Les femmes qui écrivent
Les femmes qui écrivent volent quelques instants au temps, entre le mari et les enfants.
Les femmes qui écrivent se créent sur la page la place que leur famille ne leur accorde pas.
Les femmes qui écrivent le font en fraude, tôt le matin ou tard le soir, sous leur petite lampe de chevet allumée. Et si le mari somnolent leur demande : « Mais qu’est-ce que tu fais donc, à cette heure-ci ? », elles répondent : « Rendors-toi ! »
Les femmes qui écrivent notent quelques idées à développer, en allaitant le petit dernier.
Les femmes qui écrivent laissent les autres se disputer et rejoignent sans mot dire, sans rien maudire, leur île de silence.
Les femmes qui écrivent retrouvent leur cahier comme un amant.
Les femmes qui écrivent écrivent sur le bruit d’élastique du cordon qu’elles font sauter de leur carnet, comme si elles enlevaient leurs sous-vêtements.
Les femmes qui écrivent se dénudent dans un poème qu’un inconnu lira peut-être un jour.
Les femmes qui écrivent doivent sans cesse reconquérir l’endroit où écrire – un simple coin de table suffira ; mais il faut repousser les corn-flakes que l’ado a renversés sur la nappe.
Les femmes qui écrivent vont des lignes de l’évier à celles de leur bloc-notes.
Les femmes qui écrivent tiennent à faire entendre l’écho de leur voix, au nom de toutes les aïeules qui n’ont jamais pu ou su parler.
Et même si cet écho est enfoui sous une couverture de moleskine, les femmes qui écrivent résistent et persistent pour briser les tabous transgénérationnels.
Les femmes qui écrivent ont la sensation d’ouvrir le petit cadenas de leur journal intime comme celui de leurs chaînes.
Les femmes qui écrivent s’accueillent elles-mêmes.
Les femmes qui écrivent savent ce qu’est la virginité du papier.
Les femmes qui écrivent tricotent des mots pour l’hiver.
Les femmes qui écrivent prennent soin de leurs personnages qui sont autant de facettes d’elles-mêmes.
Les femmes qui écrivent osent se présenter sans maquillage ni talons, en peignoir ou en jogging devant le miroir de la page.
Et ainsi, elles savourent l’expérience de ne pas être jugées.
Les femmes qui écrivent témoignent de ce qu’elles vivent – même si ce n’est pas très glamour aux yeux de la société.
Les femmes qui écrivent s’acceptent comme elles sont, car elles savent que la vérité transparaît toujours dans l’art.
Les femmes qui écrivent apprennent à nourrir leur enfant intérieur.
Les femmes qui écrivent prennent conscience qu’elles se libèrent quand elles écrivent dans la marge.
Les femmes qui écrivent sont fidèles à l’écriture, même si la carie dentaire du cadet ou une mystérieuse note d’hôtel trouvée dans la veste du conjoint tentent de les en détourner.
Les femmes qui écrivent dédient leurs mains au grain d’un feuillet satiné.
Les femmes qui écrivent font de l’écriture une berceuse parce qu’elles en ont besoin.
Les femmes qui écrivent dévident la trame de leur histoire en reprisant des chaussettes.
Les femmes qui écrivent offrent le contenu de leur cœur à un regard invisible, tandis qu’elles écossent les petits pois.
Les femmes qui écrivent évacuent leur pression intérieure dans une conversation sur une scène format A4, après avoir laissé s’échapper la vapeur de la cocotte-minute derrière la fenêtre.
Les femmes qui écrivent passent l’éponge sur des siècles d’abus, de trahisons, de préjugés.
Les femmes qui écrivent le font pour leurs enfants – filles et garçons et pour un monde meilleur, à la fin. Qu’importe qu’elles ne soient pas les témoins de cet happy end !
Les femmes qui écrivent sont des héroïnes.
Géraldine

