Publié dans Créavie, Le cahier de mon âme, Méditations pour un rêve

J’écris pour retrouver le murmure de l’eau de mon enfance

J’écris pour retrouver le murmure de l’eau de mon enfance.
J’en ai bien souvenance :
il était vif et brillant au soleil,
riche de pétales, de brindilles, de branchettes,
de feux qu’allumait en lui le reflet du ciel.
Parfois, il s’enroulait autour d’une souche
puis reprenait sa course
entre les lèvres de la rive,
toujours plus rapide,
toujours plus ivre.
Et s’il disparaissait un instant
sous un peu de limon
ou quelques racines,
c’était pour mieux rejaillir
et faire signe
par des méandres
qui se dessinaient sous mon doigt
et il me semblait
que c’était moi l’artiste.
Souvent, la lumière
de l’encre qui sèche
doucement au soleil
me le rappelle
mais le silence
me prouve
qu’il n’est pas encore là.
Alors, je recommence.
Je recommence.

J’écris pour retrouver le murmure de l’eau de mon enfance.

Géraldine Andrée

Publié dans Berthe mon amie, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Ecrire pour autrui, Je pour Tous, Mon aïeul, mon ami., Mon aïeule, mon amie

Tu veux écrire parce que le temps passe.

Tu veux écrire parce que le temps passe et qu’il te faut garder un souvenir de ce que tu as vécu : l’enfance, le murmure des sous-bois dans le vent, le regard du premier amant, la famille réunie dans le jardin juste avant que l’aïeule ne s’éloigne.

Mais l’encre, c’est le temps. Les mots sont des secondes. Assise, tu ne peux ignorer que le mouvement de ta plume t’emmène toujours vers l’instant suivant.

Phrase après phrase, tu vieillis.

Et si tu atteins déjà minuit, c’est parce que le temps passe trop vite quand tu écris.

Mais peut-être qu’un jour, l’heure de chance sonnera. Quelqu’un trouvera l’un de tes cahiers, parmi tous ceux dispersés lors des déménagements.

Quelqu’un que tu ne connais pas encore, un ami, un petit-enfant prendra le temps à rebours en tournant les pages.

Et il reviendra vers les longs cheveux de l’enfance,  le bercement des sous-bois, la peau de l’amant, la joie du jardin, le sourire de l’aïeule – tout ce qui fut éphémère car trop vite vécu, tout ce que la volonté de mémoire des mots ne réussira jamais à ressusciter complètement.

Quelqu’un qui se voudra fidèle à ton espoir initial suivra à son rythme le fil de l’encre,

s’arrêtera puis continuera le chemin, toujours plus proche de ce que tu souhaitais revivre.

Et lorsque le temps sera venu de refermer le cahier, ton lecteur te dira, à toi peut-être disparue :

Bien sûr que cela fut.

Puissance de ce temps du verbe « être » au passé

qui  contient en une syllabe toute l’éternité.

 

Géraldine Andrée

Publié dans Art-thérapie, C'est ma vie !, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Le journal de mes autres vies, Toute petite je

Les pommes vertes

Une fin d’après-midi d’été, alors que j’avais à peine dix ans, je me suis offert un dîner de pommes du jardin.

Elles étaient encore vertes mais certaines déjà étaient percées de petits trous roux.

J’en ai mangé beaucoup.

Je me suis délectée de leur acidité.

J’admirais la trace courbée de mes dents

autour de leur peau avant de les mordre profondément.

J’aimais entendre leur crépitement sur ma langue.

J’aimais mesurer l’entaille de mon avidité

qui s’élargissait lentement.

J’ai même avalé tous les pépins.

Je ne sais combien de temps je suis restée ainsi à genoux

à m’écouter croquer des pommes précoces en regardant le ciel.

Je me souviens en revanche

des coliques violentes qui ont tenaillé mon ventre

le lendemain

et qui m’ont fait regretter

de ne pouvoir profiter des chemins encore clairs du mois d’août.

Je ne pensais pas que le jardin si généreux

pouvait me rendre tellement malade.

 

Je gardai les yeux clos tant que dura le jour.

Et ce fut tout.

 

Voilà.

C’est par une indigestion de pommes vertes

que j’ai appris à devenir sage

avant que d’être grande.

 

Géraldine Andrée

Publié dans Art-thérapie, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Le journal de mes autres vies, musique, Toute petite je

Ma langue

Toute petite, je m’inventais une langue, une langue qui était mienne, compréhensible pour moi seule.

