J’écris des poèmes
non pour me mettre en lumière
mais pour apporter une lampe
au cœur
des chambres
sombres
celles des enfants oubliés
Que les monstres
intérieurs
s’éloignent
sur la pointe
des pieds
Géraldine
J’écris des poèmes
non pour me mettre en lumière
mais pour apporter une lampe
au cœur
des chambres
sombres
celles des enfants oubliés
Que les monstres
intérieurs
s’éloignent
sur la pointe
des pieds
Géraldine
Qui es-tu
lorsque tu sors
de toi-même
As-tu déjà
été Toi
pour rejoindre
le monde
Es-tu encore
l'enfant
que tu fus
Es-tu toujours
la femme
que tu es devenue
avec ses secrets
ses désirs
ses brûlures
Une autre
Qui
Est-ce toi
qui vois
les lumières
des vitrines
à sept heures
du matin
ces pigeons
qui picorent
près des bancs
déserts
et qui déposent
la trace
verdâtre
de leur passage
comme preuve
qu'ils existent
aussi
Est-ce Toi
qui détournes
le regard
des sacs
poubelle
de la veille
Ou est-ce Toi
cette femme
qui se rend
au bureau
en talons hauts
et dont le sillage
parfumé
à l'eau
de violette
te suit
jusqu'à la gare
Tu peux entrer
dans ce bistrot
commander
un café-crème
te regarder
longtemps
dans la glace
des toilettes
ôter
cette mèche
devant tes yeux
es-tu sûre
de te reconnaître
Qui dit
qu'il n'y a pas
quelqu'un
quelque part
dans le monde
qui te ressemble
ou qui est
ce Toi
éprouvant
ressentant
vibrant
par tous ses pores
ouverts
Qui dit
que tu n'es pas en quête
de cet autre
toi-même
qui t'attend
ici
dans un immeuble
de cette ville
ou dans une ville
plus lointaine
Moscou
Londres
Auckland
Qui dit
qu'il n'y a pas
un peu de Toi
dans chaque
regard
tels
les fragments
d'un miroir
éclaté
après une dispute
dans une chambre
d'hôtel
et qu'il te faut
reconstituer
patiemment
réunifier
seconde
après seconde
avec du fil
d'or
Toi
comme lui
comme elle
comme nous
tous
nous faisons
de notre mieux
pour vivre
aimer
sentir
notre cœur
battre
au fond
de notre poitrine
Tous nos souffles
se suspendent
sur le même
fil
comme les perles
d'un collier
infini
Alors
peut-être
que tu es
Toi
lorsque
tu ajoutes
ton souffle
à chaque souffle
funambule
au-dessus
du monde
afin que
si l'un
se rompt
sur la terre
l'autre
le prolonge
de fenêtre
en fenêtre
Géraldine Andrée
Dis-moi
ce jour
de novembre
le dernier jour
où il s’est levé
pour faire
le café
Combien
lui restait-il
d’instants
dans le moulin
de la vie
Dis-moi
le frottement
traînant
de ses pantoufles
sur le parquet
et comme pour
chaque
jour
qui commence
le geste
rapide
presque furtif
pour prendre
le filtre
blanc
L’a-t-il écarté
de l’index
et du pouce
comme je le voyais
faire
dans l’enfance
Dis-moi
la dosette
dans le sachet
de café
et qui en ressort
pleine
de grains
destinés
à fondre
dilués
dans l’eau
de la carafe
sombre
Dis-moi
le ronronnement
du temps
les premières
gouttes
qui tombent
puis le filet
qui coule
et la vapeur
qui s’en exhale
signe
que le souffle
se précipite
Dis-moi
tous ces grains
qui existent
encore
le temps
de descendre
sur les bords
car tout
prend
une forme
différente
imminemment
Dis-moi
ces grains
disparus
emplissant
de leur pleine
présence
sa tasse
autour de laquelle
se referme
l’anneau
foncé
de sa main
Dis-moi
le râle
de la cafetière
qui se vide
puise
un peu
d’eau
éructe
dans son haleine
chaude
Et les trois
gouttes
qui sourdent
tremblent
hésitent
se balancent
avant de rejoindre
le grand tout
noir
dans la pâle
lumière
de ce matin
de novembre
où il ne sait pas
Personne ne sait
encore
C’est ainsi
On croit toujours
qu’on va vivre
une aube
de plus
Dis-moi
que ce poème
ne s’achèvera pas
maintenant
qu’il aura toujours
un espace
pour couler
doucement
Montre-moi
la goutte
du point
suspendu
Que cet instant
aussi minuscule
qu’un grain
à moudre
dure
encore
l’instant
suivant
Sois
je t’en prie
sa voix
qui ajoute
juste
un petit
mot
à ma page
blanche
depuis ce jour
de novembre
où il n’est
plus
Géraldine Andrée
À mon père

Par quel mystère Opal affirme-t-elle qu’elle vient de France ?
