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La langue de mon pays
La langue de mon pays
se fait comprendre avec
la haute voix du vent, l’accent des sources sur la rive, la courbure des blés, les ondulations de l’herbe, les pleins du chemin qui s’élance vers l’azur, ce soupir entre les notes de la pluie, les couleurs accrochées à la gorge des mésanges, les points qui étoilent la page du ciel, le silence de tout ce qui perle, de tout ce qui goutte au bout de l’attente.
La langue de mon pays ne suit aucune grammaire.
J’ai seulement appris
que beaucoup de feuilles se froissent pour la répandre dans le monde,
que beaucoup de flambeaux allument ses majuscules dans la nuit.
Je suis l’interprète de son souffle qui roule jusqu’à mes lèvres
quand j’accélère ma course vers Demain.
Je la respecte
en la transcrivant chaque matin
sous un long délié de lumière
qui tremble puis disparaît
pour renaître
à partir de la virgule
de l’instant suivant.
Géraldine Andrée
Saint-Luc
Tu me dis :
« J’attendais que la mer se retire.
Puis, j’allais jusqu’à la presqu’île.
J’entendais crisser le sable mouillé sous mes pieds.
J’étais guidée par chaque étincelle d’écume au soleil. En chemin, je ramassais des algues ondoyantes, de toutes les couleurs, et qui tombaient mollement dans mon seau.
Arrivée jusqu’à la presqu’île, je m’oubliais dans le bleu qui bordait la rive. Je perdais la mesure du temps. Dans cette éternité conquise, je me laissais vivre.
Lorsque la mer m’envoyait de loin ses vagues, je savais qu’il était temps de rentrer.
Je retrouvais la trace de mes pas.
Quand j’avais enfin franchi la frontière invisible qui séparait mon hôtel de la presqu’île, j’ouvrais la porte de la petite cabane.
Là, avec une éponge et du buvard, je posais mes algues recueillies dans leur danse immobile sur du carton blanc.
Puis je les laissais sécher à la lumière de la grande véranda jusqu’au lendemain.
Retrouve-moi sur Internet la pension Saint-Luc tenue par les religieuses, la presqu’île, la cabane et la véranda. »
Longtemps, j’ai parcouru les sites et les photographies. Saint-Luc désigne désormais un complexe hôtelier anonyme. La cabane et la véranda ont disparu. La presqu’île a gardé le même bleu qui tremble comme une algue posée sur la page blanche de l’azur. Mais l’éternité n’est plus.
Je ne sais aujourd’hui qu’une trace : celle des mots menant au souvenir
qui cherche lui-même l’empreinte de ses pas dans un soupir.
Géraldine Andrée
Créavie : 1987
Moi aussi, je vais faire un tour dans mon cahier en 1987.
1987,
l’année de mon bac français, l’explication de texte de La Parure de Maupassant, un commentaire sur Les Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand ;
le tube Joe le Taxi de Vanessa Paradis dans l’ombre de ma chambre le soir ;
un détour parmi les mirabelliers ;
mon rêve du grand amour ;
lire les Poésies d’Arthur Rimbaud au coeur de la nuit ;
bronzer en maillot de bain dans le jardin qui existait encore ;
puis écrire des poèmes sous les feuilles du marronnier ;
être réveillée par les coups de soleil – non, je n’ai pas écouté mon père ;
commencer sans cesse un nouveau cahier ;
la découverte de Radio Nostalgie et du parolier de Julien Clerc, Etienne Roda-Gil ;
recopier ses chansons dans un carnet Bleu Majuscule ;
les vacances chez ma tante ;
les promenades quotidiennes au lac d’Annecy ;
me demander si cela vaut la peine que je poursuive mon journal intime puis le continuer tout de même jusqu’à l’Université :
prendre la première fois l’avion toute seule ;
faire une indigestion de Pépitos ;
écouter A l’encre de tes yeux de Francis Cabrel avec mon oncle revenu d’Italie;
vouloir écrire comme Marie Noël et ne pas y parvenir ;
maquiller mes cils en bleu clair pour rester discrète ;
mon premier rouge à lèvres ;
ma robe à bretelles sous laquelle pointent mes seins ;
penser à entourer de rouge la date du mois futur dans le calendrier pour prédire quand « elles » vont réapparaître ;
sortir en discothèque avec les amis de ma classe et ne pas savoir quelle tenue mettre ;
enfin, me débarrasser de mes vieilles couettes ;
traverser le champ de blés où saignent les coquelicots ;
l’impression que je suis seule mais avec un don inné pour la joie ;
m’accouder à la fenêtre et interroger les étoiles sur mon avenir ;
ne rien s’entendre dire de la part de l’Univers ;
ignorer que je serai amoureuse dans deux ans.
