Publié dans Au fil de ma vie, Histoire d'écriture, Le temps de l'écriture, Récit de Vie

Au fil de l’encre

Je songe à l’encre qui s’est écoulée depuis les deux premiers mots du journal de mes quatorze ans :
Chère amie...
Je ne savais pas alors que chaque lettre m’éloignait de tout ce qui était encore bien présent :
le chat à la fourrure d’argent, les fleurs rouges du marronnier sous la fenêtre de ma chambre, les mains de ma mère dans la pâte, le visage de mon père éclairé par la lampe tandis qu’il cherchait à résoudre un problème de géométrie, la mésange bleue qui picorait sur le bord de la véranda au début du printemps.
Chaque trait m’annonçait une ride.
Je me demande aujourd’hui si je n’ai pas plus écrit que vécu…

Et pourtant, lorsque je songe à tous ces cahiers traversés,
je m’aperçois que l’écriture est une rivière dont le cours s’inverse naturellement.
Le fil de l’encre me ramène le saut du chat – ce vif-argent – entre les feuilles, le marronnier qui m’envoyait l’un de ses pétales par le rayon de soleil de ma fenêtre, la pâte enfin pétrie et prête à être dorée au four, ma mère qui secouait ses mains pour disperser les grains de farine, le sillon qui creusait le front de mon père quand il approchait de la solution, la mésange envolée qui ne m’aura laissé que le souvenir de son éclair bleu dans une matinée blanche.

Je vois tout cela mieux que jadis dans l’embrasure de mon cahier ouvert.
Je suis désormais sensible à la lumière de toutes ces choses et de tous ces êtres feus.
Et aujourd’hui, je l’affirme :
j’ai beaucoup écrit pour revivre ce que le courant du temps a effacé.
Même les premiers instants où j’ai commencé un journal me sont rendus :
l’instant de chacun de ces mots qui brillent comme si je venais à peine de les tracer,
quand la phrase se poursuit :
Chère amie, je te dois la vérité…

Géraldine Andrée

Auteur :

Ecrivaine, poétesse, biographe, veilleuse et éveilleuse de Vie !

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