Un jour, je partirai. Je préparerai mes bagages avec ces menus gestes que seul le silence m’a appris. Je passerai devant chaque seuil sans réveiller personne. C’est à peine si mon ombre dérangera la lumière de l’aurore sur le carrelage. Je confierai à l’armoire mes journaux intimes – mon coeur s’étonnera d’être délivré de toutes ces vieilles histoires -, verserai de l’eau jusqu’au bord de la bouteille, entourerai de bleu ciel dans mon rêve le point de ma destinée puis, lorsque le carillon aura sonné son heure ultime, je disparaîtrai en ne vous laissant comme signe que le dessin de mon pas sur la terre fine de l’allée.
Je franchis le pont qui sépare 2018 de 2019 en me laissant porter par le souffle de ce qui vient à moi, dans l’éclat d’un seul instant… Il est une respiration qui descend des étoiles. Elle seule m’importe.
Pour cette nouvelle année,
je fais moins de projets,
sinon celui, vaste, de me laisser porter par le temps qui passe.
Mon défi : ne pas m’emprisonner dans trop d’objectifs, qui, non tenus, font naître la culpabilité.
Ne pas m’efforcer de rentrer dans des cases toutes faites. Ne pas oublier aussi qu’on peut se maltraiter dans le développement personnel.
Je veux me laisser guider par mes envies, mes désirs, mes besoins – ma vérité, vraie pour moi et incomparable à nulle autre.
Choisir ce que je veux éprouver, expérimenter. Donner la priorité à mon âme.
Ecouter davantage mon corps, mon intuition.
Ecrire des textes selon mon coeur.
Continuer mon journal bien sûr.
Lire régulièrement des livres de littérature moderne. Relire les livres et revoir les films que j’adore depuis ma jeunesse.
Placer mon énergie dans ce qui me fait vibrer, dans ce qui me donne du plaisir.
Couper tout lien avec les gens toxiques, négatifs, méchants – en un mot, obscurs.
Ne pas me laisser tirer vers le bas.
M’enraciner pour mieux grandir vers le ciel.
Hiberner si cela m’est nécessaire.
Et au printemps, sortir, me promener, me recueillir dans la nature.
Remonter la pente du Crève-Coeur comme quand j’étais enfant, à pied, sans ma bicyclette rouge – car les temps ont changé – et admirer depuis le lavoir ma ville natale.
Ramasser des feuilles, des fleurs et les glisser entre les pages de mon carnet de notes.
Ecrire les textes que j’aime. Partir en vacances – Canaries, Réunion… -. Les étoiles, en effet, me demandent de faire ce grand voyage.
Me rassasier d’eau, de lumière, de vent.
Mon père est parti pour cette vie. Ce qui n’a pas été dit ne le sera plus jamais. Ce qui a été gagné l’est à jamais – j’ai su, par exemple, dans ces derniers jours, à l’occasion d’une promenade dans le jardin, qu’il savait dater l’âge d’un arbre.
Mon père a franchi la frontière mais je peux le faire revenir par l’écriture.
Le fil de l’encre inverse le cours du temps et me ramène mon père.
Ses pas sont devenus des mots.
Il faudra que j’écrive sur le voile de silence qui recouvrit mon visage quand j’appris sa disparition.
Aujourd’hui, le voile s’est levé. Je vais continuer à écrire sur lui, sur moi parallèlement au fait que je poursuive ma vie.
La preuve de cette vie : publier un recueil de poèmes qui lui seront dédiés – cette année ou plus tard. C’est mon seul projet qui prendra bien tout son temps car rien ne presse face à l’éternité.
Je souhaite une belle année à toutes celles et tous ceux qui passeront par hasard ici
et je vous dédie pour bien la commencer cette chanson intimiste de Sting
J’ai déposé
ma douleur
sur le seuil
de ta nouvelle
demeure
pour que tu la prennes
dans tes bras
tel un bouquet de fleurs
et qu’elle flamboie à ta fenêtre
comme si c’était
la Joie
Ouvrir la fenêtre : que la lumière du jour se pose sur les feuilles de sa saison de vie.
Fermer la porte : que les enfants se disputent pour une broutille ; que le conjoint s’ennuie ; qu’importe. Laisser chacun aujourd’hui découvrir son chemin, même s’il est désagréable.
Ne pas répondre au téléphone : la sonnerie a beau s’entêter ; dans un proche instant, elle se confondra avec la note du silence.
