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Si je reviens toujours vers mon cahier

Si je reviens toujours vers mon cahier, c’est parce que je sais qu’un Dieu s’y cache et qu’il attend de rencontrer la force délicate de ma première majuscule, celle qui annonce la vague d’une phrase dont le souffle efface déjà la limite entre le bord et l’infini.

Ce Dieu ne répond à mes questions que par le blanc du silence suivant. Mais je continue à écrire, à confier mes peines, mes interrogations, mes incertitudes au petit tout qu’est la feuille, car c’est cela, la foi, être convaincue que l’absence de Dieu n’est qu’apparente et que la solution poindra, comme une frêle lueur dans la nuit qui s’attarde.

Où est Dieu dans la page ?

En haut, en bas, au centre, à droite, à gauche, entre les lignes où l’encre déborde.
La page est l’embarcadère qui me mène à l’inconnu dont ma lampe est le phare. Et peut-être que Dieu est dans mon regard contemplant cet espace pour y déceler un signe…

On peut m’objecter que tout cela n’est que spéculation. Mais qu’importe ! J’ai appris par l’expérience de l’attention que si la réponse divine ne s’inscrit pas immédiatement, elle me parvient plus tard, comme un message enroulé autour de lui-même dans sa bouteille translucide, lancée depuis l’autre rive par cet autre moi-même qui pense à moi,

message que je défroisse et qui me dit :

N’abandonne pas !

Tu ne me chercherais pas avec ta plume,
si tu ne m’avais pas trouvé
au commencement de ta vie,
dans l’une des premières pages
de ton cahier d’enfance.
Alors, continue à écrire
au large du silence.
J’existe dans le mot prochain,
à hauteur de ta main.

Géraldine Andrée

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Les pages séchées

J’aime penser que mes pages sont des draps qui sèchent en se balançant dans la lumière.

Quand la journée de ma vie sera achevée, quelqu’un les détachera du fil, les défroissera, les pliera ensemble et les rangera dans l’armoire de sa mémoire.

Il restera entre elles une fragrance de lavande qu’aura imprimée le temps.

Telle est mon œuvre :

Écrire pour que quelqu’un rentre mes pages, le soir, au cœur de sa chambre.

Géraldine Andrée

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Atelier d’écriture créative 5 : Ce cahier en moi

Il était une fois un cahier, mon premier journal intime, celui de mes quatorze ans.

Je me souviens du moment où je l’ai acheté, par une chaude après-midi d’août, à quelques jours de la rentrée scolaire. J’ai pénétré l’ombre fraîche de la librairie-papeterie qui se situait à l’angle d’une ruelle pavée et qui a disparu aujourd’hui, remplacée par un magasin de smartphones.

J’assimilerai jusqu’à la fin de ma vie le contact du coton entre mes jambes à celui de la première page vierge, douce et satinée sous ma main, une fois le cahier extirpé de son emballage en kraft. Simple coïncidence ou loi de cause à effet ? Lorsque j’ai pris la ferme résolution de commencer un journal, j’avais mes premières règles.

J’ai saisi le cahier sur l’étagère de bois avec le même geste rapide et précis avec lequel j’avais attrapé le chaton sauvage sous les buissons, trois ans auparavant. J’ai adopté mon journal comme un animal qu’il ne fallait pas laisser s’échapper parce que j’étais sûre qu’il me comprendrait.

Je l’ai payé grâce à l’argent de poche que mes parents me donnaient lors de mes brèves escapades. Quand je suis sortie du magasin, éblouie par la lumière estivale, je me suis sentie fière d’avoir enfin quelque chose à moi, pour en faire mon royaume, dans ma chambre de solitude aux rideaux tirés.

Avec sa petite clé dorée, j’ai ouvert sa serrure comme celle d’une porte sur un passage secret.

C’était un cahier à la couverture de tissu fleuri et aux feuilles bordées d’or, un cahier destiné aux interrogations amoureuses d‘une jeune fille en fleur, dédié à n’importe quelle fleur bleue.

