Elle ouvre le cahier bleu.
Le referme.
L’ouvre encore.
Claque les anneaux
des spirales.
Glisse son doigt
entre deux feuilles
parce qu’elle sait
qu’il est là.
Alors, elle le retrouve.
Elle peut soutenir
son profond regard
d’encre noire.
Lui le sien,
tout bleu.
Il lui vient
le désir brutal,
insolent,
pulsatile
de traverser la ville
pour le présenter
à son amant
qui doit sûrement
dîner
avec sa femme,
à l’heure
qu’il est.
Sonner
de manière
stridente
sur le palier
et le lui tendre
au cœur
de ses mains
ouvertes
pour lui dire :
Vois, comme je t’aime !
Mais est-il parfait ?
Quand elle le regarde
d’un peu plus près,
il claudique un peu
avec ce pied plus court
que l’autre.
Il se penche
même
vers l’autre
côté,
là où brille
le fil
ténu
de la lumière
de la lampe,
comme pour
se rattraper
à l’instant
final.
Ce déhanchement
est bien étrange.
À chaque souffle,
elle croit
qu’il va basculer
par-dessus
bord
puis s’effacer
dans la nuit,
se confondre
avec les pancartes
signalétiques
du quartier,
et de toute
la ville.
En même temps,
il lui semble
qu’il est prêt
à l’emmener
faire un simple
pas
de côté,
Ô pas très loin,
peut-être au-delà
du mur
mitoyen,
et c’est tout !
Alors, elle se dit
que, non, décidément,
elle restera
chez elle,
car elle n’a rien à offrir
à l’amant
trop lointain,
trop occupé,
trop pris,
trop marié
pour l’inviter
à danser.
Désormais
la voilà
prête
à détacher
cette feuille
de l’amarre
solide
du cahier
et à faire
de son poème
son cavalier
pour ce soir
et tous les autres
soirs.
Et, en signe
d’acceptation,
elle glisse
son doigt
dans le premier anneau
d’argent,
celui qui est
devant
son cœur,
pour valser
avec le mot
Demain.
Géraldine Andrée
