L’événement et l’anodin

Il arrive, au cours du travail d’écriture d’une biographie, que la mémoire fasse défaut.
On peine à situer chronologiquement un événement, à le dater. Parfois, c’est un nom qui s’est échappé.

Vous craignez que cette « lacune » ait une incidence sur la biographie, surtout si vous la donnez à lire à votre entourage. Vous redoutez que ce dernier s’écrie :

-Mais voyons ! Tu t’es trompé(e) ! Cet épisode s’est passé avant celui-ci ! Comment, tu ne te souviens plus de Monsieur Delhaye ?

A cela, je répondrais que la mémoire sélectionne ce qui lui est utile et que ce qui vous semble un événement important – selon des critères familiaux, sociaux – ne l’est peut-être pas pour votre mémoire qui vous rapportera fidèlement d’autres détails plus propices à enrichir la biographie.

Vous pourrez, en effet, être surpris(e) de ne pas vous souvenir du nom de votre voisin ou de la date de naissance de votre arrière-petite-fille et d’être capable de vous remémorer, en revanche, la couleur de votre robe de jadis avec laquelle vous alliez danser, la variété des fruits de votre verger, la senteur de la citronnelle les soirs d’été, la goutte de sueur qui perlait sur le décolleté de votre mère…

Tout ce qui vous paraissait anodin, voire insignifiant, surgit avec force pour redonner un autre sens au récit de votre vie.

Vous percevez ainsi votre histoire différemment – de manière plus personnelle, intime :

« J’ai donc gardé comme un trésor en moi pendant toutes ces années le feu rouge des feuilles de l’érable au bord de la fenêtre d’autrefois. »

L’anodin vous permet de porter un regard neuf sur l’événement à l’apparence convenue :

« Je ne me souviens plus du nom du voisin qui a vécu là-bas pendant vingt ans mais je pourrais dessiner très précisément chaque tuile du toit de sa maison. C’étaient des tuiles au reflet anthracite. Leur éclat m’éblouissait quand j’ouvrais mes volets au petit matin. »

Le travail biographique vous invite à ouvrir d’autres coffres que ceux que votre entourage vous a toujours montrés : les coffres de votre inconscient omniscient, de votre intériorité la plus profonde qui vous définissent dans votre complète identité.

Décrire les fleurs qui ornaient cette robe de bal, c’est donner à la biographie une signature authentique, celle de votre être. Tel est le présent que vous offre la Mémoire aux Mille Tours.

C’est pourquoi une maladie cognitive comme celle d’Alzheimer avant l’ultime stade n’entrave pas le projet d’écriture d’une biographie.

J’y reviendrai dans un prochain billet.

Géraldine Andrée

Je suis votre écrivain-biographe appartenant au réseau Nègres pour Inconnus.