
Il m’a semblé te croiser un jour, dans une rue de Londres.
C’était en l’espace d’une seconde.
J’avais alors quatorze ans.
J’ai cru reconnaître ta frêle silhouette, ton manteau rouge, ta tête à moitié chauve déjà, la fine monture de tes lunettes.
Une joyeuse certitude a éclairé mon coeur : n’importe où dans le monde, tu étais là. Je n’avais pas à me sentir seule.
J’ai oublié que cette apparition ne pouvait être toi qui soudais sûrement deux fils électriques à ce moment précis sous la lampe de ton bureau.
Le temps que j’admette cette logique,
la silhouette avait disparu au milieu de la foule grise.
Il en est de même aujourd’hui.
S’il m’arrive de croiser ton nom au détour d’une ligne, d’une page ou d’une feuille de journal, je crois te reconnaître immédiatement.
Ton nom, Guy, porte nécessairement ton regard, ton visage, ton manteau rouge, tes lunettes.
Il me fait face et je suis toute heureuse de cette rencontre.
J’oublie que ce nom désigne tant d’hommes aux visages, aux yeux et aux vêtements différents.
J’oublie que ce nom n’est pas le signe de ton apparition.
Bien sûr, il suffit d’une seule seconde pour que je me ravise.
Et ta présence s’efface, telle une ombre svelte, parmi les phrases grises.
Mais dans le bref instant qui sépare l’illusion de la prise de conscience, mon coeur s’éclaire
comme jadis, dans cette rue d’Angleterre.
Trois lettres me font oublier, le temps de ma surprise, que je suis seule au monde
et qu’il me faut trouver ma route
avec le souvenir de ton nom qui appartient aussi à d’autres.
Géraldine Andrée