre le mot et l’étoile.
Je doute alors d’être une écrivaine.
Ne serais-je pas, en effet, celle qui tend simplement le fil de son encre entre toutes les fenêtres du monde, à partir de la fenêtre de mon cahier solitaire, sans attendre aucun signe de réponse ?
Qu’est-ce qui me motive à écrire des billets jour après jour, semaine après semaine ?
Ai-je envie d’être lue ? Peut-être, mais ce n’est pas ma seule motivation, car je n’ai pas tant de lecteurs que cela… Alors, hormis la quête d’un éventuel lectorat, quelle est cette force instinctive qui me pousse à aller sur mon tableau de bord et à cliquer sur le signe + pour rédiger un billet ?
Afin de trouver une réponse parmi d’autres, je remonte au souvenir de la création de mon premier blog en 2007. Celui-ci était alors hébergé par skynet, plateforme qui a, depuis, fermé ses portes pour les blogueurs.
Jusqu’en 2007, j’écrivais en secret. Certes, j’avais participé à quelques concours littéraires qui m’avaient très honorablement primée. Mais mes textes étaient réunis dans différents cahiers, comme pendant mon adolescence. Des cahiers de toutes les couleurs, de tous les formats, de toutes les textures, souvent raturés.
Parfois, il me venait l’envie de dactylographier ces brouillons. Alors, je les tapais sur ma machine à écrire noire de jais avant de faire dupliquer et relier leur version définitive dans un magasin de photocopies. J’en ai retrouvé beaucoup dans des porte-documents datant de plus de vingt ans ou réunis dans une maquette plastifiée, dont la spirale avait quelque peu rouillé ou s’était détachée du papier.
Attendrissement.
Cependant, quelque chose en moi trépignait. Mes textes – nouvelles, poèmes, récits, débuts de roman – avaient beau être classés, le silence de mon secrétaire profond les recouvrait d’oubli.
En 2007, après la lecture du livre d’Eva Arcady, Dépendance affective, oser être soi pour s’en libérer, qui répertoriait en annexes certaines références dont le blog de peinture spirituelle de cette autrice, je suis allée sur la plateforme qui hébergeait son travail.
Je me souviens. C’était un dimanche pluvieux de printemps. Cette simple question m’a saisie :
Et si je créais mon blog, moi aussi ?
C’est ainsi qu’est né https://lavieartistiquedegeraldine.wordpress.com/ (La vie, œuvre poétique), réunissant des poèmes de tous les styles, de tous les genres, de toutes les formes. Certains furent le point de départ de la publication de recueils ultérieurs. À cette époque, j’achetais dans des boutiques d’art des images que je scannais puis téléchargeais. Je passais beaucoup de temps à développer ma créativité. La vie de ce blog « s’épanchait dans la vie réelle » pour reprendre une expression du poète Gérard de Nerval. La vie artistique de Géraldine reflète vraiment l’évolution de mon écriture sur dix-sept années. Quand je relis des billets datant de 2007-2008-2009, je suis surprise par mes trouvailles et mes maladresses. J’ai l’impression que c’est une autre qui a écrit tous ces billets et que je ne suis plus « cette femme-là ».
Ensuite, me projetant déjà inconsciemment dans la publication de livres, je décidai de donner au blog une ligne directrice, un thème, une tonalité.
C’est ainsi que le blog initial La Vie artistique de Géraldine, migré chez WordPress, a tissé de nombreuses ramifications.
Un autre blog est né, consacré, lui, à des textes plus intimistes, sensoriels et nostalgiques : https://sensualitedesmots.wordpress.com/ (Les mots sont sensuellement possibles), alors que le blog précédent était davantage dédié à une inspiration cosmique, artistique et spirituelle.
Puis, j’ai créé un blog de poèmes courts, si brefs que leur concision est à la limite du haïku : https://petitesobservationsdujour.wordpress.com/ (Pensées du jour neuf). Je voulais produire un effet saisissant sur mon lecteur, au moyen de textes proposant une réflexion philosophique et introspective sur l’universalité de la condition humaine.
