Partout, des chaussures. De différentes pointures. Du 34 au 44.
Des talons hauts qui claquent. Des bottines aussi. Des escarpins qui se rendent à une soirée. Des baskets de joggeurs. Des boots élégantes pour DRH qui viennent de quitter leur bureau.
Partout, des roues. De motos, de vélos, de voitures, de fourgonnettes, de bus.
Partout, des lignes. De couloirs. De sens interdits. D’obligations de bifurcations.
Le bitume ne garde pas trace de tous ces passages.
Combien ont marché sur l’asphalte depuis que cette ville moderne existe ? Une foule infinie de femmes, d’hommes, d’enfants, de vieillards. Tous ces passants chaussés pour la marche, protégés des pavés, des ordures, des bris de bouteilles éclatées qui jonchent le sol. Des myriades de souliers singuliers, donc, de pas uniques.
C’est comme ça partout dans nos villes.
Et soudain, arrêté à un feu tricolore, le pied d’un cycliste, un pied nu dans le couloir réservé aux vélos, aux ongles vernis de bleu, un pied svelte entre les roues des bus et des camions, un pied si fragile parmi les moteurs vrombissants des voitures.
Un pied délié, un pied d’esthète ou de méditant, qui attend son tour. Il a quitté la pédale du vélo pour reposer en toute confiance sur le bitume froid et mouillé de l’avenue. Les phares et les clignotants de cette fin de journée éclairent son réseau de veinules saillant sous la peau.
Un pied qui nous rappelle d’où l’on vient – de la terre, de l’herbe, de l’humus des forêts, du sable des plages ou des déserts.
Un pied dans l’instant présent – ici, maintenant. Un pied qui fait confiance au monde. Qui sait que le déferlement des automobiles ne l’écrasera pas. Car on ne broie pas une perle. On la repère, de loin, à son étincelle.
Un pied qui nous montre comment renouer contact avec notre nature profonde, à l’aurore des millénaires, quand nous marchions sans semelle.
Le feu est devenu vert.
Le pied s’est levé. A enclenché de nouveau la pédale en y appuyant fermement la voûte plantaire.
Et le vélo s’est évanoui parmi le flux des voitures.
Effacés les ongles bleus, dans le soir électrisé par le clignotement des enseignes.
Qui peut savoir que cette scène a existé ?
Qu’un cycliste, à la fin de la journée, a attendu, pieds nus, parmi les voitures, de passer ?
Nos regards sont des boulevards. Ils ne gardent pas trace de ce qui les traverse.
Mais, il y a ce souvenir inscrit sur le chemin de ma mémoire, dont j’ai composé un poème, à l’encre bleue, en attendant mon bus – le dernier de la journée – assise sur un banc en plastique, pour offrir un peu de repos à mes chevilles tellement oppressées dans leur gaine de cuir.
De combien de pieds se compose ce poème écrit à la va-vite et qui enjambe cette page surlignée ?
Je ne saurais vous dire.
Je sais uniquement qu’il attendra mon feu vert, et tout le temps nécessaire, pour que je le publie.
Tous. les. Jours. à. l’aube. il. ramasse. les détritus. Ces. morceaux. De. vie. Dont. on ne. veut. plus. tous. Les. jours. Il. pousse. Sa. vie. Ce. chariot. Métallique. Surmonté. D’une. énorme. poubelle. de Plastique. Il se penche sur. le bitume. sous. l’éclat. Des ciseaux. D’acier. de. la. lune.
Tous. Les. jours. Il. Ramasse. le déchiré. le délaissé. le déplié. le froissé. le consommé. le consumé. Les. rebuts. de. la fête. Tout. ce. qui. est. jetable. Car. marqué. d’obsolescence. Programmée. Fragments. bris. miettes. cendres. lambeaux. L’encombrant. De. Ce qui. a. été. Mégots. écrasés. emballages. de. bonbons. Barquettes. vides. Micro. ondables. Briques. de jus. capsules. Tous. les. jours. cadavres. de bouteilles. Mouchoirs. entortillés. boîtes. en carton. de pizzas. mangées. En. famille. sur. un banc. public. Ou. Même. préservatif. noué. D’une. relation. clandestine. Derrière. un. tronc. D’arbre. dénudé.
Tous. les. jours. Il. Pense. qu’il aimerait. beaucoup. En fumer. Une. Juste. une. clope. Un. Instant. S’il. vous. plaît. Tous. les. jours. il. se. Dit. qu’il. devrait. acheter. un. Gros. Très. gros. sachet. De. bonbons. pour. sa. Fille. Même. s’il ne. lui reste. Qu’un. centime. À la fin. du mois. Il se dit. qu’il. devrait. Contracter. un. crédit. pour sa fille. Et penser. à acheter. aussi. une. boîte. de mouchoirs. pour. Pleurer. le cadavre. De. son père. Les. larmes. ça. n’a. pas. de. prix.
