C’est en écrivant la semaine dernière, par un jour de pluie comme celui-ci, que je me suis demandé si je reverrais Jeannine Burny.
Jeannine, la compagne de Maurice Carême, qui a aidé le poète dans la publication de tous ses poèmes.
J’ai croisé Jeannine en deux mille dix, à l’occasion du Livre sur la Place à Nancy.
Je feuilletais le recueil de poèmes Du Ciel dans l’eau.
Jeannine Burny est alors venue vers moi et m’a montré du doigt cette strophe qu’elle m’a lue à haute voix :
Derrière les hauts peupliers,
Les blés montaient dans le soleil.
Le ciel était bleu à crier,
Un ciel à se croire éternel.
-Regardez ! Me dit-elle. Pas un adjectif de trop ! La simplicité même ! C’est si difficile d’écrire simplement, croyez-moi ! La simplicité poétique demande beaucoup de travail ! Il ne faut pas un mot de plus pour que le poème aille droit au cœur ! Quatre mots dans un vers et tout est dit. Maurice Carême passait beaucoup de temps à composer ces brefs poèmes.
C’est la plus grande leçon poétique que j’ai apprise de ma vie, là, sous un chapiteau, loin de l’université.
J’en ai vécu, des épreuves et des expériences de vie depuis, mais celles-ci n’ont nullement évincé dans ma mémoire ces paroles essentielles.
J’ai appris que la poésie, c’est aussi le silence, l’effacement afin de laisser à la voix tout l’espace pour s’exprimer.
Chaque année, le mois de Septembre annonçait la joie de ma rencontre avec Jeannine Burny.
Dans le brouhaha du chapiteau, elle me parlait de la Résistance, de ses années de vie en compagnie du Poète en tant que Bien-Aimée.
J’achetais toujours des recueils de poèmes nouvellement publiés que je dévorais dans ma chambre. Ils sont tous bien alignés dans ma bibliothèque de chêne.
L’ultime fois que je vis Jeannine Burny, ce fut en Septembre 2019. Elle m’annonçait qu’elle avait commencé à l’âge de quatre-vingt-treize ans un deuxième livre sur le Poète :
-J’écris jusqu’à deux heures du matin et je me lève à l’aube.
J’avais lu son premier livre Le jour s’en va toujours trop tôt : Sur les pas de Maurice Carême.
Je lui dis combien je m’étais promenée dans la lumière de ses mots pendant tout un hiver.
Puis la crise sanitaire m’a interdite de retourner au stand de Maurice Carême.
C’est en tapant son nom sur ma barre de recherches que j’ai appris le décès de Jeannine Burny.
Elle est partie sans avoir publié son deuxième livre.
Mais j’espère qu’elle suit le sentier d’un jour de soleil, avec dans sa main « cette fraise sauvage » que lui a offerte le Poète au cours de leur éternelle promenade.
Géraldine Andrée
https://images.app.goo.gl/hfdvU8So4wypcint5