1987, l’année où tout est possible ;
où les musiques, les livres et les êtres faits pour moi me trouvent
avant que je me sois trouvée moi-même.
Et vous, si vous étiez sur cette terre, que faisiez-vous en 1987 ?
Géraldine Andrée
René(e)
C’est quelques mois après ton décès, alors que je pressentais ta vie dans une autre dimension, que je compris le sens du prénom René(e).
Re-né(e) : né(e) encore, à nouveau né(e).
Renaître, c’est se voir offrir une seconde chance, bénéficier d’une grâce, d’un miracle.
C’est retourner au monde plus léger mais avec le bénéfice de ses expériences. On porte toujours en soi ses épreuves mais celles-ci ne sont plus un fardeau. Elles ont cessé d’être une entrave. Bien au contraire, elles constituent la force de notre élan ; elles nous ouvrent le chemin. On les considère avec distance. Renaître, libéré(e) de sa souffrance. N’est-ce pas d’une certaine manière l’accomplissement de l’enseignement du Bouddha ?
On croyait que tout était fini, que l’on avait disparu pour le monde ou que le monde avait disparu pour nous.
Et puis, voici un nouveau matin. On s’éveille, riche de ce que l’on a appris. Ce n’est plus l’insouciance, non, mais c’est une sorte de pureté reconquise dont on bénéficie. Un don d’enfance qui consiste à goûter le présent éclairé par le passé.
En effet, si l’on n’a pas souffert du manque d’amour, comment parviendra-t-on à bénir l’amour au moment où il se présentera ?
Et pour ceux qui y croient, naître en cette vie, n’est-ce pas aussi renaître, avec toutes les connaissances insoupçonnées de nos anciennes vies que la lumière de notre chemin nous montrera progressivement ?
Combien se souviennent de pays qu’ils n’ont jamais visités en cette existence, de scènes d’une autre époque, d’atmosphères qui les imprègnent mystérieusement ?
Comment expliquer nos passions, nos préférences, nos choix musicaux, nos goûts pour certaines couleurs, certains parfums
si ce n’est par l’hypothèse d’une ou plusieurs naissance(s) ailleurs qu’ici ?
Personne ne naît complètement nouveau. Nous avons tous des acquis, des prédispositions, des talents innés dont l’héritage s’est fait au-delà du champ de notre mémoire.
La psychogénéalogie enseigne aujourd’hui combien le choix du prénom est déterminant pour l’évolution de notre personnalité.
Le prénom signe le devenir de notre âme.
C’est encore plus vrai pour les René(e)s.
Nous devrions, je crois, autant que nous sommes, accoler ce prénom à notre prénom actuel car nous sommes tous Re-né(e)s,
telle est ma conscience à laquelle ta renaissance dans l’univers m’a éveillée.
Géraldine Andrée
L’élue d’entre toutes
Une fois
que la pluie
cesse
j’élis
entre
toutes
une seule
goutte
qui luit
tremble
vacille
puis se brise
dans son silence
ne laissant
sur un caillou
blanc
que quelques
étincelles
vite
évanouies
au soleil
De la goutte
qui se balance
entre
le regard
et l’absence
il ne reste
un instant
plus tard
nulle trace
mais son souvenir
unique
tremble
longtemps
sur la vitre
de ma mémoire
Géraldine Andrée
Tous droits réservés@2018
Le silence de mon enfance
Le silence de mon enfance
n’était pas vraiment silencieux.
On y entendait
les gouttes d’eau,
les notes d’oiseau,
les frémissements des feuilles,
les pas sur le seuil,
le bourdonnement des abeilles,
les cloches du dimanche,
le ronronnement du four
qui cuisait le pain
au début du jour,
et même ce souffle
mystérieux
qui déposait une aile
dans mes cheveux.
Le silence de mon enfance
tout ruisselant
de soleil
et de bleu
n’était pas vraiment silencieux.
Géraldine Andrée
Un foyer
Un foyer
où l’on entend
crépiter
le feu
dans la nuit,
tinter
les notes
de la pluie
sur les tuiles,
craquer les feuilles
sous les souliers
de l’ami
qui passe le seuil…
Un foyer dont le couloir
se constelle
des pétales
des promenades,
dont miroirs
et tableaux
conversent
en silence
pendant qu’on mange
parmi les hautes herbes,
là-bas, à la lisière
de la clairière
et qu’on songe
chacun
en son secret :
Qu’est-ce
qu’ils se racontent
donc,
Louise
et le miroir
entouré
de perles ?
Qu’importe !
Cela ne nous regarde pas !
Un foyer qui rutile
au soleil
quand juin met fin
à l’école,
dont les ustensiles
brillent
au réveil
dans la cuisine.