Enfin, le site https://quevivelavie.wordpress.com/ (Que vive la vie en vous) a vu le jour, dans l’objectif de relier la littérature au développement personnel.
Et ce site https://lencreaufildesjours.com (L’Encre au fil des jours) a professionnellement mis l’écriture au service d’autrui, dans une perspective biographique et thérapeutique.
Le point commun de tous ces sites montre combien les mots nous rendent intemporellement vivants. Chacun de mes blogs converse avec les autres, par la parution de billets appartenant à un site sur la page respective des autres sites, permettant ainsi une promenade littéraire, si le lecteur le désire.
Alors, pourquoi je blogue ?
Autant en identifier les raisons puisque je passe beaucoup de temps à cette activité non lucrative (chaque Newsletter est gratuite et le restera).
Je blogue parce que
J’aime publier autrement.
J’aime créer et développer mon activité avec une visibilité immédiate.
J’aime devenir le témoin de mon écriture, tandis que mon écriture se fait le témoin de ma vie et que le lecteur se fait le témoin de la vie de mon écriture.
J’aime mettre mon identité en ligne (une façon d’exister, d’afficher ma singularité dans une relative discrétion car, après tout, ces sites, il faut les trouver sur l’immense Toile !).
J’aime jouer avec les différents caractères des lettres.
J’aime choisir une image adaptée à la tonalité de mon texte.
J’aime me familiariser avec les techniques de l’informatique et de l’intelligence artificielle (apprendre, toujours apprendre)…
J’aime relire partout ce que j’ai écrit, sans emporter de cahier, de classeur… Un écran de portable suffit pour rentrer en contact avec mon être intérieur, alors que je me languis sur un quai ou dans une salle d’attente.
J’aime considérer que mon blog est un grand cahier qui ne finira pas. Il n’y aura jamais de dernière page (à moins que je ne le décide).
J’aime mesurer tout le chemin parcouru dans mon pays de Poésitanie (clin d’œil à Saravati, ancienne blogueuse. Si jamais tu passes par là, sache que je ne t’ai pas oubliée).
Tu peux m’objecter, cher lecteur, que les textes publiés sur Internet sont virtuels, fragiles. Ils peuvent disparaître comme ils sont apparus, dans le battement d’ailes d’un instant.
C’est vrai. Mais le papier que tu tiens entre tes mains peut se déchirer, brûler, se perdre, lui aussi. De surcroît, ne jaunit-il pas avec le temps ? Les mots ne s’effacent-ils pas au fil des ans ? Je connais des lettres d’amants dont l’encre s’affadit à fleur de blanc… Il ne reste plus que la frêle empreinte de leur passage dans une neige un peu brune…
L’écriture n’est pas indélébile, car la vie est éphémère.
Et toi, pourquoi blogues-tu ? N’hésite pas à me faire part de tes réflexions. Nous pourrons ainsi créer ensemble un petit atelier d’écriture… en ligne !
Je souhaiterais vous parler aujourd’hui d’une pratique de mon journal : les pages du matin.
Le concept ne vient pas de moi, mais de l’enseignante en créativité, Julia Cameron.
Que sont ces pages du matin ? Disons simplement que ce sont trois pages d’écriture manuscrite dans lesquelles on donne libre cours à ses pensées. »
Voici le bilan que je peux faire des pages du matin que j’intègre dans mon cahier-journal Leuchtturm.
Écrire mes pages du matin, c’est abandonner mon égo et me laisser aller à ce qui vient.