Et pourtant, ce n’est pas l’usage que je lui ai attribué. Dans cet espace de tendre rêverie, j’y ai inscrit ma révolte ; j’y ai jeté mes cris d’arrachement et d’injustice. Les mots galopaient en tant que bêtes furieuses. Les lettres se détachaient et franchissaient les lignes, telles des hordes de louves assoiffées et affamées – de compréhension, de reconnaissance par mon entourage indifférent. L’encre coulait comme du sang qui s’épanchait d’une blessure à la fois profonde et invisible.

J’ai terminé mon journal – ce long chapitre d’épreuves de vie de quatre-vingt-seize pages – dans le mot rageur Fin, bien que mes problèmes n’aient pas été résolus, à cette époque où ont, d’ailleurs, débuté mes doutes sur l’efficacité de l’écriture à changer le réel.

Six ans plus tard, à l’occasion d’un cambriolage, j’ai dû remettre de l’ordre dans ma chambre dévastée. J’ai posé la main sur mon journal fleuri qui n’avait pas intéressé les voleurs, évidemment. En le feuilletant, j’ai été ébahie par mon ancienne écriture compulsive, convulsive et qui remplissait le moindre espace de la feuille. Chaque lettre était un spasme, un halètement. Il était clair que je cherchais à respirer. Or, ce ne fut pas cette évidence qui m’apparut de prime abord, mais plutôt le sentiment de honte éprouvé devant une graphie que je qualifiais d’hystérique.

J’ai donc jeté ce journal.

Les années passant, j’ai regretté mon geste. Que se serait-il passé si, surmontant ma honte, je l’avais rangé dans le dernier tiroir pour le retrouver une deuxième fois, dix ans plus tard, à l’occasion d’un déménagement ? Qu’aurais-je alors éprouvé ?

Peut-être de la compassion pour l’adolescente que je fus…
Peut-être de l’intérêt sentimental et intellectuel…
En effet, peut-être serais-je parvenue à surmonter l’obstacle de l’illisibilité de mes textes pour tenter d’éclairer avec mon nouveau Moi la fille qui écrivait…
Peut-être aurais-je pleuré à la lecture de telles lettres adressées par cette adolescente à la femme que j’étais devenue… Chacune aurait été, certes, une autre pour l’autre…
Mais peut-être aurais-je été le témoin de la rencontre de deux sœurs qui, après avoir vécu chacune de leur côté, se seraient donné rendez-vous afin de se partager leurs divers apprentissages, révélations, fulgurances…
Peut-être aurais-je dit à l’écrivaine désespérée de quatorze ans :

– Sors de ce cahier ! Et viens avec moi ! J’ai tant d’autres histoires à te raconter !

Mais peut-être aussi serais-je rentrée dans ce journal, pour m’asseoir face à cette auteure à peine pubère et déjà si tourmentée, et lui répéter patiemment, en souriant :

– Tu sais, ton chagrin passera ! Ta plume l’emportera !

J’aime écrire de temps en temps des scénarios sur mes retrouvailles fantasmées avec le cahier disparu.

Aujourd’hui, ce qui me manque le plus, c’est – je crois – la possibilité de me réconcilier avec cette énergie indomptable de l’écriture, cette force rebelle et transgressive qui consistait à franchir toutes les limites spatiales et graphiques, cette main mue par une colère électrique dès qu’elle prenait le stylo pour crier, cette trace de patte de chaton sauvage sur la feuille délicate.

Aujourd’hui, je traverse chaque jour de ma vie avec ce cahier inscrit en moi.
Je peux même vous dire que je baptise chaque nouveau cahier avec son nom :

Mon Journal.

Et vous ? Avez-vous souvenance d’un cahier, d’une toile, d’une sculpture, d’une composition que vous regrettez d’avoir jeté ? Quelles sensations, émotions éprouvez-vous ? Quelles réminiscences vous habitent ? Comment cette perte vous incite-t-elle à créer davantage aujourd’hui ?

