Il arrive que les émotions vous envahissent tellement que vous perdez les mots… La clarté d’esprit vous manque… Certains déclarent même qu’ils en ont le souffle coupé. Je vous renvoie pour cela à mon billet Le cahier de l’indicible.
L’écriture vous sera alors d’un précieux secours pour mettre à distance vos ressentis et empêcher que les événements extérieurs influencent votre état émotionnel, vous privant de votre liberté de respiration.
Il en est ainsi d’un certain type d’écriture qu’est l’écriture plate.
L’écriture plate a déjà été employée par des écrivains comme Albert Camus, Marguerite Duras, Annie Ernaux.
Contrairement aux préjugés, cette écriture n’est pas dénuée de sensibilité. Elle contient, dans toute sa sobriété, des sentiments intenses. Ses silences vous mettent à l’écoute des non-dits qui se glissent entre les mots ; ce qui rend le style poignant. Le potentiel lecteur est davantage touché par ce qui lui est suggéré en demi-teinte que par une évocation emphatique et un développement explicatif de vos états d’âme.
L’écriture plate est un outil efficace dans l’écriture d’une autobiographie thérapeutique ou au cours de nos séances d’écritothérapie.
Mais elle ne s’adopte pas d’emblée. Son emploi se fait en plusieurs étapes.
Lors d’un événement traumatisant, il est conseillé de noter sur un cahier tout ce qui est éprouvé. L’utilisation au préalable de phrases longues, d’hyperboles, de tournures exclamatives et interrogatives est fortement indiquée. Je vous en livre un exemple :
Je ne pouvais pas croire que Claire était morte. Je pensais qu’elle allait revenir… Je mettais son assiette sur la table comme chaque soir en hiver et je réchauffais la soupe aux carottes… J’étais persuadée que ce simple geste suffirait à la faire revenir. En effet, alertée par l’odeur de la soupe, elle franchirait nécessairement le seuil de la cuisine comme lorsqu’elle était petite. L’heure tournait. La soupe cuisait… Et rien ! Alors que je remplissais nos deux assiettes, ma tristesse était sans fond. Je me disais que ce n’était pas possible, ce manque ! Comment pouvais-je vivre cela, moi qui ne l’avais pas mérité ? »
Lorsqu’une telle douleur se manifeste par l’incrédulité et l’attente qui entraînent la psyché dans un processus de régression, l’écriture plate peut venir au secours de l’endeuillé.
Il s’agit de retrancher tous les termes modalisateurs – c’est-à-dire désignant un sentiment invasif -, de raccourcir les phrases, de procéder par sous-entendus. L’écriture plate est également nommée écriture dépouillée. En effet, elle enlève de la page ces mots qui représentent les scories de l’être. Tel un couteau, elle incise les peaux mortes pour laisser entrevoir la chair vivante, palpitante qui se cachait sous cette épaisseur inconfortable. Elle mène au noyau qui n’est autre qu’une conscience épurée – ou l’âme pour les ésotériques. Plusieurs réécritures du texte s’imposent. Il ne faut pas hésiter à raturer, effacer – autrement dit, à faire le deuil de ces mots désignant un état émotionnel qui ne peut vous causer que davantage de douleur encore :
L’heure noire tourne. C’est le moment de la soupe. Claire n’est toujours pas rentrée. Je pose son assiette sur la table. Dans la casserole, mijote la soupe aux carottes. Elle va revenir, l’enfant… Cela ne peut pas en être autrement. Ah ! L’odeur de la soupe et le frottement de ses patins… La soupe crépite dans la casserole.
C’est le moment de la verser dans nos deux assiettes. Sur la chaise en face de la place vide, j’attends. L’heure rosit. La soupe est froide depuis longtemps. Claire ne reviendra pas. »
Une fois que certains termes inutiles ont été enlevés, d’autres surgissent tout naturellement au bout du stylo. Ces derniers ancrent/encrent l’écriture dans la sensation et le factuel. Les phrases, plus courtes, véhiculent davantage de force stylistique. Ce qui n’est expressément pas dit parvient à l’oreille du cœur de manière aiguë. L’écriture plate est une écriture de l’acuité. Et, pour exprimer cette acuité, le temps du présent est particulièrement efficace car il cristallise la douleur dans un instant éternel qui, ainsi extériorisé, ne fera plus partie de votre temps psychique. De ce fait, le Je – représenté par un ego trop prégnant – se retire pour laisser place à des éléments – objets, couleurs, formes – qui se feront vos porte-parole objectifs. Le lien entre le monde et votre Moi est plus solidement restauré.
Jean-Yves Revault compare ce type d’écriture au processus de l’anamnèse :
Le mot anamnèse, dont est tirée l’expression « écriture anamnésique« , vient de la religion hébraïque. Il désigne les souvenirs des événements concrets. Ainsi, nul besoin d’exprimer les sentiments et les idées. Utilisée en psychanalyse, l’anamnèse favorise la quête par le sujet de sa propre histoire. Il se relie à des faits, des événements, à l’aspect objectif de sa vie, sans se perdre en analyse ou interprétation. »
Quand le sujet relira plus tard ses textes, il sera frappé par l’apparente absence de lien logique entre les propositions. Et ce constat sera salvateur pour lui. En effet, le lien logique sera remplacé par une autre mise en relation, celle de l’association d’idées propre à l’inconscient créateur. Des vérités insoupçonnées se feront jour, amenant le sujet à un niveau supérieur de conscientisation.
L’écriture anamnésique, par les renoncements stylistiques qu’elle vous invite à faire et qui constituent autant d’étapes à franchir, est un véritable processus de libération intérieure dont la seule destination est votre Être intact et cependant, en perpétuelle métamorphose !
C’est pour cette raison que je vous invite à répéter l’expérience autant de fois que nécessaire. Vous pouvez même élaborer un recueil de ces textes écrits de manière anamnestique.
Mon rôle est de vous guider dans votre évolution à la fois littéraire et thérapeutique – de l’écriture jusqu’à la publication, de la prise de conscience jusqu’à la délivrance.
Géraldine Andrée
Votre écrivaine privée-biographe familiale-écritothérapeute