La fenêtre
de ma chambrette
regarde
à travers moi
la rose
qui s’apprête
à naître
Enfin
je m’ouvre
Géraldine
La fenêtre
de ma chambrette
regarde
à travers moi
la rose
qui s’apprête
à naître
Enfin
je m’ouvre
Géraldine
L’écriture
est un jardin
dans lequel
je fais confiance
à la jachère
du silence
qui prépare
la lumière ;
je bêche
avec force
et profondeur
jusqu’à mon cœur ;
je sème
à l’aurore
des idées
de poèmes ;
je regarde
comment
germent
des pensées
positives
qui m’aident
à accepter
la patience ;
je plante
des désirs
pour les voir
grandir ;
je me penche
sur les fleurs
de mes intentions
que je protège
de l’invasion
du chiendent,
du chardon
et de toute
espèce
possible
d’herbes
mauvaises ;
je veille
sur le rythme
de la manifestation
de cette floraison.
Alors,
un beau matin,
quelle que soit
la saison,
je récolte
des rêves
qui permettent
à d’autres feuilles
d’apparaître.
Géraldine Andrée
Je suis le citron pressé de la vie
Je suis la houle des blés
les méandres des champs de colzas sous la brise
Je suis l’étoile à la fenêtre
la gouache séchée sur la robe verte
le ventre de l’épeire au centre de sa toile
Je suis la médaille
l’aurore
le fétu dans l’œil de l’Autre
la botte de foin bien rangée dans la grange de grand-père
Je suis la sucette de sucre d’orge
les cuivres du quatorze juillet
l’étincelle dans la corbeille
de pommes
au soleil
Je suis la crème à la vanille
la pâte à crêpe de Carnaval
la feuille d’arrière- saison
les ailes du papillon tigré
la jonquille du sentier
une mèche de petite fille
Je suis le pissenlit entre les rails
la couronne sur la galette des rois
les bulles de la limonade servie devant l’église
la croûte arrachée de la blessure
le sang de la mirabelle trop mûre
le teint après la crise de foie
la pluie de safran sur les mariés
Je suis le raisin un peu jeune
la prune déjà rouie
la moutarde de ma fureur
ce rire amer
la rouille qui monte à la grille
la première tache de cimetière sur la main de Claire
le feu follet qui court
à fleur de terre
Je suis ces ombrelles
le long du fleuve de Chine
la flamme de la bougie
sa cire fondue dans la coupelle
l’herbe fanée sous mon pas
la crinière léonine qui pourfend l’air
un peu de joie qui subsiste
l’enthousiasme parfois quand mes projets ont un avenir
le siège en osier de l’enfant
Je suis la lampe de chevet
les grains de maïs qui crépitent
sur le brasero de la plage
le rayon qui danse dans le flacon d’encre
le crépuscule sur les toits de Provence
le cœur de la mie tendre
les carreaux de la salle d’attente
le thé qui infuse près du cahier
le cadre de ce tableau de famille adjugé vendu
le jour qui fait refleurir la tapisserie de la maison vide
Je suis l’ultime explosion du champagne
la braise encore tremblante de l’espoir
ce qui pétille irradie puis s’éteint
les confettis de la fête jonchant la terrasse déserte
la luciole qui volette
dans sa frêle lueur
le sable mouvant du temps
l’épingle d’or du souvenir
dans la nuit de la mémoire
la lune penchée sur le chagrin
et mon propre point final
qui flamboie juste un instant
avant que je n’accepte
de le voir disparaître
irrémédiablement
emporté par la phrase
de ce poème
qu’il achève
de lui-même
Géraldine Andrée
Quand j’étais enfant, puis adolescente, aimer la vie n’allait pas de soi. Je n’osais pas être heureuse, car à la joie succédait souvent une secousse émotionnelle pour des fautes bien vénielles, par exemple, un verre renversé ou brisé.
Dans mon esprit, tout bonheur se payait.
C’est en écrivant que j’appris à m’abandonner à la joie d’être.
Je ne sais plus comment me vint l’idée d’écrire. Je revois seulement mon cahier ouvert sous la lampe de la cuisine et un poème composé en lettres de couleur.
Lorsque j’atteignis l’âge de treize ans, je découvris le plaisir de demeurer en ma propre présence – celle qui sait pour moi – dans un journal intime.
Sur ma machine à écrire Royal, je fis parler tous ceux qui étaient privés de parole – les arbres, les fleurs, les animaux, les objets. Mes mots devenaient leurs yeux.