Ses origines françaises sont-elles réelles ou rêvées ?
Je reconnais à son écriture ses origines nobles : connaissance de noms latins, grecs, d’écrivains, d’artistes, de personnages historiques dont elle célèbre dans la forêt les anniversaires de naissance et de mort (comme Saint Louis).
Ne seraient-ce pas des réminiscences d’une vie antérieure en France où Opal était la fille de parents gentils, aimables, aimants ? Ce qui n’est pas le cas dans sa vie américaine.
Le milieu dans lequel la fillette vit se confronte à l’univers de ses rêves. Et, pourtant, elle sait dépasser cette contradiction pour faire du milieu brutal des bûcherons un espace de magie, de féérie, de poésie où tous les miracles sont possibles. Opal vit davantage sa vie rêvée que sa vie réelle et il me vient cette expression du poète Gérard de Nerval, que j’ai toujours aimée :
« l’épanchement du songe dans la vie réelle ».
J’aime suivre la promenade d’Opal qui part en quête des fées cachées parmi les fleurs et les fougères.
La rêverie d’Opal m’est tellement familière !
Le jardin de mon enfance m’offrait, à moi aussi, des réminiscences de vie antérieure.
Que devenait ma bicyclette rouge ? Une calèche.
Ses roues ? Des chevaux.
Le sentier bleu qui menait jusqu’à la corde à linge ? Mille lieues que je traversais pour me rendre d’un château à l’autre.
J’étais une comtesse en voyage et pourquoi pas, s’il vous plaît, la Comtesse de Ségur qui partait en villégiature pour écrire Les Petites Filles modèles… Il n’y avait rien de présomptueux dans mon imagination ! Je transgressais enfin les limites de ma petitesse.
Mais, avant d’atteindre cette destination suprême, que de distance à parcourir !
Je m’élançais dans les allées, tournais autour du vieux chêne, m’écartais des taillis d’où je craignais que ne surgissent les voleurs de grand chemin, passais de l’ombre au soleil, du soleil à l’ombre et frôlais les rosiers en criant à ma bicyclette :
« Allez ! Mon cheval Tremblecour ! Tu es fort ! Les épines ne te font rien ! »
Quand le soleil basculait derrière la lisière du Crève-Cœur, je faisais halte pour le gîte et le couvert à L’Auberge du chat qui ronfle, la maison de mes parents qui avaient recueilli Félix, le chat gris.
J’élargissais le temps et l’espace, dans ce jardin qui cohabitait difficilement avec la zone industrielle l’encerclant avec l’incessant vrombissement de ses voitures, le roulement métallique de ses caddies de supermarché et les odeurs de la station-essence, tout près du grand sapin qui, j’en suis certaine,
« disait malgré tout un poème »
comme le grand pin,
l’ami d’Opal.
Géraldine
Le 29 Juillet 2025
S’il y a bien un livre que je découvre aujourd’hui et que j’aurais aimé lire, enfant, c’est
Journal d’une enfant d’ailleurs ou La Rivière au bord de l’eau d’Opal Whiteley.

Titre insolite, comme l’est l’autrice. La version pour petits s’intitule Les Yeux des pommes de terre. Cet ouvrage existait à ma naissance. Pourtant, je ne l’ai jamais rencontré, ni en librairie, ni en bibliothèque, comme s’il devait être caché.
Je l’ai découvert en lisant Ateliers d’écriture de la psychiatre Nayla Chidiac, réalisés avec des patients de l’hôpital Sainte-Anne.
Et je l’ai acheté dans la librairie en ligne, La Cause des livres d’Emmaüs.
Dérangeant, oui, ce livre l’est. Il bouscule l’ordre social et familial établi dans une Amérique du début du vingtième siècle.
Je pense que certains livres nous sont destinés et que leur lecture est écrite dans notre vie, inscrite dans notre cheminement intérieur.
Pourquoi ai-je rencontré Journal d’une enfant d’ailleurs ?
Il y a une part d’Opal en moi qui ai aussi la sensation de venir d’ailleurs, d’un autre pays, d’une autre planète. Opal décrit comment elle vient de très loin, d’une famille française aristocrate et qu’elle a ensuite été adoptée par une famille de bûcherons aux États-Unis. Je me suis moi-même inventé une famille médiévale. Ma mère s’appelait Thècle.
Je me demande si ce sentiment d’étrangeté n’est pas toujours partagé, comme celui de la solitude ?