Une langue sans syntaxe ni unité sémantique ; une langue délivrée de toute grammaire et exigence orthographique.

Une langue qui courait telle la rivière au gré de son propre souffle et qui charriait dans la lumière des jours d’étranges mots nés de ma bouche.

J’aimais cette langue. Elle me permettait de me comprendre, d’exister enfin, loin de ma timidité.

J’inventais plusieurs personnages qui, j’en ai conscience aujourd’hui, n’étaient autres que les projections de mon Moi idéalisé.

Je les faisais converser au coeur de ma chambre. Je réalisais ainsi des interviews sur un écran rêvé dont la clarté inondait mon esprit, ou sur une chaîne de radio fantaisiste, diffusée après l’école, heure bénie où j’étais à l’écoute.

Je modulais ma voix, selon une impulsion qui surgissait dans l’instant : tantôt puissante, tantôt douce ; tantôt cri, tantôt murmure ; tragique puis vibrante d’espoir ; mélancolique puis joyeuse.

Je savais d’instinct que c’était le rythme de cette langue qui dictait de telles variations, faisant monter des larmes à mes yeux et courir sur ma peau des frissons délicieux.

Je me prenais très au sérieux. J’étais fière de poser la question et d’apporter la réponse. Quand j’adoptais un ton docte, je me mettais sur la pointe des pieds et j’approchais mes lèvres d’un invisible micro, si brillant pour mon public imaginaire dont la chambre était comble !

Personne ne pouvait m’extraire de ma rêverie sans provoquer en moi une immense frustration d’interrompre ainsi l’intérêt de la conversation.

Quand on me disputait, quel bonheur que de me rebeller dans cette langue dont les gros mots étaient indétectables !

-Qu’est-ce qu’elle dit ? demandait-on.

Et je souriais en silence.

Il me semblait que je détenais la formule magique, la primordiale vérité de l’alchimie.

Langue de la louange, de la quête et de la révolte.

J’ai oublié aujourd’hui comment elle sonne.

Mais je sais qu’elle a existé, langue d’un lointain pays natal dont on garde le souvenir jusqu’à la fin de sa vie,

langue d’une enfant si petite qui, au fil de ses phrases insaisissables comme des flots pour autrui, a grandi.

 

Géraldine Andrée

Toute petite Je (extrait)

Récit autobiographique

Publié dans Art-thérapie, Poésie

Sans titre

Seule

dans la chambre

au coeur

de la maison familiale,

 

j’écoute

une sonate

de Chopin.

Le pétale

 

d’une note,

puis un autre,

et encore

un autre

 

qui tombe

dans l’ombre…

C’est ainsi

que je vieillis.

 

Géraldine Andrée

Publié dans Actualité, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Je pour Tous, Le journal de mes autres vies

Le petit bistrot

Le petit bistrot est fermé.

Je me souviens des chaises et des tables de bois clair, de la lumière d’une après-midi de printemps dans les reflets de la bière, du robinet d’argent bien lustré d’où coulait la mousse blanche.

J’étais une jeune étudiante alors. Je retrouvais, toujours surprise, ma frêle silhouette dans le miroir, juste avant de m’asseoir devant le regard de mon premier amour.

Du toucher de la paume de nos mains, je me souviens bien.

Et puis ce jeune historien aux lunettes fines, rencontré au hasard des couloirs de la Fac, qui s’inquiétait de l’avenir de l’Afrique dominée par les puissances occidentales…

Je me souviens de son long discours qui ne s’adressait qu’à nous. Je l’ai écouté avec intérêt pendant que tournaient dans leur cadran doré, tout en haut du mur, les heures du jour.

Je songe au dernier verre, au dernier bonsoir, aux battants de la porte qui ont dérangé le rideau rouge pour l’ultime fois.

Sur la vitre par laquelle j’ai si souvent guetté avec une joie inquiète l’arrivée de J.Y, est désormais accrochée la pancarte d’une agence immobilière.

En passant devant le petit bistrot clos qui deviendra peut-être une banque ou une compagnie d’assurances, j’ai pensé à tous ces lieux de ma jeunesse évanouis comme des décors de théâtre successifs.

Fin de la représentation où l’on se voit pourtant encore vivre…

La vérité de ces yeux, de ces voix, de ces mots n’était donc qu’une illusion ?