Puis je racontai dans des nouvelles les aventures singulières d’une héroïne qui semblait descendue du ciel, sans prendre conscience encore que cette héroïne qui franchissait tous les obstacles, c’était moi, la femme résiliente, accomplie déjà.
Quand je fis l’expérience du deuil, de l’abandon ou du rejet, je fus le témoin du pouvoir magique qui résidait en moi, puisque j’étais capable de transformer, par un poème, un chagrin en jardin, ma solitude en fontaine. Je pouvais même faire entrer dans mon cahier ouvert le flocon d’un pollen, échappé d’un printemps depuis longtemps passé, et d’en reconstituer le vol, par quelques strophes alertes.
Plus tard, après une violente rupture amoureuse, je me laissai, la veille, de petits mots près de ma tasse que je lisais au matin, avant de partir au travail : « Prends soin de toi ! », « Tu es courageuse, ma chérie ! », « Vas-y ! Tu en es capable ! », « Tu es formidable et pleine de ressources ! ». Je les recopiai tous dans mon carnet intime. Je m’envoyai également des lettres comme si j’étais mon amant, et que je réunis dans un recueil bleu.
Je pris l’habitude de tenir un carnet de gratitudes sur lequel j’inscrivais tous les petits présents reçus de l’existence, même si la journée avait été mauvaise. Un seul rayon de soleil dans un ciel maussade était signifiant.
J’en suis à présent certaine :
c’est en écrivant que j’aime non seulement ma vie, mais aussi la Vie qui va de soi, en partant de moi.
Et c’est en aimant ma vie que la Vie s’écrivit à travers moi,
jusqu’à aujourd’hui.
Géraldine
Si tu souhaites prolonger ce billet avec la lecture audio, c’est ici !
Je me suis fabriqué une tasse de papier
que je vais remplir de petits mots
au fur et à mesure
que ma vie
s’écoulera
Et voilà
© Géraldine
Elle a fini d’écrire
pour aujourd’hui
Elle pose donc
ses mains
sur ses genoux
et regarde
la lumière
rousse
qui trace
une phrase
fugitive
sur les murs
de sa chambre
qui deviennent
pour quelques
instants
les pages
blondes
d’un livre
dont l’incipit
s’efface
déjà
C’est ainsi
Aucune maille
de mots
aucun fil
d’encre
ne peut retenir
le temps
ce poisson
qui glisse
vers un point
si profond
si lointain
qu’elle sait
qu’un matin
elle renoncera
à le suivre
même
si elle se dit
avec confiance
que pour l’attraper
il lui faut continuer
à écrire
à tisser
le filet
de ses textes
chaque jour
de sa vie
que Dieu fait
et accepter
de mourir
intérieurement
en plongeant
la tête
la première
dans tout
ce blanc
©Géraldine Andrée
L’écriture est inconditionnelle. Une feuille de papier avec un stylo suffit.
Il arrive qu’elle me console de la Vie.
Qu’importe où je suis : dans un immense désert ou dans une grande métropole. L’écriture est un lieu que j’habite instantanément.
Qu’importe que je me sente exilée au milieu des autres : j’ai ma place au bord de la marge et je me reconnais immédiatement dans le premier mot.
Même si, parfois, j’ai l’impression d’être étrangère en ce monde, l’écriture m’intègre à l’espace devant moi. Elle me relie à l’Univers, car elle est tous les univers possibles réunis, toutes les pensées, toutes les émotions d’un héros ou d’une héroïne qui vit très loin de moi, mais qui me ressemble et que j’appelle mon prochain.
Quand j’écris, les contraires se rejoignent. La joie est la face cachée de la tristesse, et la tristesse est la face cachée de la joie. La gratitude découle de mes épreuves. Tous les sentiments antagonistes sont acceptables et acceptés.
L’écriture ne me juge pas. Quelles que soient mes actions, quelles que soient mes opinions limitantes et la manière avec laquelle je me considère et je me présente devant la page, les mots apparaissent, me saluent et me regardent avec complicité.
Je peux écrire n’importe comment : à genoux, assise, couchée. Dans un train, dans ma chambre, dans un café bruyant. L’écriture m’enveloppe dans la soie de son silence. Je disparais en elle. Plus personne ne me voit. Je m’efface pour la laisser exister. Et c’est alors que je suis placée devant cette évidence : je suis vivante, ranimée par cette voix omnisciente qui murmure en moi.