Quant. à. l’amour. ça. ne se trouve. pas. au coin. d’Une rue. bien. Sûr.
Tous. Les. Jours. Il. balaie. Le. périmé. le dépassé. L’utile. De jadis. L’usagé. d’aujourd’hui. il. a toujours. ramassé. la. mort. des. choses. de la vie. semble. – t. -.il. De. vie. En. vie. Même. avant. de venir. ici. Bas. il. lustrait. la. Voie. lactée. épongeait. les. Débris. des. nébuleuses. nettoyait. les. crachats. des. Comètes. les. éructations. Des constellations. Qu’il devait. Prendre. avec. Des. Gants. Ou. des. Pincettes. Vidait. les. cendriers. Remplis. par. les. Météores. Qui. sortaient. en Soirée.
Toute. la. nuit. que. Dieu. fait. il. jetait. des poussières. D’étoiles. Dans. les. trous. noirs. Faisait. place. Nette. Table. rase. Il y avait. même. des braises. encore. rougeoyantes. des braises. au bout. De cigarillos. D’or. Jonchant. le passage. Du petit. et du grand. Chariot. Pendant. le. Feu. d’artifice
Historique
Et. Qui s’ajoutaient.
À cette. longue. Liste.
De taches. et donc.
De tâches. Infinies…
In. FiNies.
Puis. un. beau. Jour. Le. Grand. Patron. immensément. clair. voyant. lui. a dit. Laisse. ces braises. Elles. ne s’éteindront. pas. de sitôt. Laisse-les. tomber. pendant. des millénaires. Et. parsemer. De leurs. points. tremblants. les Boulevards. de l’univers. Je. t’envoie. Nettoyer. les rues. de la. Terre. Là-bas. C’est plus. utile. Qu’ici.
Alors. comme. Tous. les. jours. Il se dit. que s’il. faut. bien. quelqu’un. Pour. faire. le. Sale. boulot. Et bien. Ce sera Lui. Et. il. se console. d’être. traité. plus bas. que terre. en levant. la tête. d’une canette. Verte. Pour voir. briller. la. dernière. braise. Divine. Avant. le. plein. Jour.
Moi – Mais tu sais bien ! Ceux de l’enfance, enfin !
Elle – Prends une bêche dans les dépendances et creuse la terre du jardin.
Moi – Il n’y a rien ! Que des fouillis d’insectes…
Elle – Alors, prends l’échelle et monte dans les feuilles du mirabellier… Tu n’as pas besoin de moi.
Moi – Il n’y a que des nids vides.
Elle – Va plus haut ! Plus loin !
Moi – Mais je vais bouleverser l’ordre des étoiles…
Elle – Alors, reviens ici et fouille l’armoire.
Moi – Que du noir. Et le tissu mité de l’amour.
Elle – As-tu pensé à la corbeille d’osier dans la véranda ?
Moi – Là où tu entreposes les pamplemousses du soleil ?
Elle – Oui. C’est là.
Moi – Je me suis piquée avec les pointes de l’osier troué.
Elle – Quelle mijaurée ! Utilise tes ongles donc, pour gratter l’écorce de l’oubli.
Moi – Je vais y laisser ma peau. Il me faudra trente lunes pour cicatriser.
Elle – Déclenche le disjoncteur.
Moi – C’est fait. Pas le moindre éclairage dans le cœur.
Elle – Et ce sentier entre la fenêtre et les feuillets bleus ? Y es-tu allée ?
Moi – Je vais essayer.
Elle – Je suis sûre qu’il mène à la maison aux poèmes !
Moi – Celle en faïence, avec des femmes en éventail dessinées sur les murs ?
Elle – Oui, c’est là que nous allions nous reposer en été.
Moi – J’ai bien ouvert la porte. Je n’avais pas la clé. Alors, j’ai utilisé celle de secours, que j’avais cachée au fond de moi, en pensant : On ne sait jamais…
Elle – Bien ! Tu vois, tu arrives à te débrouiller seule…
Moi – Et sais-tu ce que j’ai trouvé ?
Elle – Non.
Moi – Toutes ces lettres que je ne t’ai jamais envoyées.
Elle – Et elles disent quoi, ces lettres, s’il te plaît ?
