Toi, si calme, si discrète, tu as toujours aimé les orages.
Tu te réjouissais d’entendre cette cavalcade qui franchissait la colline.
Tu allais au-devant de l’éclair qu’annonçait ce solennel roulement de tambour.
Jeune fille, tu te précipitais à la fenêtre pour assister au vif concert de la grêle, à la violente symphonie des cordes de la pluie. Ton visage était là, juste derrière la vitre giflée par l’eau.
Tu as écrit dans ton carnet d’adolescence : « C’est le spectacle qui termine une journée morne. »
Après le passage de l’orage, tu contemplais le jardin bouleversé : les arbres échevelés, les pétales détachés des fleurs et qui jonchaient l’herbe, le carré de roses piétiné.
Mais cela ne t’inquiétait pas : tu savais que le jardin reprendrait de la vigueur dans la lumière du lendemain matin et que s’il s’ébrouait longuement dans le vent, c’était parce qu’il soignait l’ultime étape de sa toilette.
Toi, si pudique, tu aimas passionnément. Ton coup de foudre pour André marqua ta vie à jamais. Chaque nuit, dans la solitude de ta chambre, tu rêvais de ton union avec ce garçon doux qui jouait du violon à la perfection.
Hélas ! L’orage de la guerre brisa ton grand amour. L’éclair blanc d’une lettre t’annonçant un soir de printemps son décès au front de Verdun te fendit le coeur.
Tu appris à vivre avec ce deuil qui allait changer définitivement le cours de ta vie.
Toi, si aimante, tu te résignas à un mariage de raison avec un ingénieur qui te délaissa vite pour des filles au café. Tes jours étaient rythmés par les orages silencieux de l’adultère. Tu fermais les yeux. Il est impossible de détourner la course du Destin. Tu t’habituas avec ta douceur coutumière au ciel morne de ton existence.
Guère douée pour la révolte, tu ne déclenchas aucun orage.
Je suppose que certains soirs, devant ton miroir, tu te surpris à espérer un miracle qui pourrait te délivrer de cette vie non choisie, à croire en l’apparition fulgurante d’un autre homme sur le cheval de la chance et qui t’emmènerait loin de ta propre image.
Tu égrenais souvent le chapelet. Tu savais que Dieu était capable de faire surgir de sa main bien des orages salvateurs.
Mais ce ne fut qu’une prière. Si cette dernière avait été exaucée grâce à l’ardeur de ta dévotion, aurais-tu vraiment suivi l’élan de ton coeur ?
Tu n’avais pas été éduquée pour prendre une semblable décision.
L’éventualité d’un tel orage t’attirait en même temps qu’elle te faisait peur.
Puis, les enfants te firent oublier ton désir de liberté.
La fougue de ton âme, tu l’as confiée à tes cahiers intimes.
Tu savais qu’ainsi, cela ne prêterait jamais à conséquence.
Toi, si docile, tu fus cette poétesse ardente qui m’offre aujourd’hui dans tes pages la sève du jardin perdu de Montmorency comme si c’était ton sang, le baume de la lumière mêlant les senteurs de la terre après l’averse, le regard qui luit une fois le chagrin passé, le souvenir du pétale de ce très ancien baiser sur ton visage.
Oui, à ta façon de me faire la louange de la Vie,
je vois
que tu as toujours aimé ses orages.
Géraldine Andrée,
Ta petite-fille
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