Un foyer
qui fleure bon
la lavande
que tu recueilles,
le miel
du marché,
la mie chaude
du pain
que tes mains
enveloppent
dans du linge
blanc
comme si c’eût été
un nouveau-né
dans ses langes
et que tu apportes
avec la carafe
de vin clair
pour le signe de croix
du dimanche.
Un foyer
dont la pendule
prend tout son temps
au-dessus
de la crédence,
bat la mesure
avec confiance
en la seconde suivante.
Un foyer
où il ne peut rien
t’arriver,
où la vie
touche
tout ce qui rit
et bouge
avec des gants de soie.
Ce foyer,
j’y retourne
encore une fois
ce soir.
C’est
ma mémoire.
Géraldine Andrée
Noms et visages
Ton nom ne volettera plus de nos lèvres à ton visage
Tes taches de rousseur luisent encore dans notre mémoire
Mais bientôt quelques-unes s’éteindront
car de nuit en nuit nous oublierons leur nombre
Et bien plus tard après ton départ
nos noms ne voletteront plus des lèvres de nos enfants à nos visages
Il n’y aura pour témoignage de la couleur de nos cheveux
que les futures mémoires
qui de nuit en nuit oublieront le tiroir des mèches rassemblées
C’est ainsi
Le temps passe
La vie va
Mais bien longtemps après
il demeura toujours
nos signatures
que nos souffles mêlés
au vent traceront
en courbant les herbes
déliant les nuages
étirant les branchages
et ce sera pour le monde l’annonce
que tous nos noms
recommencent leur voyage
vers d’autres visages
Géraldine Andrée
De quel matériel avons-nous besoin pour écrire le livre de votre Vie ?
D’un bloc de papier ; d’un stylo (c’est moi qui les fournis) ;
si vous le désirez, je mets en marche mon enregistreur sur mon portable ( mais la page et la plume restituent aussi fidèlement les souvenirs ; d’ailleurs, je prends des notes très vite) ;
de vos souvenirs à toucher, à voir, à regarder (photographies, clichés ou vidéos de vos lieux de prédilection). Si des pièces manquent, nulle inquiétude ! Votre mémoire est le matériau le plus fiable car le plus personnel et c’est votre vie dont il s’agit et que l’on écrit ;
si la mémoire vous fait défaut (ce qui est normal), de « déclencheurs » de souvenirs : quel était votre morceau de musique préféré ? Quel type de fleur aimait votre grand-mère ? Quel parfum portait votre mère ? Si vous deviez poser une couleur sur votre enfance, laquelle serait-ce ? Et par quelle saveur définiriez-vous cette période ? Suave comme un bonbon ? Aigre-douce comme une pomme d’automne ? A nouveau, si vous êtes dépouillé(e) de ces souvenirs concrets, je peux vous faire écouter ce morceau (J’ai une CD thèque assez complète et You Tube…), vous présenter cette fleur en image (que je peux découper pour vous dans un magazine ou imprimer via Pinterest), vous faire respirer ce parfum (patchouli ? rose ? romarin ? ), vous présenter des palettes et paillettes de couleurs, vous faire goûter des saveurs. Vous l’aurez compris : ce sont des outils que l’on emploie aussi en art-thérapie ou en coaching de créativité. Bien sûr, pour cela, il faut se voir réellement (chez vous ou à mon domicile). Mais la visualisation et l’audition des souvenirs fonctionnent aussi avec Skype et Google Hangout.
Vous aurez besoin aussi de vos émotions. Laissez-vous aller ; elles sont nécessaires à l’écriture. N’oubliez donc pas votre boîte de mouchoirs. En revanche, si ces émotions vous envahissent au point d’entraver le processus naturel du récit, il convient d’effectuer en amont un travail thérapeutique.
Pour ces séances, aucune atmosphère de solennité. On écrit autour d’un bon thé ou d’un bon café. L’écriture du passé est inséparable du présent.
Une fois votre récit de vie achevé, je vous rends tout ce qui a permis à votre mémoire de cheminer jusqu’au livre (photos, portraits, clé USB). J’efface complètement de mon ordinateur vos fichiers envoyés par mail.
En échange, vous aurez un beau cahier, une belle reliure, un bel ouvrage publié. Entre vos mains vous tiendrez toutes les feuilles de vos souvenirs réunis.
Voilà, je crois que j’ai tout dit.
Ah si ! Vous désirerez forcément que le lecteur se penche à la fenêtre de ces mots !
Mais ceci ne peut se produire qu’une fois le livre écrit…
Alors, à bientôt !
Géraldine, votre écrivain privé biographe
L’Encre au fil des jours
Image : Vincent van Gogh (1853-1890); Lauriers roses (1888)