Moi – Les remords, les regrets, les absences, les silences, les actes manqués, quelques moments de connivence,
Une voix secrète me formulait une réponse dont je n’étais jamais vraiment certaine :
De l’œil du chat ?
D’une bulle de savon ?
Du mariage entre la feuille et le vent ?
Du crissement du sachet de friandises ?
D’une rédaction bien écrite ?
Plus tard, j’appris que la lumière était une vibration, une énergie démultipliée, émise par le soleil et que, même si elle descendait dans l’eau, elle ne se dissolvait pas, elle s’élargissait en une corolle qui enveloppait tous les joncs, les nénuphars, les saules, mon visage penché sous l’ondulation de mes cheveux.
Elle créait un reflet complet des êtres et des choses qu’aucun remous n’effaçait tant que la lumière durait.
Réflexion… Vision… Miroitement…
Je me délectais de ces mots. Mais, comment la lumière qui venait de si loin, des confins du ciel, pouvait-elle me trouver, moi, ce tout petit point presque invisible sur la page du monde ?
Comment repérait-elle ma main, mes cheveux, mes prunelles à travers lesquelles elle se contemplait pour illuminer ensuite mon sourire ?
Comment la lumière savait-elle que j’existais, moi qui me croyais aussi insignifiante qu’une frêle sauterelle qui disparaît dans la nuit verte de l’herbe ?
Et lorsque je n’y voyais plus, que ma lampe de chevet s’éteignait à fleur de mon sommeil, que je fermais les yeux,
cela signifiait-il
que la lumière ne me regardait plus, qu’elle m’avait quittée des yeux,
oubliée, perdue ?
Pourtant, je gardais longtemps derrière mes paupières l’éclat des lampions de la soirée, les lueurs des perles des colliers, une fois les tables et les chaises rangées, l’estrade démontée, les amis séparés…
Suffisamment longtemps pour que je croie encore en la joie et que cette foi me donne la force de faire à nouveau éclore, le lendemain, l’aurore d’un poème un peu maladroit…
Ce n’est que bien plus tard que je compris que peu importait la durée de l’obscurité,
un matin m’était toujours promis…
Pourquoi ?
Parce que la lumière était déjà en moi,
dès le premier instant de mes yeux ouverts…
Oui : cette énergie, cette vibration dont je croyais qu’elle traversait l’univers en un millième de seconde ne me repérait ici-bas que si je lui prêtais attention, que si je lui offrais la corbeille de mes doigts.
Dès lors, je n’avais plus de doute : La lumière ponctuait ma paume de pointillés d’or pour que je poursuive jusqu’à la fin de mon souffle sa longue phrase qui s’apprêtait peut-être à toucher au-delà de la nue le regard de quelqu’un, encore persuadé d’être invisible, et trop loin pour être reconnu.
La lumière se préparait, malgré l’immense ignorance du monde à l’égard de son inconditionnelle présence, à être reçue.
Je n’existais pas quand tu as tracé l’ultime marelle pour sauter dans le Ciel
Je n’existais pas quand à peine sortie de l’institution religieuse où tu devais te laver sans ôter ta chemise tu as mis ta plus belle robe de bal tu as chaussé des escarpins dorés J’aurais aimé être un fil de cette étoffe de moire ruisselante l’éclat d’or de ces boucles au bout de tes souliers
Je n’existais pas quand tes pas ont glissé menu sur la piste de bal inondée par la lumière blanche des lustres J’aurais aimé être le rayonnement de toute cette fête sur la peau incarnate de tes épaules
Je n’existais pas quand il t’a invitée à danser quand il t’a offert son bras quand tu as reconnu depuis une vie antérieure son regard vert de feuille J’aurais aimé être le soleil de toute cette joie qui irradiait dans ton corps
Je n’existais pas quand tu as valsé avec lui jusqu’à t’étourdir renversant ton front dans la lumière fermant les yeux sous les lampes du bonheur J’aurais aimé être la liqueur de cette ivresse montant de tes reins à ton cœur
Je n’existais pas quand il a murmuré dans un souffle qui effleura tes lèvres André J’aurais aimé être ces deux syllabes que tu accueillis le désir d’un baiser furtif des perspectives de fiançailles peut-être
Je n’existais pas quand tu l’as rencontré dans le salon de ton père qu’il a joué un menuet au violon pour te faire sa déclaration secrète J’aurais aimé être les lueurs et les vibrations de l’archet qui ont tendu la corde de ton âme sur une note unique
Je n’existais pas quand une lettre tamponnée de l’armée l’a envoyé sur le front de l’est Tu n’existais plus quand tu l’as accompagné jusqu’au marchepied du wagon gris Alors j’aurais aimé être ce mouchoir brodé de tes initiales que tu as glissé dans sa poche de soldat juste avant l’ébranlement du train juste avant que tu ne sois plus qu’un point là-bas tout au bout du quai
Tu n’existais plus quand une lettre cachetée d’un sceau noir ensuite dépliée entre tes doigts t’a fait chanceler et choir sur l’herbe douce du jardin J’aurais voulu de toutes mes forces ressentir à ta place cette éclipse cette extinction du regard pour ne pas affronter le réel