En remplissant trois pages, juste trois pages, je ne me fixe aucun challenge littéraire. Je n’ai pas le souci de créer des effets stylistiques, de choisir des images pertinentes, de sculpter poétiquement ma pensée. J’apprends à redevenir humble et à accepter ma part limitée d’humanité, celle qui geint, s’impatiente, se désespère. Si un mot choquant, voire grossier, s’invite dans mon cahier, je le laisse entrer. Après tout, l’écrire m’évitera sans doute de le lancer à la figure de mon prochain dans la journée. Mes phrases sont simples, parfois réduites à un seul nom ou adjectif « Folle. Quelle idée. » Ma syntaxe se disloque ? Et alors ! C’est le signe que je restitue fidèlement les mouvements de mon humeur qui traversent mon être. Quand l’écriture m’emporte, toute ponctuation disparaît – indice que je m’abandonne vraiment à son flux :
J’aurais tellement besoin de partir en vacances la mer qui se perd et me perd pourquoi ce désir de m’égarer »
Remplir trois pages, juste trois pages, c’est s’accorder un espace-temps qui est long et court à la fois. Je ne peux me permettre de contourner la vérité. Et, en lien avec l’tem 1, je ne peux me cacher derrière une métaphore clinquante. La page du matin m’oblige à ôter mon masque. Si je suis triste, fatiguée, je l’écris. Si quelqu’un m’exaspère, je me l’avoue. Je ne feins pas d’être celle que je ne suis pas. Le contact avec le papier m’invite à être au contact de moi-même. Bien sûr, je peux être tentée de jouer à celle que rien ne touche, qui va bien. Mais il y a toujours un mot qui perce la carapace et alors, la vérité s’inscrit clairement : « Tu ne t’es jamais vraiment remise du deuil de tes parents. »
Remplir trois pages, juste trois pages, c’est lâcher prise, renoncer à tout contrôle, toute rationalité. Je l’avoue : au début, cela a été dur pour moi. Mais maintenant, j’accepte de perdre le fil directeur de mon écriture. Je me fie au thème qui vient et qui remplace le précédent. Je sais qu’un chemin mène à un autre chemin, qu’un sujet débouche souvent sur un autre sujet. Enfin, je ne me juge plus comme avant : « Cela ne veut rien dire ce que tu écris. » Mieux : je trouve normal de passer du coq-à-l’âne et si une phrase surgit au milieu de la phrase que j’écris, je la laisse interrompre la phrase précédente. Ce n’est rien si un mot se suspend, est incomplet. Je sais que ce qui doit s’exprimer trouvera toujours la manière de le faire : « Il n’y a pas à dire. Ce boulot est… je vais m’acheter une bougie parfumée pour me consoler. INFAISABLE. »
Remplir trois pages, juste trois pages, c’est aussi me confronter au silence. Dans ce cas, j’écris ce silence – comme le conseille Julia Cameron. « J’ai la tête vide aujourd’hui. Strictement rien à raconter. Ma vie est blanche comme ce papier. » Si je dois répéter que je n’ai rien à raconter, je le réécris, encore et encore. Et alors, la neige fond ; une pousse apparaît. Ainsi, une note se cachait derrière ce silence… Je décèle une tonalité que je m’empresse d’inscrire. Je fais paradoxalement l’expérience d’un vide qui a tout à dire, qui ressemble à un trop-plein et qui déborde. Le « rien à dire » m’ouvre à tous les possibles. C’est lorsque je ne vois pas quoi écrire qu’une vérité se fait jour car j’ai désencombré mon esprit de toutes les illusions qui la masquaient.
En persistant à écrire trois pages, juste trois pages, je deviens le témoin d’un miracle quotidien. En effet, au bout d’une page et demie – deux tout au plus -, comme l’affirme Julia Cameron, une fenêtre s’ouvre et la voix que je considère comme étant celle de mon âme prend le relais. Alors, moi qui ne voulais pas faire de la poésie, je m’aperçois que j’écris poétiquement. Mais c’est une poésie qui est au contact de ma vie, de ma réalité ; c’est une poésie (e)/(a)ncrée ; c’est une poésie qui me révèle ce que je dois savoir pour avancer dans mon existence : « Tu cherches ton étoile dans le ciel, mais ne sais-tu pas qu’elle est en toi ? » J’en fais l’expérience chaque matin : en allant d’une marge à l’autre, de la page une à la page trois, je vais au-delà de moi-même, sur ce rivage où une femme authentique m’attend et vient à ma rencontre quand j’accoste… enfin.