Je peux écrire bien apprêtée, parfaitement maquillée, ou en pyjama, cheveux hirsutes. Pour un poème, l’apparence ne compte pas. Il est le chemin qui me mène à l’intérieur de moi. Une histoire ne se sauvera jamais parce que j’ai les mains tachées de chocolat. Le papier est capable de tout supporter, y compris quelques taches, parce que seul prime ce contact avec ma main. Telle est l’intimité de l’écriture.
Par conséquent, je me libère tellement que je franchis toutes les lignes. Les frontières me laissent passer. Je me fais le témoin de l’irrévocable qui est rappelé, de l’irréversible qui revient. Un ami perdu s’assoit au petit matin dans le bar californien de mon histoire et nous conversons comme si nous ne nous étions jamais quittés. Les anciens printemps font refleurir le parterre de pervenches saccagé. La maison détruite m’ouvre sa porte. Je trouve auprès d’une majuscule la trace de la promenade du chat de mon enfance. Je saisis l’inaccessible, tandis que mes soucis se retirent au large de la page qui se prolonge, s’expanse selon mes confidences. Je découvre que je détiens le pouvoir sur cet océan.
Puis, bien plus tard, je touche le rivage de la mort. Et là, je vois tous mes défunts assis autour d’un feu. Mon encre circule en eux. Je reviens de cette vision de résurrection avec, dans mes mots, leurs yeux.
Dans l’espace-temps inconditionnel de l’écriture, l’hippopotame et la brindille échangent, depuis la préhistoire, sur leur condition d’être vivant. Et c’est ainsi que je prends conscience de la perpétuelle correspondance dans la nuit entre le mot et l’étoile.
Je doute alors d’être une écrivaine.
Ne serais-je pas, en effet, celle qui tend simplement le fil de son encre entre toutes les fenêtres du monde, à partir de la fenêtre de mon cahier solitaire, sans attendre aucun signe de réponse ?
Géraldine
J’écris parce que je sais que Tout
– et surtout ce jardin avec ses feuilles qui se penchent sur mon épaule, son murmure venu de la source, son sentier que mon pas entrouvre, la neige d’or de son forsythia, ses belles de nuit qui s’apprêtent pour les étoiles, ses rires égrenés, sa luciole échappée du thym –
peut s’effacer
de bon matin.
Géraldine
Je me souviens
de l’ultime grain
de raisin
de la saison :
le minuscule point
roux,
premier signe
de décomposition,
à la période
où la pluie
fouette
la vitre…
Vite !
Qu’il crépite
sur la langue,
avant qu’il ne soit trop tard !
Et je me souviens
de la larme versée
par sa peau
ouverte,
de cet éclat
de sanglot
qui rejoint
ma gorge.
Il y aura, certes,
d’autres vendanges…
Mais à chaque morte-
saison,
je note
sur mon journal intime
la toute petite
récolte
de grains
ultimes,
détachés
de ces grappes
d’instants
que la vigne
de mes souvenirs
destine
à mon sourire.
Géraldine
Je me souviens. J’avais commencé un cahier de Toi à Moi, de Moi à Toi, dédié à notre relation par-delà le temps et l’espace, cahier que j’ai transformé ensuite en pages du matin, comme autant de lettres que je t’envoie.
J’ai cherché pendant longtemps le murmure d’une voix, un souffle peut-être. Mais je n’entendais que le sang du silence qui circulait dans l’appartement vide. Rien d’autre.
Il n’y avait rien à attendre de l’ombre. Rien à espérer. Rien à découvrir. Alors, j’ai ouvert les volets et j’ai laissé le soleil baigner toutes les pièces de ma solitude.
Dans la salle à manger, une pile de cartons. Premier bûcher funéraire dressé. Les larmes dans les yeux, je me suis retrouvée dans les vieilles photos de ma jeunesse. Moi, dessinant à l’âge de cinq ans, vêtue de ma robe fleurie, et souriant, surprise devant l’éclair blanc du flash. Puis moi, à l’âge de seize ans, souriant de profil, avec mes boucles d’oreille roses et ma mèche blonde sur le front. Ai-je été Moi à ce moment-là, cette Autre, cette jeune fille qui ignorait la douleur qu’elle allait vivre ?