Mort pour la patrie Mort pour le bien commun
J’existais quand la nuit est tombée dans tes yeux au terme de trente ans de mariage avec un homme qui n’était pas fait pour toi que ton père a choisi pour perpétuer le nom de la famille et parce que tu ne pouvais pas rester en deuil à vie
Quand j’ai appris ton histoire j’ai commencé à écrire pour faire résonner sur le papier toutes les voix qui n’existaient plus pour que les fantômes reviennent réconforter les vivants pour qu’aucune vie ne s’efface pour que chaque feuillet soit une bonne nouvelle annoncée chaque poème une déclaration renouvelée
J’existais quand tu es montée au Ciel comme on m’a dit un jour de juin Alors je me suis assise dans l’herbe du jardin et j’ai fait de ma page d’écolière une grande piste blanche où deux strophes dansaient face à face dans un bal que la vie ne pourrait plus jamais interrompre ton pied aérien s’avançant près du sien
son corps est ici-bas une merveille du ciel ; son corps est fait pour célébrer la rencontre des quatre éléments avec les plumes d’oiselle de ses jambes, la flamme de son ventre, ses hanches solaires, ses seins créés par la force qui a enfanté la Voie Lactée, l’ondulation de source de ses mèches au soleil, l’empreinte épousée de ses pieds par le sable.
C’est une évidence : Son corps est fait pour le tumulte des vagues, le satin de la lumière, les écharpes emmêlées de la brise, la danse des chemins. Il est fait pour être paré par l’aurore. C’est une chance, vraiment.
Et pourtant…
Il suffit de traverser la mer pour constater que quarante pour cent des corps féminins sont encore corsetés par les conventions Ne te fais pas remarquer ma fille S’il te plaît ne sois pas trop jolie Quarante pour cent de femmes et de filles à qui l’on demande de se tenir droites malgré les épreuves Quarante pour cent de femmes soupçonnées de trop vibrer de trop aimer sujettes au qu’en dira-t-on d’autres femmes d’autres filles Quarante pour cent de femmes qui se consacrent entièrement à un homme jaloux du vent qui effleure leur gorge Quarante pour cent de femmes boutonnées jusqu’au menton
Au-delà quatre-vingt pour cent des corps féminins lapidés excisés brimés frappés prisonniers d’épais tissus soustraits à tous les regards derrière une cage de fil Et la mort arrive tôt souvent dès la naissance Le corps d’une petite fille promis à un mari qui ressemble à son père ou noyé dans le fleuve Ce corps fouillé ouvert Ce corps dont une main épaisse écarte la peau et extrait l’ultime goutte Ce corps happé par une bouche édentée et avide parce que c’est un fruit facile à manger
Et si ces corps sont répudiés donc apparemment délivrés de la servitude ancestrale parce qu’ils ont été trop servi sur le plateau des désirs
quatre-vingt-dix pour cent sont meurtris par les tâches lourdes marqués par les hématomes déformés par les sacs de pierre et les cruches remplies de tourbe souillés par les immondices parmi lesquels il faut extraire quelques miettes ou quelques piécettes au choix
Quatre-vingt-quinze pour cent d’autres corps arpentent les trottoirs des mégalopoles juchés sur des talons aiguilles fardés à être méconnaissables tandis que la pluie ou la neige s’infiltrent dans les bas résille déchirés par la pince d’un porte-jarretelle qu’on n’a pas eu le temps de réajuster au bord du lit défait
Partout dans le monde être une femme ne veut rien dire Une icône une effigie une bête de somme ou de foire une vierge prostituée oui Souvent ces corps n’enfantent pas trop affaiblis qu’ils sont pour nourrir des projets Ce sont des corps de gestantes aux mamelles tirées tant de fois qu’elles sont vides et sèches
Et si l’on revient sur cette terre ici dans ce pays dans cette région dans cette ville
quatre-vingt-dix-neuf pour cent des corps féminins sont liftés épilés liposucés jusqu’au sang botoxés resculptés par le bistouri au nom de la beauté Corps qui doivent atteindre la taille idéale d’un mannequin dénutri sur un podium Corps qui subissent l’abstinence de ce qui est beau doux bienveillant tolérant Corps musclés à outrance pour affronter les hommes Corps qui font la une sur les papiers glacés et sur lesquels le regard glisse parce qu’il les a déjà croisés quelque part à une fête de Miss ou dans un vieux fantasme Corps manufacturés dont le ricil masque les larmes dont le rouge à lèvres souligne la bouche ouverte sur le silence dont les ongles sont vernis pour limer tout rêve jusqu’à la racine pour éteindre toute raison d’être
Et pourtant…
Lorsqu’elle se voit dans le miroir après un régime qu’elle a abandonné, elle se trouve unique, grâce à ce corps dont l’ADN n’est à nul autre pareil, ce corps-merveille qui réjouit chaque grain, chaque goutte, chaque souffle, chaque étincelle.