Petit à petit, grâce à une pratique assidue, je m’aperçois que ces trois pages sont à mon écoute. Je m’apaise ; mes problèmes s’atténuent, puis s’effacent. Les situations les plus redoutables s’arrangent ; mes vœux se réalisent ; des biens se matérialisent. La page est un univers dans lequel Dieu se manifeste. Je suis convaincue qu’écrire ses pages du matin constitue une forme de prière.
Mais je vous entends m’objecter : « Je n’ai pas le temps de faire ces pages ! Je dois me réveiller tôt, faire lever les enfants, courir à la crèche, au travail ! »
Sachez que ce problème, je le rencontre aussi. Cependant, je trouve toujours le moyen d’écrire trois pages, juste trois pages. À côté de mon café dans le meilleur des cas, sous ma petite lampe de chevet allumée alors que l’aube est encore noire, dans le train, entre deux gares, dans la salle d’attente du laboratoire, sur la table d’un bistrot avant le grand examen… Je dois dire que ce sont les situations les plus incongrues, les plus inconfortables qui rendent ces pages criantes de vérité. Je vous en livre un exemple :
Pages écrites le 20 octobre 2021, dans le train, après avoir traversé une ville qui faisait vraiment grise mine à six heures :
Rebelote le train. Je suis très loin des aubes romantiques des Miracle Mornings, pleines d’élan et de vie. À la place, c’est encore la nuit, la petite pluie agaçante et glaciale sur le manteau. Je vais arriver trempée. Nouvelle désillusion hier : J’ai travaillé avec X qui m’a demandé de payer ses exemplaires !!! C’est du vol… Je me fais toujours avoir de toute façon. »
Pendant une page et demie, je ronchonne jusqu’à ce qu’apparaisse cette phrase :
Si je veux travailler en libérale, il faut que je sois libre au sujet de ma façon de travailler. »
Évidemment ! Je n’avais jamais fait le parallèle entre « libre » et « libérale« , moi qui me résignais, voire me soumettais à des situations inconfortables : « C’est ainsi ! Je ne peux rien y faire ! » Deux mots associés me donnaient la clé. Et le lendemain, émerge dans les mêmes circonstances du petit matin, une phrase plus positive :
Après tout, c’est une chance, pendant mon trajet, d’assister au lever du jour !
Écrire tôt, c’est m’éclairer ! »
Comment pratiquer ?
Vous pouvez utiliser un cahier format A5, relié ou à spirale. J’aime les cahiers de la marque Leuchtturm car le stylo glisse bien sur le papier.
Quant au stylo, privilégiez les stylos à bille légers. Si vous optez pour la plume, veillez à avoir suffisamment d’encre afin de ne pas être interrompu par un problème technique de changement de cartouche en plein flow.
Et c’est tout !
Voici quelques déclencheurs d’écriture pour remplir trois pages, juste trois pages, quand la vie vous presse :
S’informer sur sa météorologie intérieure :
Aujourd’hui, je me sens…
Quel temps fait-il chez moi ?
S’inviter dans sa demeure intérieure :
J’entre en moi et…
Dans mon cœur, je trouve…
Prendre de ses nouvelles en utilisant la deuxième personne du singulier pour favoriser le dialogue avec soi :
Salut ! Comment vas-tu ?
Ici, radio (votre prénom), quelles informations as-tu aujourd’hui ?
Parler de soi avec distance en utilisant la troisième personne du singulier ; on devient, ainsi, le témoin désengagé émotionnellement de sa propre histoire :
Ici et maintenant, elle/il
Elle/il a reçu comme nouvelles à bord…
Je vous souhaite une bonne écriture ! J’évoquerai dans un prochain billet l’utilisation de toutes les pages du matin remplies au fil de sa vie…
Et, pour aller plus loin,lisez :
Julia Cameron, Libérez votre créativité ; La bible des artistes ; Collection Aventure secrète.