Plus tard, j’imaginais que j’avais une famille très aimante qui s’était installée dans l’armoire de ma chambre, une famille du continent de Marmousie.
Il y a des auteurs qui sont nos frères ou nos sœurs spirituels. Il en est ainsi pour Opal avec moi.
La fillette essaie chaque jour de faire plaisir à sa mère, mais « cela tombe toujours à côté » et elle se fait battre comme plâtre. Seule, l’écriture la console, la cajole, la berce. Pour moi aussi, l’écriture fut une mère inconditionnelle, m’allaitant avec le lait des mots.
Le journal d’Opal est un journal de résilience, un journal kintsugi car Opal l’a soigneusement reconstitué, fragment par fragment, durant des années pour qu’il soit publié, bien longtemps après que sa sœur l’a déchiré en mille morceaux.
Mon journal était mon meilleur ami (il l’est toujours). Un ami intime que je saluais quand je rentrais chez lui, puis quand je le quittais après une longue visite.
Il était une porte qui s’ouvrait avec une petite clé d’or sur le royaume de mon cœur.
Le fil de son encre a participé à la cicatrisation de mon être psychique blessé.
Opal écrit son journal, même lorsqu’elle est recluse, punie, sous le lit. Alors, elle accède à l’infini :
« J’entends des chansons – les berceuses des arbres. Mon derrière me fait un peu mal mais je suis heureuse d’écouter la musique du soir du bel univers de Dieu. Je suis vraiment heureuse de vivre.»
À demain pour la suite.
Géraldine
Tu récures
l'évier
toute ta vie
emportée
aspirée
par le siphon
sous le filet
de l'eau
du robinet
Mais tu récures
encore l'évier
L'éponge
verte
dont le dos
se hérisse
râpe
la paume
de ta main
Elle s'accroche
à ta peau
comme tu t'accroches
à ce que tu dois
faire
et bien
faire
pour la propreté
l’art
et la manière
Pourtant
tu as dû
abandonner
tant de choses
ta jeunesse
tes espoirs
tes rêves
ta mémoire
Et même si
ton esprit
est aujourd’hui
happé
par la maladie
de l’oubli
tu n’as pas désappris
les gestes
de toute une vie
Dévisser
le bouchon
de la bouteille
de l’eau
de Javel
puis gratter
la moindre tache
de sauce
ou de café
entre les lignes
de l’évier
balayer
la plus mince
épluchure
traquer
la petite empreinte
jaune
du calcaire
Me tourner
le dos
et faire face
à l’évier
c’est toujours
ce que tu as su faire
Maman
Tu ne sais plus
que certains mots
comme Amour
Demain
existent
Mais tu as gardé
la posture
et le geste
appris
de mère
en fille
Penchée
sur le baquet
soulever
le tapis
de vaisselle
récupérer
un grain de riz
oublié
un pépin
de pomme
brune
qui s’est perdu
entre les rainures
Parfaire
avec la brosse
de crin blanc
l’effacement
de tout souvenir
du dîner
Que tout soit
immaculé
comme
à l’aube
de la conception
Qu’importe
que ce soit
le soir ultime
où je te vois
dans cette maison
Le monde
ton monde
peut bien s’écrouler
Tant que l’équilibre
de la vaisselle
qui repose
sur l’égouttoir
est maintenu
un équilibre
dont tu restes
la maîtresse
suprême
rien n’est grave
Certes
ton mari a quitté la table
pour toujours
tu ne mets plus
les bons noms
sur les bons visages
quand on feuillette
ensemble
l’album de photographies
Mais tu demeures
à jamais
fidèle
aux valeurs
que tes aïeules
t’ont transmises
La fierté
de posséder
une maison nette
qui reflète
l’excellente
ménagère
que tu es
En frottant
sur la trace
de tout ce qui subsiste
tu perpétues
leur hommage
Maintenant
l’évier
est blanc
comme la première
page
d’un cahier
vierge
C’était ton dernier
repas
seule
avec moi
Dis Maman
Où sont donc passés
les rires
de tes enfants
Le lendemain
de ton départ
pour l’Ehpad
je suis revenue
dans la cuisine
J’ai retrouvé
la bouteille
d’eau de Javel
à demi pleine
le grattoir
vert
la brosse
de crin blanc
que j’ai rangés
dans le placard
L’évier
ne sera plus jamais
taché
par notre vie
de famille
Et je suis partie
aussi
Moi je passe simplement l’éponge
interrompant
la longue lignée
des femmes
placées
à contre-jour
parce qu’elles devaient faire face
à leurs tâches
du jour