You’re welcome ma tige ardente le puzzle des pierres du chemin la planète d’or du tournesol le vent qui se contorsionne les cailloux des mots que polit chaque souffle la cloche Saint-Fiacre la gorge de neige de la pie le loup qui flaire le sourire dans le sommeil la lampe du désir les mousses à fleur de menthe la nébuleuse de mon sang la locomotive qui hoquète sur le quai du rêve la robe ajustée à mon cœur les cheveux du crépuscule la rouille dévoreuse d’enfance ma plume qui puise dans le noir des os l’encre de ma moelle cette ride sur le miroir de l’hôtel les pas des heures perdues la lumière qui remonte le corps de mon stylo sous le tam-tam de mes phalanges la solitude qui sonne du côté est pour que l’aurore soit le témoin d’un regard neuf le fleuve de mon lit qui se déverse dans ce pays où tous les murs sont abolis
Qu’advienne enfin une maison de feuilles
You’re welcome pour que je renonce pour que j’abandonne l’habitude de dire adieu pour qu’un poème métamorphose dans la chambre toutes les prairies en une mappemonde
You’re welcome parce que vous m’effacez sous vos racines et que cela me plaît de devenir la nuit penchée sur les paupières du nouveau-né
You’re welcome parce qu’un seul mot peut dénouer tant de cordes qui obstruaient la voix
You’re welcome parce que de l’autre côté de vous il y a encore une porte
You’re welcome parce que vous avez fait d’un éclat de verre brisé à mes pieds tout un visage à rencontrer
C’est certain Je ne deviendrai pas ce que vous voulez que je sois Parce que je suis
voilà tout
Je suis le tout
Demandez-vous à une étoile d’atténuer ou d’incliner sa lumière pour le plaisir de vos beaux yeux
J’ai l’enfance dans l’âme l’art de la désobéissance celle qui me mène de poème en poème et vous ne me rattraperez pas pour me ramener dans ma chambre
Je ne suis pas destinée à suivre la voie que vous avez tracée pour moi avant ma naissance
La preuve j’écris en partant de tous les points invisibles de la page je parcours l’espace du papier devant moi
Vous me demandez de me soumettre à vos sens interdits d’accepter vos bifurcations vos ronds-points où l’on revient au point de départ vos flèches toutes faites de me contenter de suivre les indications sans m’interroger
Mais savez-vous que j’ai toujours habité le bleu d’avant toute existence un bleu si profond que je me sens y descendre et en remonter purifiée comme si j’étais l’aube elle-même
Savez-vous que je connais l’immense champ du mot Liberté
Savez-vous que ce sont les graines semées par mon rire qui me donnent la voix à suivre
Je n’ai ni votre vocabulaire ni vos définitions du monde car j’accueille tous les sens possibles de la vie et seule la lumière du jour a le droit de me connaître comme si elle m’avait faite
C’est certain vous voulez m’enfermer à double tour parce qu’il ne faut pas que j’aille plus loin que vous
Mais sur terre il n’est pas question de concurrence seulement d’évolution L’infini des chemins des prairies du vent de l’azur que vous avez habité avant de venir ici est aussi en vous
Retrouvez la mémoire s’il vous plaît
Ce n’est pas en mettant l’oiseau entre des barreaux que vous effacerez le ciel Ouvrez votre cage Libérez-vous libérez-moi Notre monde d’ici-bas attend le mouvement de nos ailes pour réaliser
dans son rêve qu’il peut tout créer telle l’encre qui descend jusqu’à la pointe de la plume
pour faire perler la vérité venue de très haut
De la fourmi à l’éléphant de la goutte à la vasque du grain de sable à l’océan nous pouvons tout