Tu es entrée en maison de retraite mercredi après-midi, pas loin de l’Hôpital Central.
La chambre est petite et claire. Pas de place pour les souvenirs et encore moins pour les fantômes.
Tu n’as pas tellement de bagages. Toi qui aimais t’entourer de choses matérielles, tu te fais désormais légère.
Je t’ai apporté un de mes pullovers et une paire de collants chauds.
Tu as voulu me les rendre, en me disant qu’ici il n’y avait pas de courant d’air.
Bien sûr, j’ai refusé.
Tu ne caches plus rien, entourée que tu es de magazines people, comme ta mère autrefois.
Tu m’as regardée longuement, te demandant à voix haute si je te ressemblais.
Autrefois, je me serais offusquée.
Aujourd’hui, j’ai ri.
Dans la maladie, les questions sensibles perdent toute leur gravité.
On a discuté d’une maison fictive qui m’appartient et que je serais censée rénover dans un lieu qui a le même nom qu’ici mais qui est bien différent.
J’ai fermé les yeux et j’ai visualisé la maison. Je la veux entourée d’un jardin. Peu importe où.
Au moment de se quitter, tu m’as montré de jeunes violettes qui étoilaient l’allée.
Le printemps est précoce, cette année.
Tu as remarqué qu’il faisait enfin jour à dix-sept heures.
J’ai dit C’est super.
Alors que je fermais mon manteau, tu t’es baissée comme une enfant malicieuse et tu as cueilli deux brins de violette que tu m’as offerts.
Je t’ai dit Merci et j’ai approché mon visage de leur parfum.
Ainsi, tous ces jours de folie, d’angoisse, d’hallucination se métamorphosaient en deux frêles violettes bleues, bien ouvertes.
J’ai respiré leur fraîche senteur de jeune fille sur tout le chemin du retour qui traverse la ville.
Je les ai laissées se baigner à mi collerette dans ma tasse à café. Quand j’allume la lampe, je vois leur ombre inclinée sur la feuille blanche de mon carnet sur lequel j’ai noté ton nouveau numéro de téléphone.
On dit que les violettes sont les fleurs du deuil.
Les veuves les accrochaient jadis à la dentelle noire de leur mantille.
Moi, je crois qu’elles sont celles du changement.
Depuis mercredi après-midi, tu as franchi un autre seuil.
Et je t’y laisse avec, entre mes doigts, les deux petites fleurs de ta cueillette…
jusqu’à la prochaine fois.
Géraldine