Suivre la volute de fumée qui danse au-dessus du thé.
Passer la main sur la douce encolure du chat…
Mais, quelle est cette lueur rose, soudain ?
C’est un pétale échappé du jardin d’enfance qui ouvre sa porte…
Tenter alors de l’attraper dans le ciel de printemps de la page
Ma tante, qui souffrait de la maladie de l’oubli, est décédée.
Ma tante, présente bien qu’absente ou absente dans sa présence, est décédée l’avant-veille de la fameuse victoire de la Coupe du Monde.
Je n’ai jamais aimé ces manifestations de liesse populaire mais là, vivre un deuil quand on entend à l’extérieur les klaxons, les pétards, les vociférations fut pour moi une expérience saisissante de par son contraste indécent.
Ma tante, emmurée pendant près de trois années, a pris son envol.
Ce n’est pas triste quand on croit en la vie de l’âme car la mort, c’est la Vie.
J’aime penser que là où elle est, elle a retrouvé cette mémoire des jours mystérieusement confisquée.
J’avais commencé à écrire un recueil de textes sur l’expérience de la maladie d’Alzheimer intituléOù es-tu partie ?
Puis j’ai abandonné. Plus le courage. Plus la force. Plus la lucidité peut-être. La volonté d’oublier pour moi aussi.
Paralysée également par ce fameux « à quoi bon, ça n’intéresse personne et ça fait peur, de toute façon, ce genre de situation… »
Oui, tout fait peur dans notre société, surtout ce qui suscite une réflexion profonde sur la faiblesse, la maladie, la mort. Seul le superficiel avec ses feux éphémères rassure.
Alors, ce soir, alors qu’un beau crépuscule rose éclate au-dessus de la ville qui a retrouvé sa tranquillité, la décision est prise. Je vais continuer et achever ce recueil puis le publier,
sans doute pour trouver une réponse possible parmi une myriade d’hypothèses à cette énigmatique question :
C’est quelques mois après ton décès, alors que je pressentais ta vie dans une autre dimension, que je compris le sens du prénom René(e).
Re-né(e) : né(e) encore, à nouveau né(e).
Renaître, c’est se voir offrir une seconde chance, bénéficier d’une grâce, d’un miracle.
C’est retourner au monde plus léger mais avec le bénéfice de ses expériences. On porte toujours en soi ses épreuves mais celles-ci ne sont plus un fardeau. Elles ont cessé d’être une entrave. Bien au contraire, elles constituent la force de notre élan ; elles nous ouvrent le chemin. On les considère avec distance. Renaître, libéré(e) de sa souffrance. N’est-ce pas d’une certaine manière l’accomplissement de l’enseignement du Bouddha ?
On croyait que tout était fini, que l’on avait disparu pour le monde ou que le monde avait disparu pour nous.
Et puis, voici un nouveau matin. On s’éveille, riche de ce que l’on a appris. Ce n’est plus l’insouciance, non, mais c’est une sorte de pureté reconquise dont on bénéficie. Un don d’enfance qui consiste à goûter le présent éclairé par le passé.
En effet, si l’on n’a pas souffert du manque d’amour, comment parviendra-t-on à bénir l’amour au moment où il se présentera ?
Et pour ceux qui y croient, naître en cette vie, n’est-ce pas aussi renaître, avec toutes les connaissances insoupçonnées de nos anciennes vies que la lumière de notre chemin nous montrera progressivement ?
Combien se souviennent de pays qu’ils n’ont jamais visités en cette existence, de scènes d’une autre époque, d’atmosphères qui les imprègnent mystérieusement ?
Comment expliquer nos passions, nos préférences, nos choix musicaux, nos goûts pour certaines couleurs, certains parfums
si ce n’est par l’hypothèse d’une ou plusieurs naissance(s) ailleurs qu’ici ?
Personne ne naît complètement nouveau. Nous avons tous des acquis, des prédispositions, des talents innés dont l’héritage s’est fait au-delà du champ de notre mémoire.
La psychogénéalogie enseigne aujourd’hui combien le choix du prénom est déterminant pour l’évolution de notre personnalité.
Le prénom signe le devenir de notre âme.
C’est encore plus vrai pour les René(e)s.
Nous devrions, je crois, autant que nous sommes, accoler ce prénom à notre prénom actuel car nous sommes tous Re-né(e)s,
telle est ma conscience à laquelle ta renaissance dans l’univers m’a éveillée.