Je m’attarde dans mon propre murmure. Alors que tout le monde est déjà couché, je reste là, assise à la table du jardin et, sous la bougie qui se consume doucement, j’ouvre mon journal intime et j’écris.
Un lecteur potentiel serait bien déçu. Il ne trouverait pas ce que j’ai vécu, expérimenté, les interdits que j’ai transgressés, mes peines de cœur du genre « Matthieu ne m’a pas regardée… »
Il entrerait seulement dans des pays qui ne figurent sur aucune carte, les étendues de fleurs de ma solitude, des paysages-états d’âme, comme dit ma professeure de français, les terres sans confins de mes sentiments.
Je n’ai que seize ans et je ne sors pas avec les copains. Je ne fume pas de joint, adossée à un mur de la rue en riant bruyamment. Je ne rentre pas tard au point d’inquiéter mes parents. Mais ceux-ci se font du souci autrement. Ma plume m’emmène hors de la maison ; le fil de mon encre m’éloigne de la vie quotidienne, faite de disputes et de rancœurs. ILS ne peuvent pas me rattraper car ILS ne savent pas où je me situe. Je rogne les marges. Mes nuits sont des pages vierges, des plages blanches sur lesquelles ma rivière dessine ses méandres lisibles pour moi seule.
Ma mère me crie :
-Va te coucher !
Pourquoi ? Je suis déjà dans un long rêve !
Je vois à ses yeux qu’elle a peur des rives secrètes que j’accoste, peur des secrets que je peux entrapercevoir à travers le regard des mots.
Et si c’était vrai ? Si ma traversée était définitive ? Si je passais de l’autre côté du miroir du réel ? Si je ne revenais pas de l’écriture ?
En écrivant dans ce journal d’adolescente, j’apprends aux autres à vivre sans moi.
Quelle aventure !
Géraldine Andrée