Une conversation entre la mère et la fille
Moi – Maman, où as-tu mis les souvenirs ?
Moi – Mais tu sais bien ! Ceux de l’enfance, enfin !
Elle – Prends une bêche dans les dépendances et creuse la terre du jardin.
Moi – Il n’y a rien ! Que des fouillis d’insectes…
Elle – Alors, prends l’échelle et monte dans les feuilles du mirabellier… Tu n’as pas besoin de moi.
Moi – Il n’y a que des nids vides.
Elle – Va plus haut ! Plus loin !
Moi – Mais je vais bouleverser l’ordre des étoiles…
Elle – Alors, reviens ici et fouille l’armoire.
Moi – Que du noir. Et le tissu mité de l’amour.
Elle – As-tu pensé à la corbeille d’osier dans la véranda ?
Moi – Là où tu entreposes les pamplemousses du soleil ?
Elle – Oui. C’est là.
Moi – Je me suis piquée avec les pointes de l’osier troué.
Elle – Quelle mijaurée ! Utilise tes ongles donc, pour gratter l’écorce de l’oubli.
Moi – Je vais y laisser ma peau. Il me faudra trente lunes pour cicatriser.
Elle – Déclenche le disjoncteur.
Moi – C’est fait. Pas le moindre éclairage dans le cœur.
Elle – Et ce sentier entre la fenêtre et les feuillets bleus ? Y es-tu allée ?
Moi – Je vais essayer.
Elle – Je suis sûre qu’il mène à la maison aux poèmes !
Moi – Celle en faïence, avec des femmes en éventail dessinées sur les murs ?
Elle – Oui, c’est là que nous allions nous reposer en été.
Moi – J’ai bien ouvert la porte. Je n’avais pas la clé. Alors, j’ai utilisé celle de secours, que j’avais cachée au fond de moi, en pensant : On ne sait jamais…
Elle – Bien ! Tu vois, tu arrives à te débrouiller seule…
Moi – Et sais-tu ce que j’ai trouvé ?
Elle – Non.
Moi – Toutes ces lettres que je ne t’ai jamais envoyées.
Elle – Et elles disent quoi, ces lettres, s’il te plaît ?
Moi – Les remords, les regrets, les absences, les silences, les actes manqués, quelques moments de connivence,
et l’attente
que tu changes,
que je change
si tu changes.
Rien de ce que j’ai écrit,
rien de ce que j’ai déploré, espéré,
n’a cheminé jusqu’à toi.
L’écriture n’a rien changé !
Elle – Tout a été accompli, au contraire !
Moi – C’est-à-dire ?
Elle – C’est toi seule, notre histoire.
Ne me cherche plus puisque je suis partie.
Écris, écris seulement
pour tresser l’osier
de la corbeille
de ma mémoire.
Géraldine Andrée
