Je viens d’avoir seize ans.
Mais je reste bien souvent enfermée dans ma chambre.
Par la fenêtre, un ami roux me fait signe : le platane dont les feuilles doucement frémissent comme si elles attendaient de moi une réponse que j’ignore.
Sur le feuillet de mon cahier neuf, j’ai décidé d’inscrire sous forme de liste tout ce qu’évoque pour moi le mot
Liberté
qui terminera ce poème bien singulier – couleurs, parfums, musiques, saveurs, caresses…
La liberté a-t-elle un regard ? Est-elle vêtue d’une jupe fendue qui met en valeur le déhanchement de son corps quand elle est en chemin ? Entend-on tinter ses talons ?
Ou alors, est-elle un jardin, une ville, un pays, un continent ?
Est-elle extérieure ou intérieure ? Aussi large, par exemple, que le cadre de ma fenêtre?
N’est-elle pas ma main en mouvement sous l’impulsion de ma plume elle-même ?
Que de questions pour une jeune fille de seize ans !
Je ne me souviens plus précisément de ce que j’ai noté. Et cette feuille s’est perdue au fil des ans et des déménagements.
Peut-être ai-je écrit « lait stellaire », « encre veloutée », « papier scintillant » ou simplement le mot Présent…
Peu importe.
Je me souviens, en revanche,
très bien de deux images :
ce sont elles qui l’emportent
sur toutes les autres
qui se sont affadies
puis effacées.
Les voici :
Mes cheveux blonds qui dansent
pendant que je traverse
le champ de blé
juste devant la maison de ma tante. »
Cette scène, je la vécus un an plus tard, au retour du lac de Sallanches au bord duquel j’avais passé seule mon après-midi d’été, ayant laissé mes cousins qui devaient me tenir compagnie « courir les filles ». J’entends encore le sifflement des épis qui montaient jusqu’à mes tempes. Il me semblait, alors, me perdre dans leur crépitant flamboiement tandis que mes cheveux, animés par ma marche violente, barraient mes yeux. Je me fondais dans cette houle blonde et aveuglante qui mêlait mes mèches aux blés.
Ce n’est qu’après toutes ces années que j’ai compris :
cette jeune fille enfermée dans sa chambre parce qu’elle « habitait trop loin de tout » comme disait sa mère et qui n’avait qu’un platane pour ami, cette jeune fille qui passait son temps à se promener à l’intérieur d’elle – en écrivant, par exemple, des poèmes-listes sur des mots tels que « liberté » – et qui fuguait à sa manière bien qu’elle demeurât en apparence sagement assise, cette jeune fille dotée du pouvoir de rêver précisément son futur afin qu’un jour il coïncidât avec son réel désir de le vivre était
la Liberté.
Géraldine Andrée
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