C’était une ardente après-midi de printemps.
J’avais attendu, dans le plein soleil tout étoilé de pollens, que ma mère vînt me reconduire chez nous à la sortie de l’école.
Dans la voiture, je cherchais mon souffle.
En rentrant à la maison, je respirais de plus en plus difficilement, de plus en plus désespérément.
Je m’assis, exténuée, dans la cuisine baignée de lumière.
Lorsque j’inspirais, mon souffle cheminait très lentement dans mes bronches comme si des obstacles s’étaient dressés à son passage, puis s’en retournait par ma bouche avec des râles rauques.
L’air gonflait mon estomac comme un ballon de baudruche.
Pour franchir le cap de chaque instant, je fixais les fleurs de la nappe.
Il y en avait des mauves, des roses, des blanches.
Je ne faisais que cela: regarder les fleurs une par une, comme si je les cueillais patiemment dans un grand champ.
Et je me disais, sans ces mots que j’écris dans mon journal d’aujourd’hui, mais avec le silence de ma pensée presque inconsciente:
« Tu as vécu un instant de plus, puisque tu as vu une fleur de plus. »
Le docteur consultait à six heures. Ma mère m’y emmena d’urgence. En m’auscultant, le docteur décréta que je faisais une crise d’asthme et qu’il me fallait une injection de cortisone. De toutes mes forces d’enfant, je refusai l’injection de cortisone; ma détermination eut raison de mon étouffement. Pour la première fois, je CHOISISSAIS. Je posais un acte libre du haut de mes onze ans.
Lorsque nous rentrâmes à la maison, l’asthme avait cessé ; je respirais mieux.
Dès que je vis un moment difficile, je songe à chaque instant de mon souffle, au souffle de chaque instant.
Cela me rend plus libre dans le déterminisme apparent d’une situation :
je sais que je suis la seule souveraine de l’adéquation qui existe entre l’éclosion de mon souffle et l’instant présent.
Géraldine Andrée