Et je sors
écrire
au soleil
qui souligne
d’un rai
d’or
un peu
tremblant
les lignes
de ma page
nouvelle
Géraldine Andrée
Je tiens
ta main
Je sais
que c’est
l’ultime
fois
que je touche
ta peau
tes veines
tes ongles
s’enfonçant
dans ta paume
comme
s’ils s’accrochaient
à la branche
de la vie
derrière
les barreaux
de la cage
de ton lit
Je ne veux pas
lâcher
tes doigts
car j’ai bien
conscience
que cet abandon
sera
définitif
Mais est-ce
un abandon
quand ta main
inerte
au cœur
de la mienne
n’a plus rien
à me dire
Pourtant
je tiens
ta main
déjà froide
Je la réchauffe
avec le sel
de mon chagrin
Que le sang
qui bat
sous ma peau
remette
en mouvement
le tien
Aujourd’hui
ma main
tente
de maintenir
en vie
ta main
qui m’a bercée
habillée
nourrie
mais qui m’a aussi
donné des claques
ta main
qui m’a laissée
dans cette cour
d’école
d’où j’entends résonner
mon cri d’enfant
Reviens
Ta main
qui était aussi aimante
que violente
caressante
qu’inaccessible
Ta main
dont j’aurais tellement
aimé
qu’elle me guide
plus loin
***
Lâcher
ta main
parce qu’il n’y a
plus rien
à faire
plus rien
à vivre
que tout
est écrit
ainsi
Il se fait tard
J’ai sommeil
La petite
lampe
veille
On me dit
de partir
de desserrer
ta main
de la poser
sur le drap
car tu te trouves
tout au bord
de l’embarcadère
et qu’il n’est bien
ni pour toi
ni pour moi
de te retenir
d’entraver
ton départ
Ton lit
est un bateau
qui doit
se défaire
de tout lien
pour voguer
vers l’autre
côté
Tu partiras
quand tu le décideras
Alors
j’imprime
en ma mémoire
le grain
de ta peau
qui me rappellera
que j’ai été
ton enfant
Je détache
mes doigts
des tiens
comme d’un bouquet
défait
Je revêts
mon manteau
j’enroule
mon écharpe
autour
de ma gorge
nouée
Je franchis
le seuil
de la porte
en sachant
que demain
on aura joint
tes mains
Je sors dans les bruits
et les lumières de la ville
et je me dis
Il me faut t’écrire
c’est-à-dire tracer
des lignes et des lignes de vie
pour te faire signe
de là où je suis
car c’est peut-être moi
qui suis trop loin
Géraldine Andrée

Pendant longtemps, j’ai cherché la chambre d’écriture idéale.
Serait-elle à fleur du lac de mon enfance ? La trouverais-je, cachée par les feuillages, au fond d’un vieux domaine ? Ou ses fenêtres donneraient-elles sur ce port italien, le long duquel les pêcheurs déploient leurs filets d’or, à leur retour à l’aurore ?
Un jour, je fus si lasse que j’ai cessé de la chercher. Je me suis contentée d’emporter mon carnet partout où j’allais.
Et j’ai découvert que l’écriture était une chambre en elle-même, dans laquelle je pouvais me réfugier, assise sur le siège d’un métro, dans le brouhaha d’une cafétéria, derrière les vitres opaques d’une salle d’attente.
La page était un haut lieu de silence sacré, où que je sois, y compris dans ce gourbi réservé en urgence, au rez-de-chaussée d’un hôtel bon marché, où j’entendais les fêtards ivres rentrer tard en vociférant.
Son seuil immaculé m’accueillait à la table d’un restaurant de péage, au milieu des miettes de pain et des bouteilles de soda vide, devant un amant laconique.
Je le sais, maintenant : la chambre d’écriture n’existe pas. Néanmoins, ma quête n’est pas vaine.
Il suffit pour cela que je m’avance sans crainte vers le cœur de cette chambre profonde,
c’est-à-dire vers la lueur d’un haïku aussi frêle que des ailes de luciole qui danse sur le monde.
Et je peux l’écrire haut et fort, avec une encre qui vibre :
Je suis au bon endroit,
partout où j’écris.
Géraldine Andrée

L’encrier est sec
Elle puise dans son cœur
un peu de couleur
et fait vite éclore
une goutte qui subsiste
en son souvenir
pour que le dessin
existe dans son regard
Puis elle se dit
La fleur du silence
me regarde sur la page
Me voilà parfaite
©Géraldine
Le livre papier Guérir avec mon cahier ; La pratique du journal de guérison est né. Disponible dans quelques jours.

Je reviendrai vers vous, une fois le livre sorti, pour une présentation exhaustive.
Géraldine