Vous pouvez également me livrer votre expérience de votre propre pratique des pages du matin en commentaires, ce qui fera de ce billet un atelier d’écriture en ligne.
Je ne sais pas pourquoi j’écris. Je devrais plutôt me demander pour quoi j’écris.
J’écris pour les retrouvailles avec la lueur de la brindille, à la fin de l’été…
– Tu écris donc pour si peu et si petit ?
Ricane Niege, la part dénigrante de moi-même.
Aussitôt, Inge, la part rassurante, qui prend systématiquement ma défense, rétorque :
– Je crois que G. écrit pour faire de sa vie un chemin de papier, et du papier un chemin de vie. G. écrit comme elle prend un sentier – pour le simple plaisir de cheminer. G. écrit parce qu’elle croit qu’elle n’existe pas dans cette vie et parce qu’elle se dit qu’au moins, ses poèmes existeront à sa place et que si cela se trouve, bien après qu’elle aura quitté ce monde où elle aura été si effacée, elle vivra à travers les mots pour quelqu’un, un inconnu qui sera son prochain sans qu’elle l’ait jamais rencontré. G. écrit pour autoriser tous ces passages invisibles sur sa page, pour inviter tous ces regards auxquels elle s’adresse et dans lesquels elle ne pourra jamais lire d’approbation – car c’est ainsi, on ne croise pas toujours les hommes qui sont censés nous comprendre. G. écrit pour poser une lampe à la fenêtre des poèmes. Que ceux-ci éclairent, chacun avec leur lumière, une portion de la rue obscure où le solitaire s’aventure.
Ces raisons te semblent, certes, dérisoires mais sache, Niege, que les mots, tels de petits cailloux, marquent la destination à retrouver quand l’âme s’est perdue bien loin. C’est pour ces minuscules cailloux que G. écrit. Ni plus, ni moins.
Tu me confies que tu veux mourir que tu n’en peux plus des Autres de Lui de Toi que c’est peine perdue tu n’accompliras jamais ta grande œuvre en cette vie
Mais moi la page je suis témoin que tu n’as pas perdu l’envie de vivre J’en veux pour preuve le sujet d’écriture que tu notes dans la marge d’aujourd’hui pour l’expanser « en vingt lignes au moins » demain
Si je reviens toujours vers mon cahier, c’est parce que je sais qu’un Dieu s’y cache et qu’il attend de rencontrer la force délicate de ma première majuscule, celle qui annonce la vague d’une phrase dont le souffle efface déjà la limite entre le bord et l’infini.
Ce Dieu ne répond à mes questions que par le blanc du silence suivant. Mais je continue à écrire, à confier mes peines, mes interrogations, mes incertitudes au petit tout qu’est la feuille, car c’est cela, la foi, être convaincue que l’absence de Dieu n’est qu’apparente et que la solution poindra, comme une frêle lueur dans la nuit qui s’attarde.
Où est Dieu dans la page ?
En haut, en bas, au centre, à droite, à gauche, entre les lignes où l’encre déborde. La page est l’embarcadère qui me mène à l’inconnu dont ma lampe est le phare. Et peut-être que Dieu est dans mon regard contemplant cet espace pour y déceler un signe…
On peut m’objecter que tout cela n’est que spéculation. Mais qu’importe ! J’ai appris par l’expérience de l’attention que si la réponse divine ne s’inscrit pas immédiatement, elle me parvient plus tard, comme un message enroulé autour de lui-même dans sa bouteille translucide, lancée depuis l’autre rive par cet autre moi-même qui pense à moi,
message que je défroisse et qui me dit :
N’abandonne pas !
Tu ne me chercherais pas avec ta plume, si tu ne m’avais pas trouvé au commencement de ta vie, dans l’une des premières pages de ton cahier d’enfance. Alors, continue à écrire au large du silence. J’existe dans le mot prochain, à hauteur de ta main.