Le petit bistrot n’existe plus

et l’avenir de l’Afrique demeure inconnu.

 

Géraldine Andrée

Publié dans Actualité, Art-thérapie, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Chanson, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Poésie

Il pleut et j’écris

Il pleut et j’écris.

Quelle coïncidence !

Il pleut et j’ai une lampe pour que l’encre brille.

Quelle chance !

Il pleut et mon oreille reçoit autant de mots

que ma fenêtre de gouttes.

Quelle abondance !

Il pleut et je fais des signes à la lumière.

Quel miracle !

Il pleut et je trace un chemin bleu pour les beaux jours.

Quelle bénédiction !

Il pleut et j’écris.

 

Même si ces deux événements

sont indépendants

l’un de l’autre,

voici

que se rencontrent

une goutte d’encre

d’où point un mot

inattendu

et une note de pluie

qui luit

sur la tuile

dans le silence

qui s’ensuit.

Quelle conversation

sur ma page !

Ne l’entendez-vous pas,

vous aussi ?

 

Géraldine Andrée

Publié dans C'est la Vie !, C'est ma vie !, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Le journal de mes autres vies, Poésie, Toute petite je

Le verger

On voit bien la maison sur la photo et là,

juste derrière la grille en fer forgé,

le verger.

 

Regarde

l’incendie vert des feuillages,

les grappes qui s’offrent à la main,

les prunes aigres-douces

autour desquelles

tournent les abeilles,

ces étoiles rousses.

Le soleil

de ce feu mois d’août

fait rouler ses billes

le long des troncs ;

celles-ci chutent

en silence

afin qu’un ancien enfant

à l’affût

du moindre trésor

les ramasse.

 

On pourrait aller plus loin,

bien sûr…

Mais pour que ce songe

se réalise,

que les fruits fondent

dans la gorge

et que le sucre

éclabousse

un peu

l’encolure

de la robe de jadis

après la promenade

dans le papier glacé,

il faut écrire,

écrire encore,

donner un goût

à ce qui n’est plus,

poursuivre en pensée

les senteurs perdues

de la récolte fanée

depuis tant d’années,

porter avec un regard

aigu

les mots à la bouche…

 

Géraldine Andrée

Publié dans Art-thérapie, C'est la Vie !, C'est ma vie !, Cahier du matin, Journal créatif, Le cahier de mon âme, Le journal de mes autres vies

Les danseuses

Les danseuses

Tu les trouves tôt le matin, après l’éloignement de la marée, déposées ça et là par les vagues sur la vaste marge du sable.

Vois comme elles ondulent, comme elles ondoient. Le souffle du vent allume de nouveaux reflets sur leur corps frémissant.

Elles tombent dans un bruit mou.

Tu portes leur poids léger et il te semble alors que ce sont elles, si frêles, qui te bercent au rythme de tes pas.

Le soir, sous la lampe, elles prennent une forme étrange.

Elles font la pirouette, se déhanchent, enjambent les espaces blancs, se donnent la main lorsque tu les disposes côte à côte.

Si dociles, elles obéissent à ton rêve de ballet, adoptent les postures, les courbes et les contours que tu veux bien dessiner.

Quelques gouttes d’eau suffisent pour rallumer dans leurs mouvements les couleurs de l’océan.

Les voici prêtes.

Tu les places près d’une fenêtre. Et c’est toute une chorégraphie silencieuse qui se déroule là, le lendemain, devant tes yeux ; qui se répète autant que tu le souhaites.

Algues de Bretagne, immobiles danseuses, destinées à la blanche scène rectangulaire d’une carte de vœux et qui brillaient de tous leurs bleus, de tous leurs verts à la pâle lumière d’une lampe de chevet

Bien des années ont passé depuis ces promenades le long de la plage de Douarnenez.

Aujourd’hui, les sylphides font leurs entrechats sur la neige jaunie d’un vieux papier, chez des amis que tu ne vois plus depuis longtemps.

Mais toi, souviens-toi, elles t’attendaient tôt pour danser éternellement sous la grâce de tes mains, les algues, fidèles à ce rendez-vous du matin après avoir roulé toute la nuit dans la houle.

Comme ces marées, désormais, sont loin !

Géraldine Andrée

Publié dans Poésie

Anthologie poétique du Solstice d’Hiver 2017

Je suis ravie de vous présenter cette anthologie poétique

Bleu d’Encre Editions

qui paraît à chaque solstice.

 

Géraldine Andrée