L’art du détail dans la biographie

Il peut arriver, lorsque vous entreprenez un projet biographique, que vous soyez tenaillé par l’envie de tout décrire. Par conséquent, vous cherchez à noter les moindres détails d’une scène, d’un paysage et ce, par souci de fidélité envers le réel et de loyauté envers votre mémoire.

-Oui, mais si je ne suis pas précis, personne ne connaîtra toutes les variétés de fleurs qu’il y avait dans mon jardin.

Et vous énumérez les grappes, les ombelles, les épis… De même, comme vous n’avez pas évoqué le processus de leur apparition, vous entrez dans la longue narration de leur floraison…

Il est, certes, possible de tenir un journal de son jardin (ou de tout autre projet comme celui de la construction de sa maison).

Mais, si vous souhaitez écrire le récit de votre vie ou de celle d’un proche, il est peut-être pertinent de se demander quel sens revêtent tous ces détails pour vous…

De même, si vous confiez ultérieurement votre récit à la lecture d’autrui, êtes-vous si certain que votre lecteur se rendra compte que vous avez oublié de mentionner les tulipes, ou les dahlias, ou encore les œillets ?

Lorsque l’on écrit ou que l’on choisit de faire écrire sa biographie, il faut faire le deuil de certaines descriptions car il est simplement impossible d’être fidèle à la mémoire de tout ce qui fut.

D’une part, votre propre mémoire transforme vos souvenirs dans un processus parfaitement autonome et indépendant de votre volonté.

D’autre part, trop de détails alourdissent le récit et, paradoxalement, quand vous le relirez plus tard, vous aurez peut-être le sentiment que « l’essentiel » a été omis – ce qui serait fort regrettable, avouons-le.

Or, qu’est-ce qui essentiel ? Comment repérer l’important parmi la foule d’anecdotes que vous avez à raconter ?

Et je vous répondrais :

-Ce qui fait sens pour vous. On reconnaît un détail essentiel à la force de la sensation, à l’intensité du sentiment qu’il provoque encore en vous, à l’acuité qu’il possède dans votre souvenir…

-Si vous saviez comme j’aimais ces roses thé ! Leur parfum était tellement capiteux…

Mais si, par souci de méticulosité, vous vous évertuez à énumérer toutes les fleurs, toutes les fragrances avant celles des roses thé, aucun lecteur ne saura combien les roses thé étaient importantes pour vous.

Est essentiel ce qui demeure cher à votre cœur. C’est cela qui doit prendre place sur la page.

Et l’on laisse de côté les tulipes pour faire refleurir les roses.

L’art du détail dans la biographie ne réside pas tant dans l’exhaustivité des descriptions que dans le détail de ce que vous donnez à connaître de vous-même à l’autre.

Et ce détail de vous-même que vous offrez dans un livre, ce n’est ni plus ni moins qu’une intimité que vous tissez avec le lecteur qui, ainsi, rentre dans la confidence :

-Tu sais, j’aimais tellement mes roses que je veux t’en faire profiter par ces mots. Alors, peu importent les tulipes qu’il y avait dans ce jardin même si, par hasard, tu t’en souviens… Je préfère te confier dans mon livre tout le sens que les roses avaient pour moi… Peut-être as-tu toujours cru que je préférais les tulipes mais c’est l’inverse, en vrai. Et cet ouvrage est l’occasion de restituer leur parfum, leur couleur…

Vous prendrez alors conscience, au fil de la plume, que vous n’êtes pas fidèle à la vérité de tout ce qui a existé mais à une autre vérité, vous-même, ce qui est essentiel.

Géraldine Andrée

Votre écrivain biographe, Nègre pour Inconnus ©