Je me détache comme une feuille de la fenêtre de ma chambre où chatoyait le soleil
Je me détache comme une feuille des tuiles rousses de la véranda
Je me détache comme une feuille du jardin étoilé d’écureuils
Je me détache comme une feuille du banc de bois vert sur lequel je séchais mes cheveux après une grasse matinée
Je me détache comme une feuille de l’ombre violette de la vigne à la fin du mois d’août
Je me détache comme une feuille du panier rempli de mirabelles fendues jusqu’au noyau
Je me détache comme une feuille de la grille qui s’ouvrait sur les herbes sauvages
Je me détache comme une feuille des rosiers étincelants sous l’arrosoir
Je me détache comme une feuille du vent qui m’entraînait à la frontière du champ du voisin
Je me détache comme une feuille des cordes de la balançoire qui berçait mon âme à la tombée du soir
Je me détache comme une feuille du noisetier le seul témoin de mes histoires secrètes
Je me détache comme une feuille des cahiers de mon enfance bavant leurs couleurs
Je me détache comme une feuille du ventre blanc de la chatte feue
Je me détache comme une feuille du murmure du marronnier qui semait ses petites mouches bleues sur mes mots à peine tracés
Je me détache comme une feuille des poils de crin du balai crissant sur les carreaux de la cuisine après le déjeuner
Je me détache comme une feuille du cœur silencieux de mon père des yeux clairs de ma mère de l’échancrure de ma robe de fillette
Je suis libérée des jours anciens qui me retenaient captive de la tendresse
Votre regard peut me chercher le long de l’allée argentée
Je virevolte sur le menu sentier d’un poème presque effacé sous les pas du temps
Je vogue vers le point le plus brillant
au large de la page future
Je m’évanouis dans un souffle frêle
pour devenir enfin
le chant de ma propre aventure
Géraldine Andrée