Géraldine Andrée

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Réflexions sur l’écriture

L’écriture est un miroir qui possède le merveilleux pouvoir

de refléter toutes les choses, tous les êtres disparus

et de me montrer dans le cadre de la page

combien ils me regardent.

*

Quand j’écris, je me demande toujours :

– Est-ce moi qui revis pour les souvenirs

ou sont-ce les souvenirs qui revivent pour moi ?

C’est un peu des deux, je crois.

*

Quatre lettres

– MOTS –

aussi frêles qu’une patte d’oiseau

posée au bord de la page,

comme si c’était une fenêtre…

L’écriture est la trace

qui précède l’envol.

Géraldine Andrée

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Atelier d’écriture créative 4 : Elle voulait écrire le plus beau poème du monde

Elle voulait écrire le plus beau poème du monde.

Alors, elle partit en quête de tout ce qui l’inspirerait. Elle emprunta à la bibliothèque un livre de métrique et de figures de style. Elle lut beaucoup de poètes mais elle abandonna les ouvrages, découragée. Jamais sa voix ne pourrait parvenir à la hauteur de tout ce que ces noms si célèbres exprimaient !

Elle acheta pourtant un superbe cahier, espérant que sa couverture de luxe lui inspirerait le poème parfait. Elle s’appliquait ; elle descendait loin, dans le puits profond de tout ce qu’elle avait appris à ses cours universitaires d’écriture. Mais elle ne ramenait dans le seau de sa mémoire que des images ternes, sans éclat – telles les piécettes éteintes d’un chimérique trésor.

Alors, elle recommençait sa quête éperdue, parce qu’elle voulait écrire le plus beau poème du monde.

Et le nouveau poème lui déplaisait car il n’était qu’une variation du précédent.

Une nuit, épuisée par l’insomnie, elle arracha de son beau cahier chaque page satinée qu’elle chiffonna de rage puis jeta dans la corbeille d’osier. Il ne restait plus que la reliure à laquelle s’accrochaient quelques lambeaux de papier.

Elle garda les volets clos, ne sortit plus.

Elle voulait se cacher pour attraper tranquillement dans l’ombre de sa chambre (comme un papillon descendu du soleil, croyait-elle) le plus beau poème du monde – ce monde qui, dehors, continuait à vivre, à tourner – sans elle.

Les bateaux remontaient le détroit bleu.
La brise blondissait en ce printemps, comme des cheveux de jeune fille.
Le sable chaud collait aux pieds.
Le vieux port s’animait, avec toutes ses terrasses déployées.

Mais elle ? Son regard se brouillait, sa peau s’asséchait. Elle était hirsute. Malgré son réfrigérateur vide, elle rêvait toujours d’écrire le plus beau poème du monde.

Ses seules promenades consistaient à compter le nombre de pieds dans ses vers ébauchés. Hélas, ceux-ci claudiquaient ! Son oreille en était exaspérée…

Un matin, la sonnette insista. Deux fois, trois fois… Qui cela pouvait-il être ? Elle n’éprouva pas la moindre curiosité, pas le moindre sentiment d’urgence.

Quatre fois, cinq fois… Les notes de la sonnette accéléraient leur course dans le couloir noir.

Que lui voulait donc le monde, puisqu’il n’était pas capable de lui apporter son plus beau poème ? Seul lui importait le fait qu’elle reçoive le premier prix du concours de la Pléiade, une médaille enrubannée de rouge et de mauve, à la fin de l’année.

Elle n’avait pas le temps d’aller ouvrir. Six fois, sept fois… L’écho de la sonnette retentissait dans sa tête, crevait ses tympans, harcelait son esprit. Excédée, elle se précipita vers la porte pour laisser éclater sa colère contre l’importun qui la dérangeait ainsi.