Sont venus dans ma main des carnets d’adolescence, des cahiers griffonnés qui s’effeuillent, car leur vieille reliure se détache à la lecture, des poèmes tapés à la machine à écrire – mon style n’était pas si différent de celui d’aujourd’hui – et surtout le cahier orange de mes sept ans, ce cahier de poèmes et de dessins entremêlés.
Je m’attendais à retrouver un foulard fleuri d’où s’échappait jadis le rire de ma mère, un foulard qui ne remplacerait pas sa peau mais qui en était le souvenir.
Et c’était moi que je retrouvais, l’adolescente triste et discrète qui écrivait pour lutter contre l’effacement dans sa famille, qui vivait pour écrire mais qui, surtout, écrivait pour vivre.
Je me sentais si petite face à ce vide qu’était devenu l’appartement familial. Aussi suis-je passée à la pièce de gauche, celle du cœur finalement, l’ancien salon de mes parents.
Il y avait là un deuxième bûcher funéraire composé de choses et d’autres – cadres brisés, portraits fracturés, vieux papiers d’héritage pour une maison depuis longtemps vendue, photos de la fille que je voulais oublier.
Et, alors que j’étais si désespérée, je t’ai rencontrée dans tes livres, toi l’aïeule, dans ta maison de Montmorency, écrivant sous les feuillages, le visage tourné vers mon regard, comme si tu savais que j’allais naître et que tu allais me reconnaître… plus tard, bien plus tard…
J’ai feuilleté tes cahiers de cuir brun, tes carnets à la couverture rousse comme les fleurs rouies de ton jardin. J’ai suivi le chemin de ton écriture fine, alerte, légèrement déhanchée… Un sentier frêle pour mes yeux voilés à travers lequel mon index m’a guidée.
J’ai traversé nos paysages communs d’écriture : un verger, une forêt, une maison-refuge pendant l’Occupation, le retour à la terre natale, le visage de ton père, un repas de Noël où il était encore là… Tous ces thèmes que j’explorais dans mes poèmes figuraient déjà dans ces pages que tu avais écrites avant ma naissance. C’est comme si tu m’avais transfusé le sang de ta poésie.
Je suis revenue à la salle à manger, au bûcher funéraire de tous les anciens Moi que je fus. Et elle était là, Géraldine, dans la lumière d’une terrasse matinale, point de départ pour l’inspiration d’une nouvelle décrivant la relation tragique entre deux amants.
Je suis ensuite revenue à tes textes dans le salon, à l’adolescente que tu avais été, toi aussi, et qui pouvait mourir pour un chagrin d’amour. Nos cahiers se faisaient l’écho l’un de l’autre dans le silence de la maison abandonnée. Ma trace continuait ta trace ; ta trace rendait visible la mienne ; nos deux chemins se superposaient ; nos mots se mêlaient, se répondaient par-delà la rive qui nous sépare – toi la défunte, moi la vivante. Pour nous deux, la page est cette neige un peu jaunie à travers laquelle nous nous promenons, où nous conversons en sourdine.
Aujourd’hui, je comprends mieux le titre de mon journal intime de 2017 : de Toi à Moi ; de Moi à Toi.
Les deux pièces de la maison vide – l’une contenant tes manuscrits ; l’autre contenant mes manuscrits – se font face comme les deux pages d’un recueil de souvenirs à remplir.
J’ai emporté tes cahiers avec les miens. Toi et moi, nous avons pris ensemble le train du retour vers ma maison.
Peut-être n’ai-je pas vécu toute cette souffrance en vain. Moi qui venais en quête d’un souvenir de mes parents dont ma sœur m’avait définitivement spoliée, c’est ton souvenir que j’ai recueilli ; ce sont toutes ces feuilles de toi que j’ai rassemblées. Le fil de l’encre nous relie à jamais. L’écriture m’a aidée à franchir l’espace-temps qui nous sépare.
Grâce à tes cahiers, je peux affirmer maintenant que j’écris. Je m’en sens légitime, car j’ai tes journaux intimes pour héritage.
Grâce à ta vie, je peux affirmer maintenant que ma vie a un sens. Je peux poursuivre la phrase interrompue de ton existence. De gauche à droite, du cœur à l’esprit, puisque tel est le sens de l’écriture.
Et c’est promis : de ta vie, de tes témoignages, de tes récits, de nos expériences semblables, des événements karmiques qui nous réunissent, je ferai un livre.
Notre double biographie. Deux fenêtres côte à côte ouvertes.
Géraldine avec Berthe