Dans l’embrasure, elle fut saisie. C’était son amie Kate qui paraissait horrifiée par son apparence – sa chemise de nuit tachée, ses cheveux emmêlés…

– Mais enfin, Sophie ! Que t’arrive-t-il ? J’essaie en vain de te joindre sur ton portable. Comme je tombais toujours sur ton répondeur, je me suis dit : Je vais sonner chez elle…

Son portable… Depuis combien de lunes était-il éteint ?

– Depuis combien de temps ne t’es-tu pas lavée et habillée ? Renchérit Kate. Tu sembles souffrir d’une dépression… Il me paraît sage de t’emmener chez le médecin.

– J’essaie… J’essaie d’écrire le plus beau poème du monde… Balbutia Sophie.

Aussitôt, Kate comprit. Artiste dans l’âme et peintre désormais reconnue dans son milieu, elle savait ce que c’était que de chercher à poser sur la toile la sublime touche de couleur – celle qui était la plus riche et la plus nuancée… De telles exigences avaient tari son inspiration. Elle avait mis beaucoup de peine à guérir. Pleine de commisération, Kate dit à son amie, en entourant les épaules de celle-ci :

– Laisse-moi entrer ! Je vais m’occuper de toi !

La silhouette amaigrie de Sophie s’écarta pour laisser passer Kate, son amie de toujours qui lui fit couler un bain où brillaient des bulles de mousse. Les volets furent ouverts ; la chambre fut aérée et un thé préparé avec ce qu’il restait de sucre.

– Allons ensemble au marché ! C’est samedi !

Samedi ? Comment avait-elle pu oublier les jours ?

La place étincelait dans la blanche lumière de l’été. Les rumeurs et les mouvements des gens l’étourdirent.

Tous ces fruits, tous ces légumes sur les étals… Quelle explosion de couleurs ! Les deux amies remplirent le panier. Bouquet de thym, patates douces, pêches rondes, colin beige, carottes pourpres…

Elles cuisinèrent ensemble, bavardant avec complicité comme au temps de leur adolescence. Kate, fiancée, imaginait un amoureux pour Sophie qui osa ouvrir au large les battants de la porte-fenêtre donnant sur la terrasse… Qu’elle était bleue, l’échancrure de la mer entre les rochers, là-bas !

Une fois la table et les chaises de formica nettoyées, le déjeuner fut servi – dehors. Le soleil entourait de son trait d’or les carottes tandis que la sauce au romarin gardait inscrite en son onctueuse épaisseur cette phrase que la douce cuisson dans la casserole lui avait imprimée. Le vin, quant à lui, avait épousé la robe de la lumière. Le poisson se détachait tendrement sous les légumes. Les patates douces fondaient dans la bouche, dépouillées de leur peau brune.

Les cheveux de Sophie flottaient au vent. La chaleur faisait perler quelques gouttes de sueur sur son cou. Kate, elle, riait en renversant la tête, au souvenir de leurs histoires de jeunesse.

C’est alors que Sophie, soudain, comprit :

Elle avait attrapé le plus beau poème du monde !

Celui-ci s’était écrit tout naturellement en elle. Ce poème, c’étaient le déjeuner sur la table de la terrasse, l’amitié, le point incandescent de la cigarette de Kate et ces frêles bouffées qui dansaient dans le silence, entre chaque anecdote que l’une rappelait à l’autre.

Cet instant était assurément le plus beau poème du monde.

Ce soir, Sophie prendrait dans son journal délaissé de simples notes de ce qu’elle avait vécu – sans se soucier d’une quelconque esthétique, d’un quelconque effet stylistique.

Et qui sait ? Chaque instant vécu, la vie faisant, deviendrait peut-être une œuvre…

Et toi ?

N’essaie pas de produire une œuvre parfaite ! Vis ! C’est ton art de vivre qui nourrira ton art – et non l’inverse ! Note dans ton cahier de gratitude ces instants esthétiques dont tu profites pleinement sans te soucier de t’exprimer avec perfection. Ceux-ci alimenteront plus tard ton inspiration. Recherche d’abord l’excellence dans ce que tu vis… L’excellence dans ce que tu crées viendra ensuite !

Géraldine Andrée